lundi 3 juillet 2017

Casa Pound et l’extrême droite européenne

Les nationalistes français prennent pour modèle les modes d’actions des néo-fascistes italiens de la CasaPound en occupant des logements inhabités.C’est ce que rapporte la presse, suite à la réquisition par les membres du GUD lyonnais d’un immeuble destinés à venir en aide aux « Français de souche » mal logés (voir ici l’article de Jean-Yves Camus). Les groupes et groupuscules politiques radicaux compensent leur faible ou inexistante représentation institutionnelle par l’occupation de l’espace social. Tenir la rue, c’est affirmer son ancrage dans la réalité et obtenir une légitimité sur le territoire «conquis ». Cette occupation et constitution de centres sociaux au travers des squats est une pratique popularisée dans les années 1960 et 1970 aussi bien par l’extrême gauche que l’ultragauche italienne. Il s’agit dans la pratique d’une extension du combat pour l’hégémonie culturelle. Ainsi, face à la multiplication des squats «ouverts» essentiellement par les communistes libertaires italiens durant les années de plomb, les néo-fascistes italiens proposaient à leurs adhérents et sympathisants une offre similaire bien que plus limitée dans son rayonnement.
En Europe en général et en Italie en particulier ce combat territorial et culturel a clairement été remporté par les marges de la gauche extraparlementaire. Les centres sociaux libertaires ont été et sont toujours, les plus nombreux et les mieux structurés. L’extrême droite chercha alors à la fin des années 1990 et à l’aube des années 2000 un modèle similaire capable d’agréger une jeunesse sensible à la fois aux questions politiques et culturelles de la droite radicale et au lissage des valeurs de l’extrême droite. C’est à cette évolution du vivier militant que répondaient alors la création de CasaPound et c’est cette orientation que tentent de prendre les nationalistes français.
Du strict point de vue tactique, c’est une décision qui pourrait être efficace tant l’essor de CasaPound en Italie à permis aux néo-fascistes transalpins d’accéder au statut d’acteur socio-politique certes minoritaire mais reconnu.
Beppe Grillo, le leader du Mouvement 5 Étoiles, avait d’ailleurs fait scandale quelques jours avant les élections législatives de 2013 en tendant la main aux leaders de CasaPound. A cette occasion nous avions vu fleurir ça et là bon nombre de commentaires sur ce fascisme new-look qui a d’ores et déjà éclos en Italie. Celui-ci s’épanouit avec facilité sous l’impulsion d’un homme : Gianluca Iannone, leader incontesté et incontestable du mouvement CasaPound.

