PARIS (NOVOpress Breizh) — Dans son livre Éloge du populisme(1),
Vincent Coussedière propose une analyse à nouveaux frais de ce que
recouvre le vocable “populisme”, analyse fondée philosophiquement et des
plus utile politiquement.
Le terme de populisme est polysémique, il recouvre des formes
variées, à la typologie délicate à fixer, et dont l’origine est mal
discernable : les narodniki de la Russie tsariste, le mouvement rural américain de la fin du XIXème siècle, notre boulangisme ? Pourquoi pas nos anciennes et récurrentes révoltes paysannes ?
De nos jours, sa disparité n’est pas moindre en Europe et ailleurs :
de G. Wilders et un populisme libertarien sinon “queer” à O. Fraysinger
en passant par feu J. Haider, de notre FN v1 puis v2 à la Ligue du Nord
(Italie) et ses aléas, du PiS des frères Kaczynski (Pologne), ou du Tea
Party américain et de Chavez à l’Aube dorée grecque : la palette est
large, les expressions politiques sont pour le moins diverses. Malgré
tout, on peut trouver une certaine unité à ce phénomène.
D’abord, et particulièrement en Europe, il est un trait commun qui se
détache nettement : le refus de l’immigration de peuplement, de la
contre-colonisation massive Sud-Nord, et le rejet de l’islamisation
intolérable des pays concernés qui en découle le plus souvent.
De façon plus complexe, on peut y repérer une façon de creuset où se
transcendent les clivages sociaux, générationnels ou politiques
“traditionnels”, creuset façonné par les réactions multiples, non encore
pleinement conscientes ni tout à fait articulées, à ladite
“mondialisation” et à ses conséquences destructrices sur l’ethos des peuples tant et plus que sur le social et l’économique.
S’y élabore un peu à l’aveugle un refus du post-humanisme globalisé
exclusivement technique et marchand — virtuel et festif en mode “démo”
mais dévastateur et mortifère en vérité — qui réveille conjointement la
conscience culturelle et la conscience politique, en remettant en jeu la
question de la “gouvernance”, comme on dit aujourd’hui, et bien au-delà
celle du destin des peuples et des civilisations. C’est une résistance
vitale et essentiellement politique.
Cependant,
“populisme” est devenu un leitmotiv dans la bouche des autorisés de
parole du complexe clérico-médiatique pour parler peu ou prou du peuple,
connotation péjorative et intellectuellement méprisante à la clef.
C’est que le peuple renâcle à sa disparition politique, et à sa
disparition tout court. Pire : il ne se laisse pas totalement berner par
les idéaux si merveilleux qu’on lui ressasse à longueur de temps pour
lui faire gober l’opération : l’antiracisme controuvé, le
multi-culturalisme et son fabuleux “vivre ensemble”, l’européisme et son
corollaire le mondialisme, l’écologisme fondamentaliste, le paritarisme
et l’égalitarisme forcenés, le révisionnisme historique et le
relativisme à sens unique, et tant d’autres calembredaines,
contradictions logiques, délires, désarrimage de tout réel, qui font
les délices de nos idéologues enragés et béats d’admiration devant leurs
inventions.
Le peuple est décevant, il se rebiffe, il est populiste ! On a donc
bien raison de tout faire pour en changer, ou mieux : pour ne plus avoir
de peuple à considérer. À cet égard gauchistes libertariens et
technocrates sont des “alliés objectifs” : les uns, soixante-huitards et
leur descendance, n’ont pas digéré que ce peuple ait été incapable de
faire la révolution qu’ils rêvaient de diriger et le lui font payer avec
tout leur dédain, les autres entendent bien que la “gouvernance”
techno-économique et le Marché s’imposent à tous, mondialement, sans
plus de politique.
Hyper-individualisme et hyper-libéralisme sont deux facettes de
l’hubris post-moderne : “soi-mêmisme” et oligarchie progressent de
concert. Au prix de la “défaite de la pensée” comme du politique, donc
au détriment total du peuple et de la société.
