dimanche 5 juillet 2020

La race nouvelle grille de lecture du monde

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Les émeutes que nous avons vues aux États-Unis pourraient bien cesser, il n’en reste pas moins qu’une vision subversive de l’histoire domine la jeunesse de ce pays et par extension la jeunesse occidentale. Au nom de l’antiracisme, une sorte d radicalisme intégral.

La notion de racisme a beaucoup évolué depuis le Comte Arthur de Gobineau 1853-1855), qui est l'un des premiers à avoir théorisé ce qu'il appelait l'inégalité des races. On peut aussi évoquer le marquis de Boulainvilliers, qui en plein XVIIIe siècle, rêvait de noblesse généalogique en se croyant descendant de Francs. Une telle fierté nobiliaire relevait d'une sorte de complexe identitaire, mais cela n'engendrait pas une vision du monde.

Le racisme va devenir de plus en plus à la mode au fur et à mesure que l'on avance dans le temps. C'est un concept élémentaire lié à la forme du corps ou à sa couleur. Il renvoie à un matérialisme plus ou moins bétonné, qui attire de plus en plus ceux qui vivent de préjugés, les esprits simples, qui cherchent à mettre le monde en base 2 : ceux qui en sont et ceux qui n'en sont pas. La race est en train de devenir la nouvelle grille de lecture du monde.

Déconstruction de l'identité nationale

Comment comprendre le racisme ? Le plus surprenant, c'est que ce n'est pas la thématique de Gobineau sur l'inégalité des races qui est retenue aujourd'hui, le nazisme l'a tuée comme il a tué tout ce qu'il a touché. Si l'on suit la réflexion de Michel Foucault sur la guerre des races, l'avenir du racisme, c'est Henri de Boulainvilliers qui, lui, continue de nous instruire, non pas sur le racisme du passé mais sur le racisme qui vient, à propos duquel Foucault n'hésitait pas à prophétiser une guerre des races.

Mais suivons brièvement les explications de Michel Foucault. Au XVIIIe siècle, la haute noblesse reproche au roi de France d'avoir pris le parti du peuple et d'avoir plébéianisé le pays. Pour ces aristocrates il y a deux identités françaises : la franque, celle des conquérants, une France germanique des ducs et des marquis, et la gallo-romaine, celle d'un peuple qui ne s'est pas remis d'avoir été vaincu au commencement de son histoire et qui a confié son destin à l'institution monarchique, qui, pour Boulainvilliers, a joué historiquement le rôle de syndicat des perdants. La fierté identitaire de Boulainvilliers lui fait imaginer une guerre inexpiable au sein même du pays. C'est tout le problème de la guerre des races telle que Foucault la voit naître : le mot « race » peut faire peur Pierre-André Taguieff a théorisé la notion de « race sans race » : c'est une guerre des identités exacerbées les unes contre les autres, au sein d'une même société.

On peut dire que les décoloniaux et autres indigénistes aujourd'hui, dans le village mondial, sont tous, directement ou indirectement, des lecteurs de Michel Foucault, tel qu'il est vulgarisé par des idéologues de deuxième zone aux États-Unis, une Peggy Mclntosh, théoricienne du « privilège blanc », ou une Robin Di Angelo, théoricienne de la « fragilité blanche », toutes deux très écoutées sur les campus américains.

Voici venir la guerre des races

Ces intellectuels se permettent la même analyse que les aristocrates du XVIIIe siècle. Pour eux, comme pour Boulainvilliers, la nation devient une pure construction historique. Elle ne peut se contenter de son histoire tel que le récit nous en parvient, aplani par le temps et écrit par la classe dominante ou l'instance dominante (la monarchie en l'occurrence). Il faut développer un certain nombre de contre-histoires qui montrent la fragilité de toutes sociétés, les luttes qui perdurent sourdement en leur sein, et les nouveaux pouvoirs qui peuvent émerger comme des superstructures, au nom de la réactivation de ces luttes.

Un petit détail a changé par rapport au XVIIIe siècle : ceux qui se plaignent ne se prennent pas pour des conquérants mais pour des victimes. C'est le complexe victimaire qui les meut; alors que les aristocrates de Boulainvilliers croyaient dur comme fer à leur supériorité germanique indubitable sur le reste du pays, les « racisés » d'aujourd'hui croient en leur nombre, comme l'a souligné récemment l'influenceuse Rokhaya Diallo, et en leur droit à être défendu contre le privilège blanc. « Il faut défendre la société » répétait Michel Foucault dès 1976 en ce sens. Il en appelait à la mise en concurrence des mémoires pour la création d'une nouvelle histoire des peuples, ayant pris acte des nouveaux rapports de force entre les individus. Ce faisant, Foucault proposait une évolution crédible du marxisme, dont les grandes prophéties économiques sur la ruine du capitalisme se sont révélées absolument fausses, mais dont la relecture culturelle, telle qu'elle avait été entamée par Antonio Gramsci entre les deux guerres, a été reprise (avec succès Outre Atlantique) par la « French theory ». Ce n'est pas un hasard si la guerre des races sert d'étendard aux... Blancs au nom des Noirs : c'est que c'est le concept inventé par Foucault pour se substituer à la lutte des classes.

