C’est la crise, c’est
l’austérité, la rigueur, le « coût du travail » devient LA
préoccupation, et voilà qu’on commence à nous sensibiliser aux bienfaits
du gaz de schiste. Qui permettrait aux Etats Unis de devenir bientôt
exportateur de pétrole. Autant dire que ce sera le Pérou. Faisons le
point sur le sujet, sans idéologie, alors que le lobbying auprès des
institutions européennes et même françaises n’a jamais été aussi
important.
D’abord, on nous dit qu’aux Etats Unis le gaz de schiste fait des merveilles. Le magazine Challenges titre par exemple « Le gaz de schiste, sauveur des Etats Unis ».
Alors qu’Obama parlait d’énergies vertes il y a quatre ans, voilà que
le pays a décidé de laisser faire la « puissance industrielle ».
Le gaz de schiste,
on le sait, se trouve en profondeur, et pour le faire sortir on envoie
de l’eau à très haute pression dans le sol, accompagnée d’un cocktail de
produits chimiques. On le récupère sous forme de gaz, ou de pétrole
mais dans une moindre mesure. Alors évidemment, les très puissantes
compagnies gazières et pétrolières sont au taquet pour récupérer le
marché.
En quatre ans, les USA sont passés de 5 à
6,2 millions de barils de pétrole produits chaque jour. Les USA sont
donc indépendants au niveau de leur fourniture de gaz et l’Agence
internationale de l’énergie révèle dans une étude récente que les Etats
Unis seront « le plus gros producteur de pétrole en 2017 et exportateur
net de brut autour de 2030 ». Et 600.000 nouveaux emplois sont attendus
dans le secteur du gaz de schiste et du pétrole d’ici 2020. Et le
cabinet PricewaterhouseCoopers surenchérit : ce sont même un millions
d’emplois qui seront crées d’ici 2025.
Challenges explique « Selon l’institut IHS Global Insight, l’accès à un gaz bon marché produit localement pourrait accroître la production industrielle de 2,9% en 2017 et de 4,7% d’ici à 2035. Cette année-là, la contribution du gaz non conventionnel au PIB devrait atteindre pas moins de 332 milliards de dollars. »
Challenges explique « Selon l’institut IHS Global Insight, l’accès à un gaz bon marché produit localement pourrait accroître la production industrielle de 2,9% en 2017 et de 4,7% d’ici à 2035. Cette année-là, la contribution du gaz non conventionnel au PIB devrait atteindre pas moins de 332 milliards de dollars. »
Autrement dit, l’ensemble du monde
économique applaudit cette invention. On parle de « renaissance
industrielle ». Mais à quel prix ? .
On nous vante les mérites du gaz de
schiste car il diminue les gaz à effets de serre, et en plus ça ferait
baisser les prix de l’énergie en général (nucléaire, pétrole, gaz,
charbon…). Et surtout parce qu’il promet une belle rentabilité dans les
10 ou 15 ans à venir.
Mais déjà, on s’aperçoit que le gaz de schiste créé des gaz à effets de serrecar du méthane ou du benzène s’échappent lors du forage des puits.
D’après Environmental Health Perspectives
du mois de juillet, plus de 20 000 puits devraient être creusés chaque
année aux USA d'ici à 2035, ainsi que 10 000 puits pour le pétrole de
schiste.
Quant à la consommation d’eau, elle va exploser également
et son prix avec. Et il faut de l’eau potable pour envoyer dans le sol
avec tous ces produits chimiques ! Dans le Nord Dakota, la dernière
source d’eau potable dans toute une zone est justement la seule dans
laquelle pompent les industries du gaz de schiste, si bien que les
paysans n’ont plus d’eau. Dans cet Etat, il faudra bientôt 23 millions
de gallons (87 millions de litres) d’eau potable par jour pour exploiter
les puits. Et tout vient par camion….
L’option de recycler l’eau semble assez lointaine car cela augmenterait le coût d’extraction de 75%,
nous dit une entreprise du secteur. Et recycler quoi ? Plusieurs
centaines de produits chimiques sont injectés dans le sol avec l’eau et
le sable, et on ne sait même pas lesquels : la composition de la mixture
est couverte par la loi US sur les brevets.
Aux Etats Unis, plus de 1.000 cas de contamination de l’eau aux abords de sites de forage ont été dénoncés auprès des tribunaux[1]. Des familles doivent être approvisionnées en eau potable car celle du robinet n’est plus propre à la consommation. Ces transports d’eau ont coûté 10 millions de dollars à la Pennsylvanie en 2010.