Car, comme le rappelle à juste titre V. Coussedière : « Il n’y a
pas de politique sans peuple, ni de peuple sans politique. (…) Le peuple
est une réalité vivante dont l’être-ensemble est politique ».
Cela dit, le peuple n’a jamais “produit” lui-même son idéologie politique, ce que le terme “populisme” suppose. En vérité : « Le populisme est un moment de crise de l’être-ensemble d’un peuple ».
Plus
précisément, le populisme n’est pas une aspiration à une démocratie
plus directe, mais à une démocratie représentative effective, avec des
dirigeants et une élite fidèle : « Seul un peuple politique peut devenir populiste ». Le peuple « veut qu’on le gouverne selon son intérêt », selon l’intérêt du pays.
Le populisme n’est pas non plus la démagogie, laquelle est une
réalité indépendante, consubstantielle à la démocratie elle-même, depuis
l’origine : « L’irruption du démagogue sur la scène publique n’est cependant pas la cause du populisme mais sa conséquence ».
Salutaire remise à l’endroit ! Le terme de populisme sert à reporter
sur le peuple la responsabilité de la démagogie populiste.
« Le populisme est donc le moment où l’essence du politique est encore abritée par le peuple ».
Il est l’errance de l’être politique du peuple, désemparé de se voir
impuissant au moment où il faudrait agir collectivement de façon
décisive, au regard des crises qui de tous côtés convergent et nous
menacent vitalement. En réalité : « Il y a beaucoup plus de mémoire
du politique dans le populisme du peuple que dans le mépris des experts
pour ce même populisme ». Au point que c’est peut-être là que git notre ultime ressource, notre ultime possibilité d’avenir.
En l’occurrence : « Le populisme n’est pas uniquement une
réaction à la perte de la capacité du peuple, il est aussi une réaction à
la destruction de son être social, fondement de sa capacité politique ».
C’est ici le cœur du livre, à mon sens : l’être-ensemble
“pré-politique” d’un peuple, c’est sa sociabilité. Un peuple vit des
relations sociales des individus qui le composent. Il n’y a pas de
solution de continuité du rapport simple de voisinage à celui des
différents rôles au sein de la société, du geste quotidien à la culture,
de la civilité à la civilisation d’un pays.
Dans la tradition, cette sociabilité peut avoir une base négative
(Hobbes) ou se cristalliser dans une Volonté générale (Rousseau), c’est
aussi bien l’amitié politique d’Aristote que la fraternité
révolutionnaire. Toujours cela suppose un sentiment d’appartenance
communautaire, de communauté de destin, de correspondance
“civilisationnelle” : « La sociabilité naît de la similitude, de la ressemblance entre amis ».
Or : « Cette importance de la similitude condition de la
sociabilité est aujourd’hui l’objet d’un véritable tabou et d’un
refoulement collectif. C’est parce qu’on confond la similitude avec
l’Identité qu’on refuse d’en penser l’importance politique. »
Le distinguo entre “identité” et “similitude”, le fourvoiement sur le
thème de “l’identité” (qu’il n’y a pas à proprement parler, qu’il n’y a
jamais eu) en lieu et place de la similitude (qui renvoie à la question
essentielle de l’origine — qui est ce qui toujours nous devance), ces
considérations font l’objet de remarques de premier ordre dans ce livre,
importantes pour la réflexion politique.
Si l’on extrapole : en guise de “contrat social” on peut distinguer
celui qui est de pure convention (les “Français de papier”) et celui qui
engage les Français par l’origine, que celle-ci soit “historique” ou
pleinement endossée par choix et volonté. Ce dernier est le seul
fondement politique légitime.
