
Un dix-neuvième texte de notre rubrique « Souvenez-vous de nos doctrines » est à retrouver aujourd’hui de Fustel de Coulanges…
Il semble que cet événement ait changé la face du pays et qu’il ait donné à ses destinées une direction qu’elles n’auraient pas eue sans lui. Il est pour beaucoup d’historiens, et pour la foule, la source d’où est venu tout l’Ancien Régime. Les seigneurs féodaux se sont vantés d’être les fils des conquérants ; les bourgeois et les paysans ont cru que le servage de la glèbe leur avait été imposé par l’épée d’un vainqueur.
Chacun s’est ainsi figuré une conquête originelle d’où étaient venus son bonheur ou sa souffrance, sa richesse ou sa misère, sa condition de maître ou sa condition d’esclave. Une conquête, c’est-à-dire un acte brutal, serait ainsi l’origine unique de l’ancienne société française. Tous les grands faits de notre histoire ont été appréciés et jugés au nom de cette iniquité première ; la féodalité a été présentée comme le règne des conquérants, l’affranchissement des communes comme le réveil des vaincus, et la Révolution de 1789 comme leur revanche.
Il faut d’abord reconnaître que cette manière d’envisager l’histoire de France n’est pas très ancienne ; elle ne date guère que de trois siècles. Les anciens chroniqueurs, qui étaient contemporains de l’établissement des Germains et qui l’ont vu de leurs yeux, mentionnent sans nul doute beaucoup de ravages et de violences ; mais ils ne montrent jamais une race vaincue, une population entière assujettie. Nous possédons d’innombrables écrits de ce temps-là, ils ne présentent jamais l’idée d’un peuple réduit au servage. Le Moyen Âge a beaucoup écrit : ni dans ses chroniques, ni dans ses légendes, ni dans ses romans, nous ne voyons jamais que la conquête germanique ait asservi la Gaule. On y parle sans cesse de seigneurs et de serfs ; on n’y dit jamais que les seigneurs soient les fils des conquérants étrangers, ni que les serfs soient les Gaulois vaincus. Philippe de Beaumanoir, au XIIe siècle, Commines au XVIe et beaucoup d’autres écrivains cherchent à expliquer l’origine de l’inégalité sociale et il ne leur vient pas à l’esprit que la féodalité et le servage dérivent d’une ancienne conquête. Le Moyen Âge n’eut aucune notion d’une différence ethnographique entre Francs et Gaulois. On ne trouve, durant dix siècles, rien qui ressemble à une hostilité des races.
Ni les écrits, ni les traditions de toute cette époque ne portent la trace de la douceur qu’un universel asservissement eût mise dans l’âme des vaincus.
L’opinion qui place au début de notre histoire une grande invasion, et qui partage dès lors la population française en deux races inégales, n’a commencé à poindre qu’au XVIe siècle, et a surtout pris crédit au XVIIIe. Elle est née de l’antagonisme des classes, elle a grandi avec cet antagonisme. Elle pèse encore sur notre société présente : opinion dangereuse, qui a répandu dans les esprits des idées fausses sur la manière dont se constituent les sociétés humaines et qui a aussi répandu dans les cœurs des sentiments mauvais de rancune et de vengeances. C’est la haine qui la engendrée et elle perpétue la haine.
https://www.actionfrancaise.net/2025/12/06/linvasion-barbare-dans-notre-histoire/
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