Il y a en fait tellement de méthane dans
l’eau de certaines zones que l’eau en devient même explosive, comme le
montre le film Gasland. Mais, on y trouve aussi du baryum (14 fois la
dose normale), du benzène (373 fois la dose standard) et tout un tas
d’autres produits, selon une étude de 2010 du Center for Healthy
Environments and Communities (CHEC) de l’université de Pittsburgh. En
décembre 2007, une maison de Cleveland dans l’Ohio a carrément explosé à cause des infiltrations de méthane..
GASLAND
GASLAND
En outre, on ne sait pas jusqu’à quand
l’exploitation du gaz de schiste sera rentable. Une fois que le
territoire aura été bien saccagé, il est probable que les industries
s’en aillent, laissant des nappes phréatiques polluées et un pays qui
ressemble à un véritable gruyère.
Aux Etats Unis où on nous dit que le gaz de schiste, c’est génial, certains Etats comme le Michigan demandent un moratoire sur leur exploitation.
Lobbying
Loin de toute préoccupation environnementale, l’AIE explique que « Les
développements dans l'énergie aux Etats-Unis sont profonds et leurs
effets vont se faire ressentir bien au-delà de l'Amérique du Nord et du
secteur ». Plantée, l’Arabie Saoudite, aux USA le retour de la
puissance : en 2017 les USA seront les premiers producteurs de pétrole,
devant l’Arabie Saoudite, et en 2025 ils seront « numéro un mondial incontesté de la production gazière mondiale »,
devant la Russie. A lire de telles envolée lyriques, on se croirait
presque dans une foire, avec un type en train de nous dire que son
produit lave plus blanc.
Les industriels estiment qu’en Europe,
c’est en France et en Pologne qu’on a le plus de gaz de schiste. Et en
Europe, il n’y a aucune législation cohérente pour encadrer les forages.
Les technocrates de Bruxelles sont
évidemment dans les petits papiers des lobbies gaziers et pétroliers.
ExxonMobil, Halliburton, Statoil, Shell, PGNiG, Total, OMV et toute la
clique sont sur le pont. Cela a l’air de marcher puisqu’on prend le
chemin d’une législation extrêmement laxiste. L’industrie chimique est
également dans la course, rêvant déjà à l’explosion de ses ventes.
Selon les industriels, la « viabilité économique » du gaz de schiste est conditionnée à une réglementation minimaliste.
Mais pourquoi se gêner ? Les peuples
européens, qui reviennent sur un siècle d’acquis sociaux, en sont à
demander eux-mêmes toujours plus d’austérité, alors qu’on sait
parfaitement que c’est contre productif et sans limites.
Bref, bien que plusieurs rapports européens soulignent les risques environnementaux
de l’exploitation des gaz de schiste, les lobbies continuent à
travailler. Et c’est ainsi qu’au printemps 2012, deux projets de textes
ont été déposés par les commissions de l’Environnement et de l’Industrie
du parlement européen. Et les deux étaient favorables à l’industrie, précise le Corporate Europe Observatory (CEO). Le vote est prévu fon novembre.
Et puis, l’industrie a des relais chez
les parlementaires via d’anciens députés européens ou attachés de
cabinet de députées européens. Des cabinets de lobbying comme
Burson-Marsteller (qui représente par exemple Shell), FTI Consulting (représentant Halliburton) ou Fleishman-Hillard (qui bosse notamment pour ExxonMobil ou pour l’American Petroleum Institute)
organisent avec leur centaine de lobbyistes des événements, par exemple
Lors d’une rencontre avec la DG Environnement, un représentant de Shell
affirmait que « Les gaz de schistes représentent un secteur
marginal pour les (grandes) firmes et des coûts trop élevés chasseraient
ces entreprises des gaz de schistes dans l’UE », selon le CEO.
La firme US Talisman Energy,
spécialisée dans le forage des gaz de schistes, ainsi que Marathon Oil,
qui travaille sur la mise en valeur des gaz de schistes aux Etats-Unis,
font appel à Hill+Knowlton Strategies pour communiquer avec la Commission.
Hill+Knowlton soutient aussi l’America’s Natural Gas Alliance (ANGA), qui est l’association professionnelle du gaz aux Etats-Unis et cherche à rendre le gaz de schiste écologique aux yeux du public et des institutions.
