dimanche 13 août 2017

Les derniers rois possibles ?

La période 1830-1848 suscite un regain d'intérêt. Cependant, les réactions qu'elle suscite continuent d'être contrastées.
Revue de quelques ouvrages.
L'attitude de Charles X en juillet 1830 provoque ahurissement et malaise : par quelle aberration ce prince, moins sot qu'il est de bon ton de le prétendre, se jeta-t-il dans l'affaire des ordonnances quand lui manquait l'appui d'une armée dont les troupes assuraient la conquête algérienne ? Comment déclencha-t-il une révolution que toutes les factions s'entendaient à éviter, tant le spectre de 93 hantait les esprits ? Comment se laissa-t-il persuader d'abdiquer alors que rien n'était perdu ?
Incompréhension
L'incompréhension perdure, et le sentiment que le roi en avait assez d'une couronne trop lourde, d'un royaume qu'il ne comprenait plus... Seul ou presque, il détermina l'accomplissement d'un désastre que personne n'appelait de ses voeux. Car, à l'évidence, la stupeur, l'inquiétude, le désarroi l'emportèrent de beaucoup, cet été-là, sur la satisfaction de voir tomber la branche aînée des Bourbons. La fabrication du mythe des Trois Glorieuses vint après, justification a posteriori d'un mouvement improvisé qui n'aurait jamais dû aboutir. Quant au déroulement exact de ces 27, 28 et 29 juillet, il est, aujourd'hui, totalement oublié, sinon des spécialistes. C'est le mérite du livre de Michel Bernard Cartron, Juillet 1830, la deuxième révolution française, d'en rappeler le déroulement exact, en partant du début de cette année qui s'annonçait paisible et ordinaire, puis l'enchaînement invraisemblable, la montée en puissance, typique d'une émeute populaire récupérée par des oppositions qui n'avaient rien vu venir.