Le souffle du réacteur
CasaPound est à la fois un ensemble de locaux disséminés dans les principales villes italiennes et un mouvement politique dans lequel se retrouve la jeunesse néo-néo ou post néo-fasciste. Littéralement CasaPound signifie « La maison de (Ezra) Pound ». L’héritage revendiqué de l’artiste américain (1885-1972) n’est pas nouveau, les néo-fascistes italiens des années 1960 et 70 s’y référaient souvent. Giovanni Ventura, éditeur vénète, qui fut l’un des accusés de l’attentat de Piazza Fontana1 était l’un de ses plus fervents promoteurs. Pound défendit avec force le fascisme italien. La filiation idéologique est affichée, de façon subtile, et c’est là une de ses grandes forces du point de vue de la représentation.
CasaPound Italia (CPI) est un cas d’école auquel nous ferions bien de réfléchir. La rhétorique anticapitaliste dont le collectif italien s’est emparée n’est en rien une nouveauté pour ceux qui ont fait de l’extrême droite leur sujet d’étude et d’investigation. Robert Paxton dans son analyse et sa définition de ce qui fait sens dans le fascisme affirmait que sa phase intrusive dans le corps social prenait toujours la forme d’un anticapitalisme affiché et militant, mais systématiquement trahi au profit d’une alliance avec les grandes familles industrielles lorsque cela devenait nécessaire pour l’institutionnalisation du parti dans son accession au pouvoir.
La mise en garde de Paxton appelait également à ne pas réduire le fascisme à ses symboles les plus folkloriques : les chemises noires et les sections d’assaut. Le nouveau visage du fascisme peut s’accorder parfaitement avec les overboards de la City ou les casquettes de base-ball de l’Idaho.
Un homme, intelligent, Gianluca Iannone, a très bien compris cela. Sous son impulsion CasaPound Italia a opéré la synthèse des vieux symboles de l’extrême droite avec la modernité nécessaire afin de séduire une jeunesse qui ne se reconnaît pas dans les partis politiques. Le projet affiché par Iannone / CPI est à la fois ambitieux et astucieux.
Ambitieux car, contrairement à l’idée reçue, il n’est pas chose aisée de représenter de façon attractive et dépoussiérée un programme fasciste. Là où une part de la mouvance identitaire française est réactionnaire, CPI est à contrario projetée vers le futur. Les tentatives des Identitaires (ex-Bloc Identitaire) d’utiliser des ressorts similaires à ceux de CPI tendent à valider l’idée que ces derniers servent de modèles. Mais n’est pas Iannone qui veut. L’homme ne tombe pas dans le piège facile de l’invective, de la menace, de la force pour la force ou de l’action pour l’action. Ce qui est proposé aux jeunes (et moins jeunes) italiens est un mode de vie alternatif, mais au service d’une collectivité en rupture avec l’hédonisme ambiant. Ce qui fait mouche dans la direction que Iannone donne à CasaPound Italia, est la complétude de sa proposition au sein de cette alternative : politique, culture, économie….mais aussi spiritualité et esprit de corps. Ces deux derniers points sont importants et viennent répondre à un vide des offres politiques en la matière.
L’intelligence du biotope
L’homme est crédible, cultivé, charismatique et ne tombe dans aucun des pièges qui lui sont tendus. Il ne menace pas ou peu ses adversaires, défie ses ennemis sur le plan intellectuel, appelle à la confrontation doctrinale avec la gauche (Marx et Le Che ne sont pas des ennemis idéologiques) et méprise la droite et l’extrême droite institutionnalisées. Rien de nouveau pourrait-on penser ? Or, si l’on trouve beaucoup de néo-fascistes des années noires italiennes qui gravitent autour de CasaPound (Gabriele Adinolfi2, Roberto Fiore3, pour ne citer que les personnalités les plus emblématiques), Iannone a su tirer les leçons du passé et exhorte plus à l’amour de soi (comprenez : de l’entre-soi) qu’à la haine des autres. La recette fonctionne, CPI essaime toujours plus, son syndicat lycéen et étudiant, Blocco Studentesco, dont on commence à voir en France quelques tags, voit grossir ses rangs. L’homme rassemble ses troupes et connaît ses ennemis.
La nuit du 28 Novembre 2013, trois individus ont incendié l’antenne de CasaPound Bologne, ils ont été arrêtés grâce à la vidéo surveillance. Voici ce que Gianluca Iannone déclarait suite à cette attaque :
« Molotov contre CasaPound. Le défi de Iannone : libérez les exécutants, emprisonnez les commanditaires ! 
Le site Republica.it a diffusé la vidéo de surveillance policière [qui] immortalise l’action du commando contre CasaPound à Bologne.Elle s’est conclue par l’arrestation de trois calabrais (…) La réaction de Gianluca Iannone, leader de CasaPound, fait grand bruit car il demande la remise en liberté des exécutants tant que l’arrestation des commanditaires n’est pas effective : « La détention des exécutants est une injustice flagrante si les commanditaires courent toujours : ou tous, ou personne ! Où sont désormais les politiciens, les journalistes et la jeunesse rampante ? Ceux qui étaient prêts à demander la fermeture de CasaPound pour un fumigéne dans une école ou qui voulaient ériger des barricades pour empêcher l’accès à notre droit constitutionnel de manifester ? Où sont tous ceux qui, maintenant que certains les ont pris au sérieux et ont suivi leurs délires incendiaires en tentant avec des Molotov de fermer CasaPound Bologne ? Le fait saillant de cet ignoble geste n’est pas vraiment imputable à ces trois enfants désabusés pris en flagrant délit : le profil qui émerge de ces personnes est celui de sujets : confus, déracinés, marginaux, pauvres exécutants des stimuli dont l’origine est à chercher dans les secteurs bien plus élevés de la société dite civile. Ce que nous voulons dénoncer c’est précisément l’irresponsabilité et la dangerosité des véritables commanditaires moraux de cette action, ceux qui ont fait croire à ces personnes que l’attaque des sièges politiques d’autrui et la chasse à l’homme des adversaires politiques sont des actes constitutionnels. « Les sièges des fascistes se ferment avec le feu et avec eux à l’intérieur, sinon c’est trop peu », tel était le cri de la bonne bourgeoisie des années 1970, qui ensuite a fait carrière dans les partis et les salons. Et bien voici vos fils, la faute n’appartient qu’à vous et à vous seul. Une justice efficace n’emprisonne pas trois paumés en faisant semblant de s’être lavée ainsi la conscience. S’il est possible de lancer des appels, d’écrire certains articles, signer certains communiqués, alors il devient naturellement possible de passer de la parole aux actes. C’est cette hypocrisie (…) qui a conduit certains à penser que tuer les fascistes n’est pas un crime »4.
Iannone est italien. Il connaît l’histoire. Son histoire. Celle de la stratégie de la tension et des années de plomb. Il sait que la réalité y fut plus complexe que ce qu’indique une lecture immédiate des faits. Dans ce communiqué, il n’y a dans son propos aucune allusion directe à la gauche et aux immigrés. L’homme sait que l’extrême droite présente doit s’extraire de ses stéréotypes. Certes, il est encore fasciste, mais il sait que celui-ci se veut plus une nostalgie de l’avenir qu’un éternel recommencement.
Notes
  1. Sur l’attentat du décembre 1969 à Piazza Fontana (Milan) voir ici
  2. Gabriele Adinolfi : figure du néofascisme italien et international durant les années 1970 et 1980. Il fut l’un des suspects pour l’attentat de la gare de Bologne le 2 août 1980 avant d’être innocenté. Il a fondé depuis quelques années le centre d’étude « Polaris ». Il tente aujourd’hui, parfois avec succès, un dialogue avec les ex-militants de la gauche radicale des années de plomb.
  3. Roberto Fiore : activiste d’extrême droite dans les années 1970 et 1980, Fiore fuit la justice italienne qui l’accusa de terrorisme, pour se réfugier en Angleterre d’où il participe longuement aux réseaux transnationaux de l’extrême droite radicale.
  4. Il presidente di Casapound: “Se i mandanti restano impuniti liberate anche gli attentatori”“Se i mandanti restano impuniti liberate anche gli attentatori”. Per il presidente di Casapound, Gianluca Iannone, “mettere in galera gli esecutori è una palese ingiustizia se si tengono fuori i mandanti: o tutti o nessuno”. Per Iannone “il dato saliente di questo gesto ignobile non riguarda tanto i tre figli del disagio colti in flagrante” dei “meri esecutori di input che vengono da settori ben più autorevoli della cosiddetta ‘società civile’. Quello che vogliamo denunciare è semmai l’atteggiamento pericoloso e irresponsabile dei veri mandanti morali di questa azione, coloro che hanno fatto credere a queste persone che sia un atto costituzionale assaltare le sedi politiche altrui e la caccia all’uomo verso gli avversari politici”.

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