Le CEO écrit que « Des documents
obtenus par le biais de la loi sur la liberté de l’information montrent
que des représentants des Directions Energie, Environnement et Climat
rencontrent tous de nombreux lobbyistes de l’industrie, à propos de la
mise en valeur des gaz de schiste en Europe. Entre janvier et août 2012,
treize réunions formelles avec pour thème les gaz de schistes ont eu
lieu entre la Commission et des représentants d’ExxonMobil, Talisman
Energy, Shell, Statoil, Halliburton, Chevron et GDF Suez ».
L’ANGA promet ainsi des millions
d’emplois aux Etats Unis avec le développement du gaz de schiste et
estimait qu’en 2008, 2,8 millions d’emplois avaient été créés par le
secteur du gaz de schiste. Mais combien ont été détruits dans le même
temps, l’histoire ne le dit pas. En tout cas, le chômage ne baisse pas aux Etats Unis.
Les lobbyistes ont même inventé la « gaz week »,
avec une soirée au Ralph’s Bar, place du Luxembourg à Bruxelles.
Organisée fin avril 2012, sur quatre jours, cette « semaine du gaz »
était le prétexte à quelques causeries entre lobbyistes du gaz et représentants européens.
La veille du vote du rapport portant sur les gaz de schistes au Comité Environnement du
Parlement, le rapporteur, le député
Boguslaw Sonik et son compatriote Bogdan Marcinkiewicz (députés du Parti
populaire européen) donnaient un banquet débat sur les gaz de schistes, co-organisé avec Lewiathan, la Confédération polonaise des employeurs privés. Accessoirement, Marcinkiewicz est aussi président du conseil d’administration de deux compagnies de gaz (CETUS Energyka et LNG-SILESIA).
Nos députés européens peuvent aussi
adhérer au Forum Européen de l’Energie, destiné à organiser des
événements avec les acteurs du secteur de l’énergie, y compris, donc,
les parlementaires. Parmi les membres,
on retrouve sans surprise e-on, EDF, Shell, Siemens, Statoil, Enel,
Areva, Chevron, ENI, ERDF, Exxon, Lujoil, OMV, GDF Suez ou encore Total.
On a aussi, parmi les parlementaires en question, on a Corinne Lepage, vice présidente de la Commission Environnement et de la Santé publique, mais aussi tout un tas d’autres parlementaires membres de diverses commissions.
Et chez nous ?
De fait, l’heure est aujourd’hui à nous démontrer que l’extraction de ces gaz de schiste ne va pas ravager notre territoire qui est aussi, n’en déplaise à certains une zone touristique et agricole.
On va nous sortir des études bidons soi-disant indépendantes, comme ce fut le cas aux Etats Unis,
pour nous dire que le gaz de schiste, ça va être super. Comme pour les
OGM, les pesticides, les antennes téléphoniques, les vaccins etc.
Et pour faire passer cela dans la presse, rien de tel qu’un petit voyage tous frais payés pour deux ou trois « journalistes » du Monde : Total a payé un voyage de presse aux Etats-Unis à des journalistes français, y compris trois journalistes du Monde. Cet investissement a été rentabilisé, puisque les journaux ont appelé à repenser l’interdiction de la fracturation hydraulique. Le fait que Jean-Michel Bezat n’ait pas mentionné que le voyage de ce reportage avait été payé par Total provoqua quelques débats au sein de la rédaction.
Et pour faire passer cela dans la presse, rien de tel qu’un petit voyage tous frais payés pour deux ou trois « journalistes » du Monde : Total a payé un voyage de presse aux Etats-Unis à des journalistes français, y compris trois journalistes du Monde. Cet investissement a été rentabilisé, puisque les journaux ont appelé à repenser l’interdiction de la fracturation hydraulique. Le fait que Jean-Michel Bezat n’ait pas mentionné que le voyage de ce reportage avait été payé par Total provoqua quelques débats au sein de la rédaction.
En réalité, « Pour effectuer une
fracturation hydraulique, chaque puits nécessite 20 millions de litres
d’eau mélangés à du sable et à un cocktail d’environ 500 produits
chimiques », nous dit-on sur un blog de Rue 89, « On
peut admirer au Texas des files de camion de plus de trois kilomètres
de long qui attendent consciencieusement d’injecter leurs marchandises
dans le sous-sol. Le processus de fracturation en lui-même dure environ
cinq jours, et le puits doit être alimenté toutes les douze minutes par
un nouveau camion. Au final, 80% de l’eau injectée – soit seize millions
de litres de cette mixture, stagnent dans le sol, et personne n’est en
capacité aujourd’hui d’indiquer le devenir de cette « potion magique ».