Les
civilisations de l’identité n’ont pas vraiment de rapport à l’origine,
et à sa dynamique. Seul le contrat qui relie selon l’origine les hommes
en Cité rompt avec l’identité et les liens premiers. C’est pourquoi il y
a une connivence profonde entre les versions individualistes
(soi-mêmisme post-moderne) et communautaristes (l’islamisme, par
exemple…) des civilisations de l’identité contre les civilisations de
l’origine. Où l’on retrouve les alliances envisagées supra… et les
risques de l’apprenti sorcier.
Il faut donc « repenser la sociabilité politique du peuple ». En effet, la sociabilité, comme tout le reste, a été progressivement absolutisé en même temps que réifié : «
La sociabilité n’est plus le produit des individus, de leurs actions,
de leurs capacité d’agir pour l’autre ou avec l’autre, elle devient une
substance, le social, ou une marchandise, le sociétal. Au lieu que la
sociabilité non politique soit le fondement de la politique, on attend
que la politique qu’elle fonde ou refonde le lien social. Faire de
l’Etat le producteur du social lui-même est incohérent avec une vision
purement politique et artificialiste du peuple. La politique, à travers
la politique sociale, doit imprégner toutes les relations humaines, pour
créer de toutes pièces des solidarités qui n’existent pas, puisque le
peuple lui-même n’existe pas. »
V. Coussedière fait alors appel aux travaux d’un sociologue à part,
G. Tarde, qui montre qu’il n’y a rapport social ou sociabilité que s’il y
a effort d’imitation. On pourrait utilement remonter à la mimèsis. Le
contrat peut seulement alors s’installer : « Ce n’est pas un droit
commun qui fonde la similitude du peuple, mais c’est une certaine
similitude du peuple qui permet à un droit commun de s’établir. »
L’assimilation (assimiler, c’est rendre similaire) est donc la seule
solution pour tout apport humain exogène, laquelle assimilation ne se
peut donc concevoir que pour des individus, pas pour des masses, dans la
durée, et cela plus ou moins selon l’éloignement culturel et
civilisationnel qu’ils ont au peuple qu’ils veulent intégrer.
On ne peut au passage que relever la contradiction flagrante de
l’idéologie multi-culturaliste, pour en souligner la duplicité : on
dénonce l’attachement du peuple d’accueil à sa similitude, c’est du
“populisme”, et on encense l’attachement des immigrés à la similitude de
leur peuple d’origine, les encourageant à cultiver leur “différence” et
à prolonger leur civilisation au beau milieu de la nôtre !
Mais qu’en est-il de la notion de “peuple” ? Elle peut être prise comme ethnos (le peuple organique et historique), comme dèmos
(le peuple politique), ou comme classe sociale. Le populisme intègre
ces notions, et les dépassent. Il renvoie à des classes sociales :
classes populaires alliées avec tout ou partie des classes moyennes dès
lors qu’ensemble ils subissent une altération de leur être politique et
de leur situation sociale ; mais il reprend à son compte « l’idée »
du peuple, dans l’imaginaire politique qui participe de la légende du
pays. Et dans ce “peuple”, tous sont finalement repris, y compris les
“experts” et autres technocrates, qui ne seraient pas ce qu’ils sont
sans… le peuple dont ils font encore partie, quoi qu’ils en aient.
Ces éléments de fond se retrouvent sur un plan politique plus
superficiel : le “populisme” est aujourd’hui une réaction à la crise
profonde de la démocratie représentative, dénoncée en France à longueur
de scrutin depuis des décennies (abstentions, votes blancs, votes nuls,
etc.). F. Hollande est le plus mal élu des présidents de la Vème République, il n’a rassemblé que 39 % des inscrits et 48,6 % des votants (ne parlons pas des législatives !).
« La fracture n’est plus tant entre la gauche et la droite
qu’entre les classes dominantes, indifféremment de droite ou de gauche,
et les classes populaires ». (Christophe Guilluy, Fractures françaises).
