Pas facile de mesurer, même pour un pays aussi proche que
l'Italie, les conditions politiques locales. Ainsi la menace de démission de
Mario Monti, formulée le 9 décembre, si elle devait se confirmer est ressentie
comme une formidable menace pour la gouvernance européenne. Le motif de cette
crise réside dans l'annonce d'un retour de son prédécesseur sur la scène
électorale.
Or les choses qui paraissent simples au départ, se compliquent
souvent à l'usage. Les organes de la désinformation parisienne nous apprenaient
ainsi, le 12 décembre, que Silvio Berlusconi change son fusil d'épaule. Il
se dit prêt à se retirer en cas de candidature du chef du gouvernement, aux
élections législatives anticipées (1)⇓ "J'ai proposé à Monti d'être
candidat en tant que chef de file du centre modéré et il a dit qu'il ne le
voulait pas. Si sa position change, je n'aurai aucun problème à m'écarter (...)
Je n'ai pas d'ambition personnelle",
déclare maintenant l'ancien président du Conseil.
Observons aussi que tout ceci pose en fait la question de la
démocratie dans chacun de nos pays que nous croyons encore des États
souverains.
Ce n'est pas en effet dans le cadre des débats internes, que
fut décidée la chute de deux gouvernements, celui de Silvio Berlusconi à Rome
et celui de Georges Papandréou à Athènes. Ils furent éliminés en fait lors de
la réunion de Cannes du 3 novembre 2011 en marge du G20.
Les deux personnages n'incarnaient à vrai dire, dans leurs pays
respectifs, ni les mêmes idées, ni les mêmes pratiques, ni les mêmes
configurations psychologiques
Mais l'un comme l'autre se trouvaient confrontés à la même
situation financière inextricable. Celles-ci résultent de pratiques budgétaires
désormais incompatibles avec l'Union monétaire.
Il se trouve cependant que l'un comme l'autre disposait de
majorités parlementaires. Assurant leur légitimité au regard des règles
démocratiques celles-ci les avaient soutenus jusque-là.
On jugeait alors inadmissible le cas du chef de gouvernement
grec, président de l'Internationale socialiste. Mais on ne lui reprochait pas
la suite d'erreurs d'orientations économiques, pourtant impardonnables, et
démagogiques, infligées à son pays à partir de sa victoire électorale de
l'automne 2009.
On n'acceptait simplement pas l'idée qu'il pût soumettre à
référendum l'accord financier de sauvetage conclu avec ses partenaires
européens et avec les bailleurs de fonds. Cette procédure aurait pu sembler
pourtant la moindre manifestation de politesse à l'égard du peuple souverain.
Quant à son homologue de Rome on avait laissé passer toutes ses
frasques et incongruités : on n'acceptait pas son esquisse, tant soit peu
bâclée, en quelques jours, de rétablissement des comptes publics. Or,
rappelons-le, les finances de l'État italien dégagent ce qu'on appelle des "excédents
primaires", c'est-à-dire des amorces
de remboursement de la dette. En revanche, depuis plusieurs années les nouveaux
emprunts contractés par le Trésor Public hexagonal servent à financer les
échéances des prêts antérieurs. (2)⇓
La manière dont les deux hommes furent alors débarqués a fait
l'objet d'un témoignage, pour une fois recevable, venant d'un témoin direct, le
petit ministre parisien des finances Baroin. Il n'hésite pas d'ailleurs à
contredire aujourd'hui, dans son livre (3)⇓ les déclarations qu'il diffusait à
l'époque pour convaincre le monde de la solidité de la Zone Euro.
Et donc, sous la pression du Directoire de fait au sein de
l'Union européenne, et Berlusconi et Papandréou ont dû laisser la place.
Celui-ci s'est retiré au profit d'un gouvernement provisoire constitué, pour
quelques mois, autour du respectable banquier central Loukas Papadimos.
Celui-là s'est démis au profit d'un ministère technique dirigé par Mario Monti,
honnête transfuge de la Commission.
Certains ont cru pouvoir monter en épingle les liens réels ou
supposés avec la finance internationale et plus précisément avec la firme
Goldman Sachs. Ils auraient sans doute gagné en crédibilité en pointant
d'autres ramifications : le malaise est le même, on l'exorcise comme on
veut, ou comme on peut.
Ainsi tout le monde cite cette fameuse banque, presque comme on
pourrait parler des clients de la SNCF, mais on omet soigneusement de rappeler
le rôle néfaste de Strauss-Kahn aux côtés de Papandréou, ou la réunion du
groupe de Bilderberg à Vouliagmeni en 2009, à laquelle participait le gentil
fonctionnaire de l'OCDE Papakostantinou qui allait deviendra ministre
[socialiste] des Finances du calamiteux gouvernement.
