samedi 8 décembre 2012

Syrie, l'interminable guerre d'usure

La grande offensive décisive de la rébellion se fait attendre. Après dix- huit mois d'empoignade, Assad tient bon. Damas et Alep, les deux seules villes qui comptent, restent siennes. L'insurrection ne parvient pas à l'acculer dans les cordes ; pourtant, depuis des mois, les médias occidentaux affirment que « l'infâme dictateur qui fait tirer sur son peuple » est à bout de souffle.
Les succès de l'armée ces mois derniers ont été fatals à nombre des cadres de la rébellion syrienne, qui, en dépit du soutien logistique de l'Otan, ont échoué dans leur tentative d'organiser militairement la paysannerie et le « lumpenprolétariat » syriens.
La configuration est la suivante : paysans et va-nu-pieds des bidonvilles contre citadins. Répétons-le, la révolution qui s'est déclenchée en Syrie ne fédère pas l'ensemble du peuple, c'est une révolte du bas peuple sunnite paupérisé qui cherche sa revanche sur ses oppresseurs alaouites. Le rêve des insurgés n'est pas d'établir la démocratie, mais un régime théocratique du genre de celui de l'Arabie Saoudite, avec la douce satisfaction de voir réduits au statut de citoyens de second rang les non mahométans. C'est dans cette perspective que la jeunesse sunnite rurale est parti à la chasse aux alaouites et aux chiites des grandes villes.
Le fanatisme religieux prospère sur le terreau de la pauvreté
On l'a compris, en Syrie comme ailleurs, le fanatisme religieux prospère sur le terreau de la pauvreté. La crise économique a exacerbé l'état de vulnérabilité dans lequel vivaient déjà des dizaines de milliers de paysans, d'éleveurs et de bergers qui subissent des épisodes récurrents de sécheresses à répétition. Le régime et son train de vie, son étalage obscène de richesses clinquantes (immeubles, automobiles etc..) rend fous les miséreux, en nombre croissant, qui ne supportent plus d'être humiliés et opprimés par la mafia de possédants qui gravite autour du clan et de l'appareil répressif de l'État. Une situation d'autant plus insupportable que les accapareurs sont, aux yeux des croyants de bonne obédience sunnite, des mauvais musulmans, voire des non musulmans.
L'insurrection perdure parce qu'elle s'appuie sur déjeunes ruraux indignés. Il s'agit de déclassés incultes qui estiment n'avoir rien à perdre. Obéissant au fanatisme religieux, et aussi à des dynamiques claniques et familiales, ils mènent un rude mais exaltant combat sous les ordres de petits notables dépourvus d'expérience militaire. Le fait que les insurgés bénéficient de matériel infrarouge et des observations satellites fournies en sous main par Français et Américains ne change pas la donne. Ces informations facilitent seulement embuscades et « retraits tactiques ». Parfois, elles permettent de pirater les communications de l'armée en émettant des faux ordres, générateurs de confusion et de zizanie dans le camp loyaliste.
Le fait est que l'opposition armée des damnés des campagnes, des bourgades et des bidonvilles n'a pas suscité un mouvement de soutien en sa faveur dans les bourgeoisies commerçantes d'Alep et de Damas. Soit elles demeurent dans l'expectative, soit elles soutiennent le régime. Alep n'est pas coupée de Damas. Des bus font le trajet, mais sont parfois forcés à de longs détours. Les aéroports du pays sont toujours sous contrôle du pouvoir, ainsi que les ports. Les périphéries immédiates des deux grandes villes sont sécurisées grâce au quadrillage des rues par les meilleures unités, qui emploient les matériels les plus sophistiqués. Ainsi les garnisons loyalistes tiennent bon face aux assauts et parviennent à éviter que des enclaves insurgées ne s'organisent.
Dans cette empoignade pour le contrôle de Damas et d'Alep, les deux parties ne font aucun quartier. Si les horreurs commises par l'armée et les forces de sécurité syriennes - sans oublier les milices de supplétifs - sont largement évoquées par la presse internationale, les mises en causes sont beaucoup plus rares concernant les exactions de la rébellion : attentats à la voiture piégée, implication contre leur gré de celles et ceux qui désirent demeurer en dehors du conflit, attaques armées contre des villages kurdes, interdiction aux citadins de quitter leurs quartiers alors que des bombardements sont imminents...
Les pertes des insurgés sont énormes, mais ils sont constamment réalimentés en chair à canon par le vivier quasi inépuisable que constituent les innombrables mouvements islamistes de la planète. Depuis le Qatar jusqu'à la Turquie, en passant par la Libye et même par les banlieues françaises, les volontaires pour le djihad arrivent en renfort, pour combattre les « mécréants » et, au besoin, mourir pour la sainte cause du Prophète.
Le régime n'est pas au bout du rouleau
Face à ces excités, peut-être bien renseignés par l'Otan, mais mal commandés sur le terrain, les pertes de l'armée sont faibles mais encore trop nombreuses, car, dans le camp loyaliste, la réserve n'est pas inépuisable. Le régime emploie cependant des milliers de mercenaires du hezbollah libanais en plus de centaines de gardiens de la révolution iranienne déjà venus prêter main-forte.
En dépit de ces renforts, la plupart des observateurs sont convaincus que le régime d'Assad finira sous peu par tomber, ce qui est douteux. Si l'on prend comme exemple le plus proche la guerre en Algérie opposant le pouvoir en place au FIS/GIA, qui a fait 150000 morts en 13 ans pour une population de 35 millions d'habitants, on se demande combien de morts fera celle de Syrie pour une population de 23 millions, avec un apport de djihadistes étrangers beaucoup plus important qu'en Algérie et de nombreux combats urbains, qui étaient chose rare en Algérie...
Dans cette guerre civile asymétrique : aviation, chars et artillerie d'un côté (mais peu d'infanterie), armes légères, masses inépuisables d'insurgés paysans et de volontaires fanatiques de l'autre, la victoire sera au plus endurant. Pour les insurgés ce n'est pas gagné. Assad peut mener une guerre d'usure et tenir encore des mois, voire plusieurs années, tant que son armée ne se désagrège pas.
Henri Malfilatre monde & vie  10 novembre 2012

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