C’est pourquoi le populisme est attaqué à gauche comme à droite, mais
aussi pourquoi gauche comme droite sont au fond scindées en deux, malgré
la logique des appareils et la course aux postes et aux prébendes
qu’ils structurent (le pouvoir, chacun sait qu’il n’y en a plus que
l’ersatz : la classe dominante locale n’est plus que le fantoche d’une
superclasse mondiale, d’une oligarchie ayant échappé à presque toutes
les contraintes politiques et étatiques). Cela dans le cadre d’un jeu
politique “officiel” qui maintient fictivement deux blocs “majoritaires”
(majoritaires entre guillemets : même ensemble les principaux “partis
de gouvernement” ne le sont plus guère, en bonne arithmétique
électorale).
La
fracture n’est pas entre un “peuple de gauche”, celui que je côtoie du
côté de Notre-Dame des Landes, et un “peuple de droite”, celui que je
côtoie dans les manifestations contre le prétendu “mariage pour tous” :
ces deux là se cherchent à tâtons, recherchent leur unité première pour
se retrouver et se défendre comme peuple, comme pays — malgré
l’aveuglement volontaire et acharné de la classe médiatico-politique et
leur incessante propagande, et malgré l’exploitation de cette situation
par les démagogues.
Cette jonction est au cœur du “populisme”, qui n’est rien
d’idéologique. Le populisme n’est pas un “parti” mais un rassemblement
possible ; il n’est pas un programme : il est un appel, une attente.
C’est à défaut que ceux qu’il touche se rabattent, partiellement et sans
satisfaction réelle, sur les démagogues qui flairent ce potentiel, mais
qui ne peuvent que le mal représenter, et le trahir.
Ce qui motive ce populisme, ce à quoi il est attaché, ce qu’il veut
défendre ou recouvrer, n’en est pas moins précis, fort, et essentiel. Il
reste à libérer sa parole, lui donner forme et expression, la
structurer, en construisant les modalités d’organisation idoines à cet
objectif d’émergence, dans une action volontaire et à nouveau réellement
politique — au sens noble du terme, à l’opposé du mauvais théâtre de
boulevard des politicailleries au stade terminal d’une Ve défigurée et
agonisante.
La ligne de fracture profonde est bien entre la caste des tenants de
la “mondialisation” et le désir du peuple de recouvrer une souveraineté
légitime, à travers la restauration du politique à tous les échelons, à
commencer par le pivot de tous : la nation, soit précisément ce que la
“globalisation” cherche à ruiner et faire disparaître à toute force. En
même temps que le peuple, comme par hasard… Avec toute la puissance du
“système”, et l’aide des idiots utiles de toutes les variantes du
totalitarisme mondialisé qui s’annonce. Nous assistons à une
course-poursuite terrible entre la liquidation de nos anciennes nations
et de nos peuples et la prise de conscience collective nécessaire à la
reprise en main de leur destin par ces derniers.
Le livre développe et approfondit ces idées, il analyse l’histoire de
la décomposition politique du peuple français au cours des dernières
décennies, et il débouche sur une sorte de prospective politique : il
est plus riche que ce que les extraits cités et les indications faites
ici ne l’indiquent. J’invite chacun à se faire son idée en le lisant, et
en poursuivant la discussion, ici et ailleurs.
Le populisme est gros d’une révolte. Il lui manque un débouché
politique, non démagogique, issu de ses rangs. Si cette résistance
trouve à s’unifier largement et à s’organiser, si une parole politique
et le peuple se trouvent, alors ce sera une révolution, une révolution
conservatrice d’un genre inédit. Populaire, elle régénèrera les élites,
de la base au sommet de la société, contre tous les parvenus.
Réconciliatrice, elle refondera un futur digne du passé, dans le respect
de l’immémorial. Sur le mode de la reprise, elle réorientera le destin
du pays.
Didier Bourjon pour NOVOpress Breizh http://fr.novopress.info/
1) « Éloge du populisme » de Vincent Coussedière, éditions Elya 16 €
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