La réalité cependant n'est pas aussi
"journalistique" ; elle ne correspond pas nécessairement à un
"complot" : elle résulte en effet d'une contradiction mécanique.
Ainsi lorsque Mario Monti annonce sa décision à la fois "irrévocable", mais "à terme", et quoique soumise à condition suspensive...
lorsqu'il dit qu'il déclare qu'il se retirera "après le vote sur
la loi d'orientation budgétaire" ...
supposée répondre en décembre 2012 à des objectifs posés en
novembre 2011... il paraît logique de se poser certaines questions
subsidiaires.
L'Italie va de toute manière vers des élections. Anticipées ou
non, la différence ne semble pas considérable. Le parti "démocrate" ex-démocrate sinistre, et ex-communiste, est
présenté comme bénéficiant d'un fort vent en poupe. Que se passera-t-il dès
lors si le nouveau gouvernement remet en cause, comme le suffrage universel
pourrait bien l'y inviter, les conséquences monétaires des accords
européens ?
Conservant pour ma part une certaine sympathie pour Gianfranco
Fini, considéré comme un traître par les inconditionnels berlusconiens, et
actuellement président de la chambre des députés italiens, je consulte toujours
ses commentaires et je lis celui du 9 : à propos de la démission
[annoncée] du chef du gouvernement, il trouve qu'elle "fait honneur à
son sens des responsabilités".
Certes : mais comment compte-t-on s'y prendre pour faire face aux
pressions qui vont, immanquablement s'exercer sur l'état italien et sur sa
Trésorerie du fait de cette hypothétique décision.
Nous disposons, avec la Grèce, hélas pour ce pays, d'un
laboratoire expérimental particulièrement riche en enseignements depuis 2009.
On doit mettre en cause la lucidité de tous ceux qui, depuis,
ont répété successivement "l'Espagne c'est pas pareil",
"l'Italie c'est pas pareil". Ils diront bientôt que "la France
c'est pas pareil", comme les chips et les chipsters, alors qu'en réalité
ce sera pareil, les mêmes causes [le surendettement] provoquant les mêmes
effets [la ruine].
Qu'avons-nous pu observer en Grèce :
1° Ne perdons pas de vue le malheur d'une partie du pays. À ce
jour le chômage atteint officiellement un taux de 24,8 % et les jeunes
prennent comme aux pires heures de l'Histoire, chemin de l'exil. Tous les
journaux de l'Hexagone en parlent. On peut regretter cependant qu'ils en
profitent pour distiller un sous-entendu permanent... celui dont nous ont
toujours intoxiqués les républiques successives "tout va mieux en
France"... comme s'il fallait
remercier notre classe politique de lambeaux de prospérité que l'État central
parisien n'a pas encore gâchés.
2° Les manifestations de masse contre l'austérité se sont
soldées par des échecs. Elles ne servent à rien sinon à renforcer la méfiance
des investisseurs, et même à encourager la sortie, légale ou non, des
capitaux : pourquoi détenir un compte bancaire local susceptible de
changer de devise de référence du jour ou lendemain ?
3° la sympathie des Étrangers ne produit pas grand-chose. Elle
s'émousse très rapidement, dans le meilleur des cas, quand elle ne se
transforme pas en suspicion et hostilité.
4° l'incompréhension des médiats, des observateurs et même des
décideurs les amène à confondre la classe politique et le pays en général, à
assimiler les discours des imprécateurs et de l'opposition aux actes réels du
gouvernement, etc.
Au total les réponses technocratiques à la crise, opérées par
d'irresponsables et molles synarchies n'ont fait dans un premier temps que
renforcer les courants d’opinions protestataires. Fort heureusement, les
baudruches apparues depuis plusieurs mois commencent à se dégonfler.
Car, quelle que soit l'aide extérieure, un pays ne peut s'en
sortir que par lui-même.
La simple "gouvernance", ce mot horrible réduisant
les choses à leur dimension administrative, cela ne suffit jamais. Les mesures
les plus arithmétiquement évidentes requièrent l'adhésion des hommes.
Plus tard l'opinion prend conscience de l'obligation de ne pas
dépenser l'argent dont on ne dispose pas, plus le rétablissement se révèle
douloureux.
Il était bien tard à Athènes en juin 2012 lorsque fut
enfin constitué le gouvernement d'Antonis Samaras.
Et, en France l'heure tourne, au point que le soir tombe, quand
chaque semaine le gouvernement Ayrault annonce de nouvelles dépenses non
financées.
JG Malliarakis http://www.insolent.fr/
Apostilles :
- cf. AFP du 12/12/2012 à 18:42⇑
- cf. "Pour une libération fiscale" chapitre "L'Etau budgétaire de 2012"⇑
- cf "Journal de crise" JC Lattès, 2012, 220 pages.⇑
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