Bientôt, ce seront pas moins de
450 000 puits qui seront forés dans le sol des Etats-Unis. Pour évaluer
le désastre, le calcul est simple : environ 7 200 milliards de litres
d’eaux polluées, soit l’équivalent de 2,4 millions de piscines
olympiques stagneront dans le sous-sol américain. Et puis le mieux de
toute manière est d’attendre, au cas où effectivement on trouverait une
méthode d’extraction non polluante, les prix du gaz continueront à
augmenter ».
La biodiversité aussi serait touchée par cette industrie. Les auteurs d’un rapport de l’Europe sur les risques de cette exploitation évoquent la dégradation ou la disparition totale du milieu naturel autour des puits, en raison de prélèvements excessifs d’eau et aussi de la pollution importante autour de ces sites. Un autre rapport explique
que le risque de contamination des eaux souterraines est «élevé», à
cause des accidents et des défauts des structures des puits. Le rapport
évoque aussi la possibilité de fractures naturelles dans le sous-sol qui
favorisent le contact entre les zones fracturées par l'industrie et les
nappes d'eau potable. Mais dans ce rapport également, les risques sont
sous évalués.
La question est très simple : comme il
n’y a pas d’autre méthode d’extraction, on doit simplement se demander
si c’est bien ce que l’on veut chez nous ?
C’est ce que semblent dire des gens tels que Rocard ou Louis Gallois qui décidément feraient mieux d’aller se reposer.
En France un permis d’exploration permet
à une entreprise d’accéder à la ressource découverte, c’est-à-dire de
l’exploiter. Du coup, quand un permis d’exploration est refusé par
l’Etat, les firmes introduisent des recours en Justice.
Et apparemment, les industriels n’annoncent même pas la couleur
lorsqu’ils demandent un permis d’exploration d’hydrocarbures dans une
zone précise : l’Etat en a annulé sept en septembre parce qu’il estimait qu’en réalité, il s’agissait d’explorations visant à exploiter du gaz de schiste.
Mais, de nombreuses demandes de permis sont en cours d’étude dans nos administrations, et des permis d’exploration ont déjà été attribués dans plus de la moitié des départements de France,d’après une carte interactive du ministère de l’Environnement.
Libération nous apprend aussi que « la
contre-offensive progaz de schiste est même devenue un cas d’école,
puisque des étudiants en master d’intelligence économique ont planché
sur une campagne, fictivement commanditée par Total, visant à démonter les arguments des anti. Leur document conseille de viser «politiques, médias, scientifiques et populations», de créer une commission «scientifique indépendante», d’inviter les médias sur place, voire de recruter un ambassadeur qui soit à la fois «scientifique et populaire», avant
de suggérer le nom de l’ex-animateur de télé Jérôme Bonaldi. Total
dément catégoriquement - et pour la seconde fois en un an - avoir
commandé une telle étude, laquelle circule en boucle sur le Net ».
En mai 2012, le groupement des entreprises et professionnels de la filière des hydrocarbures (GEP-AFTP), a annoncé le lancement d'un comité de réflexion sur l'extraction du gaz de schiste constitué de professionnels (géologies, ingénieurs etc.). Et qui « a
pour objectif d'apporter des réponses factuelles, techniques et
dépassionnées aux principales questions soulevées par l'exploitation de
cette source d'énergie non conventionnelle». Autant dire qu’il s’agira de propagande pure et dure…
Bref, la bataille fait rage et les
industries mettent le paquet, de manière coordonnée et aussi
individuellement, pour faire plier les récalcitrants tout en imposant
des réglementations favorables au niveau européen.
On va nous inonder d’études bidons,
d’interviews d’experts à la solde des industries, pendant que les
lobbyistes inviteront nos élus à des repas dans des restos
gastronomiques. Au final, comme à chaque fois, l’intérêt des citoyens va
être sacrifié pour des intérêts particuliers, pour un bénéfice privé à
court terme.
http://dondevamos.canalblog.com/
[1] En 2010, une famille a ainsi touché 4,1 millions de dollars de la part de la firme Cabot Oil and Gas Corp, qui préfère un arrangement plutôt qu’un procès et une jurisprudence retsrictive.
[2] Leader en Europe centrale dons le gaz et le pétrole, qui travaille beaucoup avec le russe Gazprom.
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