Nous évoquions la semaine passée
l’offensive menée contre les traditions de Noël. Elle s’inscrit dans un
contexte beaucoup plus général d’attaques répétées et planifiées contre
notre mémoire, notre passé, notre identité, les fondements moraux,
spirituels de notre civilisation. Avec ce billet d’humeur, Bruno Gollnisch
s’arrête sur le sort que la France réserve aujourd’hui à ses morts, qui
en dit aussi très long sur l’état d’avancement (de décomposition) de
notre société dite « moderne »…
“Novembre s’en est allé,
et avec lui les feuilles mortes, qui, avec les souvenirs et les regrets,
se ramassent à la pelle, comme le dit l’une de nos plus belles
chansons, que fredonnait Lionel Jospin, preuve que l’on peut être socialiste et sensible… On connaît l’interprétation d’Yves Montand ; je préfère encore celle du regretté Mouloudji, qui chantait aussi le deuxième couplet, plus poétique encore.
Ce mois de Novembre est –ou était- chez nous le mois du culte des morts : fête de la Toussaint, suivie de celle des Trépassés. Cérémonies du 11 novembre, rappelant l’incroyable sacrifice de millions de Français. Visite des cimetières.
Ce culte est de tous les temps
et de toutes les civilisations. Peut-être même peut-on dire qu’il est à
l’origine de la Civilisation. Les monuments de l’Egypte ancienne qui
nous fascinent encore ne sont-ils pas le résultat du prodigieux effort
auquel ce culte donna lieu ?
Les morts, les pauvres morts ont de grandes douleurs disait Baudelaire,
dans l’un de ses très beaux poèmes, consacré à la tombe abandonnée
d’une « servante au grand cœur » qui avait veillé sur son enfance.
Car la France d’aujourd’hui maltraite ses morts.
Au nom de la rentabilité, depuis quelques années, on n’a plus le droit
de réserver, comme on pouvait le faire autrefois –à grand prix !- une
concession perpétuelle. Les défunts eux-mêmes sont soumis à la précarité.
Tout au plus peut-on les héberger 30 ans au maximum. Passé cette date,
il faut renouveler ce que j’appellerai, en quelque sorte, le loyer de la
concession…si les héritiers y pensent, s’ils le peuvent, et s’ils sont
toujours là !
Cette législation a été passée il y a des années sans susciter de débats et dans l’indifférence générale.
Comme on ne peut porter atteinte aux
droits acquis, on a du moins maintenu les concessions perpétuelles
existantes, tout en empêchant d’en acquérir de nouvelles. Mais, même cela est en fait attaqué par le zèle abusif de mairies qui se saisissent de tout motif pour décréter une tombe abandonnée.
Une pierre très légèrement descellée,
une croix qui se penche, une vieil enclos dont la grille est rouillée,
et la tombe, réputée abandonnée, pourra faire l’objet d’une reprise –c’est-à-dire
qu’elle sera profanée, détruite, les pauvres restes du ou des défunts
jetés dans une fosse commune,…et l’emplacement reloué !
Le résultat, c’est qu’à terme il n’y aura plus de tombes anciennes. Dans un village des Ardennes
où j’ai quelques origines familiales, on m’a parlé de la tombe du fils
unique de l’ancien forgeron. Il avait forgé lui-même la grille qui
entourait l’emplacement où reposait son fils unique, tué à 20ans à la
guerre de 1914-18. C’était, dit-on, une très belle grille, avec un beau
crucifix. Le forgeron est mort aussi, et sa famille s’est éteinte après
lui. Récemment, on a « repris » la tombe ; la grille et la croix sont
parties à la décharge.
Ainsi, rien n’échappe, dans
notre société moderne (?), pas même les morts, à la loi de l’apparente
rationalité marchande et de la précarité qu’elle engendre. Non pas la précarité inhérente au temps qui passe dans un monde où rien n’est éternel, non pas l’impermanence des choses telle que la conçoit la sensibilité extrême-orientale, mais la rotation forcée, voulue, fruit du matérialisme et de l’impiété de notre génération.
Quelle importance ? » diront
beaucoup. « Pourquoi se soucier des restes inertes de ceux qui nous ont
précédés, et qui n’éprouvent plus rien ? » Ceux qui pensent ainsi ont
tort. Un pays n’est pas seulement la propriété de ceux qui y vivent ; mais aussi de ceux qui y ont vécu. Effacez leur souvenir, et vous déclarez la terre ouverte à tous. Vita mortuorum in memoria est posita vivorum La vie des morts est de survivre dans l’esprit des vivants disait Cicéron, et, plus près de nous, Chateaubriand : Les vivants ne peuvent rien apprendre aux morts ; les morts, au contraire, instruisent les vivants.
Disons-le tout net : un peuple qui n’honore pas ses morts n’a plus d’avenir. D’autres
viendront, qui progressivement prendront la place des amnésiques, et ne
coloniseront pas que ses cimetières. Car tout se tient.
Barrès avait bien compris le lien charnel qui existe entre la terre et les morts.
C’est que la terre de France n’est pas seulement la propriété des
soixante millions de personnes qui y vivent aujourd’hui, et dont on ne
sait trop s’il faut les qualifier d’habitants ou de nationaux. Elle
appartient aussi au milliard d’êtres humains qui, depuis l’aube des
temps historiques y ont vécu, travaillé, souffert, aimé, et qui, si
souvent, ont donné leur vie pour elle.
En honorant nos morts, en respectant la
dernière et intangible demeure, à laquelle ils ont droit, nous nous
relions à eux, qu’ils fussent riches ou pauvres, glorieux ou humbles : Dona eis, Domine, requiem sempiternam.”
Bruno Gollnisch. http://www.gollnisch.com
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