Or, personne, parmi ces opposants, ne voulait revivre les excès révolutionnaires dont la république paraissait synonyme. Cela amena le consensus autour de Louis-Philippe, unique recours susceptible de canaliser les violences. Cela fait du duc d'Orléans non l'agent de la révolution mais son contraire, évidence que la gauche, pour l'avoir comprise, ne pardonna pas au roi des Français, tandis que les légitimistes, faute de l'avoir comprise, en faisaient un factieux usurpateur. Ce rejet des deux bords habite le récit circonstancié, appuyé sur les témoignages des contemporains, de Michel Bernard Cartron. La monarchie de juillet n'en vint jamais à bout. Et c'est dommage.
Les dernières biographies de Louis-Philippe ont, certes, marqué un progrès dans la connaissance du prince et du roi, sans lui rendre justice. Guy Antonetti, auteur d'une somme monumentale qui fait autorité, ne l'aime pas. L'Anglais Munro Price, s'il apprécie l'oeuvre, veut tout réduire à une adaptation française du modèle britannique et tient Madame Adélaïde pour la tête pensante qui dictait ses décisions à son frère, ce qui se révèle exagéré. Manquait à cette galerie un portrait qui ne fut pas à charge, ni coupé des réalités françaises et de passions encore brûlantes.
Talent et justice
Arnaud Teyssier, auquel l'on doit déjà une très brillante étude, Les Enfants de Louis-Philippe et la France (Pygmalion), le brosse avec autant de sérieux que d'aisance, de talent que de justice. Le duc d'Orléans qu'il peint dans ces pages est, certes, le fils de Philippe Égalité, et le biographe souligne combien le malheureux prince en souffrit, lui qui aimait son père, ne comprenait pas la faiblesse qui l'avait conduit à voter la mort de Louis XVI, et se sentait responsable de son exécution, pour avoir suivi Dumouriez, mais il tient surtout d'autres ascendants, plus talentueux, plus vertueux, qui lui avaient transmis intelligence, amour du travail, goût de la fidélité conjugale et de la paternité. Les auteurs légitimistes ont voulu voir dans le prince qui regagna en 1816 le Palais Royal en compagnie de Marie-Amélie de Bourbon-Siciles, nièce de Marie-Antoinette, exhibant sa splendide progéniture face à la déshérence de la branche aînée, un fourbe hypocrite jouant la comédie, faisant la chattemite, conspirant par en dessous pour refaire sa fortune et s'emparer du pouvoir. À l'étude des faits, à travers les écrits intimes de Louis-Philippe, d'abondance utilisés, ce vilain personnage ne tient pas. Le duc d'Orléans est ce qu'il est, en toute sincérité, c'est cela qui lui sera reproché, comme un refus de commettre les mêmes erreurs que ses cousins. Quand il « ramasse la couronne », ainsi qu'il le dit, ce n'est pas l'aboutissement d'une longue tactique, mais la décision, impromptue, de saisir l'occasion, moins par esprit de revanche que par conscience aiguë du bien de la France, et des désastres où elle se précipite s'il n'y pallie. Le sacrifice lui coûta davantage qu'on le prétend.
Arnaud Teyssier analyse, comprend, admire souvent, sans s'aveugler sur les limites des possibilités laissées au roi des Français. Pourtant, dix-huit années, louvoyant entre les extrêmes, Louis-Philippe maintiendra la paix civile, oeuvrera à la prospérité générale, et parviendra même à conserver à la France sa place sur l'échiquier international. Bilan digne de respect, mais obstinément refusé par la postérité : cette solidité de reconstructeur prudent, habile, aimant manquait de clinquant …
Curieusement, Gabriel de Broglie, qui dresse lui aussi, dans une étude serrée de la Monarchie de Juillet, un inventaire impressionnant des réussites du règne, conclut pourtant à la non viabilité du projet. Selon lui, l'expérience Orléans correspondait à ce qu'il eût fallu faire en 1789 et qui eût tout sauvé ; la tentative serait venue trop tard en 1814 ; en 1830, elle était dépassée, vouée à l'échec final, ne serait-ce qu'en raison de l'âge de Louis-Philippe qui, à cinquante-sept ans, n'était plus en phase avec les jeunes générations. La mort tragique du Prince Royal interdit cet ultime recours. La tentative était « anachronique ». L'on n'est pas forcé, à la lecture de ce passionnant ouvrage, de partager ce point de vue pessimiste, et de conclure la cause perdue d'avance.
Tout était possible
En abordant tour à tour étude des événements, caractère du roi et des siens, mentalités du personnel politique, forces en présence, opinion, presse, jeunesse, écrivains, artistes, paysannerie et monde ouvrier, en mettant en évidence les efforts accomplis pour se rallier ces diverses composantes de la société française, M. de Broglie donne plutôt l'impression, sans doute fondée, que tout était possible et que rarement chances plus réelles s'offrirent à la France de s'épargner les périls de ses errances politiques successives... Tel quel, le livre, véritable précis de la période, est une réhabilitation argumentée, appuyée sur les témoins contemporains, de l'oeuvre et de la personnalité d'un souverain qui ne mérite pas les caricatures qui le poursuivent. Caricatures qui, au demeurant, n'ont pas épargné la branche aînée et continuent de prospérer. La biographie que Laure Hillerin consacre à la duchesse de Berry, l'oiseau rebelle des Bourbons, en est un bon exemple. C'est une mode appréciée de la presse féminine de relire les destins royaux à l'aune des façons d'être actuelles. Après Marie-Antoinette annonciatrice de Lady Di de Sofia Coppola, voici Marie-Caroline de Bourbon-Siciles vivant ses rêves, ses fantaisies, ses caprices et sa sexualité quitte à choquer toute l'Europe bien-pensante, en précurseur des libertés de la femme... Il faut hélas admettre que la petite personne se prête mieux à cette interprétation que sa grand-tante. Marie-Caroline possédait un caractère fantasque et capricieux qu'il ne faut pas imputer aux manières de la cour napolitaine, malgré ses extravagances, mais à son tempérament. Ses façons d'enfant gâtée, tolérables tant qu'elles furent imputables à la prime jeunesse, devinrent moins supportables quand le veuvage et les responsabilités, trop précoces, l'obligèrent à assumer ses responsabilités de mère de l'héritier du trône. Le malheur de la duchesse de Berry, et, partant, celui de ses partisans, fut d'avoir voulu incarner la légitimité royale, ce qui était son droit, sans accepter les rudes contraintes du rôle.
Sans délicatesse
Laure Hillerin, qui n'a pas les délicatesses ordinaires des biographes de la princesse, ni leurs pudeurs, n'hésite pas à lui attribuer, avant la malencontreuse naissance de Blaye, deux autres grossesses indésirables, dont elle ne précise pas comment elles s'achevèrent... Veuve à vingt-et-un ans, Caroline était certes excusable de n'avoir pas renoncé à plaire mais il y a, dans les petits calculs entourant ses amourettes, un aspect peu flatteur qui corrobore le mot féroce prêté à Chateaubriand : « Comment voulez-vous que je vous dise de qui est l'enfant de Madame la duchesse de Berry ?! Elle-même ne le sait pas ! » Qu'il n'était pas du prince Lucchesi Palli, c'est un secret de Polichinelle, que la biographe entretient habilement, avant de proposer le nom d'un père putatif. Ces histoires d'alcôve, qui se termineront le plus bourgeoisement du monde par le remariage italien et les enfants qui en naîtront, éclipsent, dans ce récit, la dimension dynastique, politique, de la question. Or, c'est ce qui importe, avec l'affreux discrédit jeté sur la Cause, et sur Henri V. Des fidèles, idéalistes, se firent tuer pour cela, qui dépasse, et de si loin, les velléités d'indépendance d'une petite femme pleine d'allant et de courage, mais qui ne sut pas s'élever à la hauteur du personnage qu'elle avait voulu endosser. Il y a, dans ce cocufiage des purs et des meilleurs, si lourdement souligné ici, un côté sordide difficile à pardonner...
Anne Bernet L’Action française 2000 Du 2 au 15 juin 2011
- Michel Bernard Cartron : Juillet 1830, la deuxième révolution française, Artena, 385 p., 29 €.
- Arnaud Teyssier : Louis-Philippe, Perrin, 450 p., 23 €.
- Gabriel de Broglie : La Monarchie de Juillet, Fayard, 450 p., 26 €.
- Laure Hillerin : La Duchesse de Berry, Flammarion, 540 p., 25 €.

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