Vers un nouvel inconscient racial

Ces théoriciens de la guerre des races qui se sont levés autour du penseur français de l’antihumanisme, particulièrement aux États Unis, ne se rendent pas compte que leur redéfinition antiraciste du bien commun (ou pour parler le langage de Foucault de la biopolitique, de la nouvelle vie des hommes et des femmes) est fondée avant tout sur un racialisme éhonté. En prophétisant la guerre des races, en stigmatisant dès 1976 le racisme d'État, dont Rokhaya Diallo répète aujourd'hui qu'il existe, en prenant cette existence pour un dogme, Foucault induit une nouvelle idéologie dont les critères de jugement sont tous d'ordre racial, non racistes certes officiellement, mais racialistes. La race noire, pour ces intellectuels en première ligne, c'est le nouveau prolétariat, qui nous débarrasse du « vieux monde » (Merci Macron), de la vieille histoire donnée en pâture à tous les révisionnistes, de la vieille morale du service de l'État chrétien. À travers cette nouvelle vision de l'histoire, le monde change en se racialisant, en même temps que va se racialiser la vie des hommes et des femmes. Comme l'amour a changé au nom du féminisme dialectique, la vie civique va changer à travers un Me-too du racisme.

Le critère racial tend à devenir celui qui dicte tous les jugements, et cela au-delà même de la conscience que l'on peut en nourrir. Les apprentis sorciers à Minneapolis et ailleurs sur les campus sont en train de fabriquer, chez les Blancs comme chez les Noirs, un inconscient racial qui, succédant à l'inconscient sexuel de Freud, pourrait engendrer le même malaise dans la civilisation, avant d'exploser comme une bombe à fragmentation, qui signerait la fin de l'Occident, avant tout la chute morale de l'Empire américain, mais aussi la neutralisation historique de la France comme nation, c'est-à-dire de l'Europe.

On me dira : « La France n’a rien à voir avec les États-Unis. La catastrophe culturelle que vous décrivez n'arrivera pas chez nous, parce qu'en France, pays de vieille civilisation, le racisme n’a pas d’avenir ».

Cette profession de haute moralité est très digne et elle fait honneur aux Français qui la revendiquent. Je crois pourtant que la France est particulièrement attirée par un scénario néo-marxiste de guerre des races, au sens foucaldien de cette expression pour plusieurs raisons d'abord, il y a en France la prégnance d'un extrême-gauchisme qui est prêt à faire feu de tout bois, du moment que le feu est antifasciste. D'autre part, c'est notre pays qui est à l'origine de l'éponyme French Theory, et donc du concept de guerre des races. Ensuite, les jeunes Français continuent à croire naïvement au modèle américain, comme au temps de Tocqueville et, pour un certain nombre d'entre eux, ils sont prêts à prendre pour modèle cet antimodèle de la guerre des races. Et cela d'autant plus que l'unité française, chère à Marie-Madeleine Martin, n'est pas une unité ethnique, comme l'unité allemande, mais une unité historique, dont il est facile de modifier le scénario. L'histoire a en France un poids particulier. Les relectures de l'histoire, les contre-histoires trouvent en France un public particulièrement sensibilisé. Enfin, last but not least, les historiens ont du grain à moudre autour du passé colonial de la France. Sur les plateaux de télévision, les intervenants dits racisés considèrent a priori la colonisation comme un crime contre l'humanité et ils présentent cela sans aucune justification comme un dogme. Une telle diabolisation de l'histoire française laisse augurer une curieuse guerre des mémoires dans notre propre pays. Quand on entend que Christophe Castaner ne voit aucun inconvénient à s'agenouiller pour demander pardon pour George Floyd et pour l'exploitation des Noirs, on pressent qu'en France même, la guerre des mémoires que Michel Foucault appelait guerre des races, ne fait que commencer. Plus que jamais dans ce racisme des racisés, la guerre est culturelle, la notion d'identité française est une pierre angulaire de l'édifice national.

Hélas ceux qui réfléchissent à cette identité en danger d'auto-subversion sont de moins en moins nombreux. À force d'avoir prédit le pire, bon nombre se sont endormis. L'avenir du racisme est dans le sommeil des Français, qui ne prennent pas conscience du danger que représente aujourd'hui le néo-marxisme qui a substitué la guerre des races à la lutte des classes.

Abbé G. de Tanoüarn Monde&Vie N° 987 20 juin 2020

Photo Le déconstructivisme historique dont Michel Foucault fut une des têtes pensantes, impose désormais des scènes qui frôlent l’hystérie collective notamment lors de séances de mea culpa collectives.

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