samedi 15 décembre 2012

Tant qu’il y aura des corsaires…

Le visage écrasé contre le bitume, les mains solidement maintenues dans le dos sur lesquelles glissait déjà le métal des menottes, Alexandre goûtait une nouvelle fois les bons traitements des forces de l’ordre mandatées par la République française, démocratique et humaniste. Coupable d’avoir déployé une banderole et craqué quelques fumigènes sur le toit d’un édifice public, il allait, une fois encore, connaître de longues heures de garde vue, parqué au milieu des dealers et des détrousseurs de vieilles dames, soumis au mille petites vexations d’une flicaille rendue encore plus odieuse par la conscience vaguement honteuse des basses-oeuvres politiques auxquelles on l’employait.
Les pinces métalliques volontairement trop serrées, les côtes martelées de petits coups de poings et de coudes, Alexandre eut une pensée amère pour ses « nationaux » qui continuent à brayer « la police avec nous ! » à la moindre occasion et rêvent de képis et de bottes au moment de s’endormir.
Entouré d’une armada digne de l’exfiltration d’un chef maffieux sicilien, il fut conduit vers le fourgon grillagé, première étape d’un parcours désormais bien connu. Demain matin, à l’aube, on allait sonner chez ses parents pour retourner la chambre dans laquelle il ne vivait plus depuis des mois, puis on irait saccager pour la forme son studio sous les toits, bien convaincus pourtant de n’y trouver rien de plus que la dernière fois, à savoir rien. Le scénario était bien huilé. Malgré la force de l’habitude, Alexandre ne put contenir un accès d’émoi à l’idée du voisinage de ses parents, sans doute persuadé que ceux-ci avaient engendré un dangereux criminel alors qu’il n’avait ni sang, ni drogue ou argent sale sur les mains mais simplement un drapeau tricolore et un trop grand amour pour celui-ci. Si seulement il avait pu se contenter d’être un « bon fils » comme les autres, un brave garçon qui joue à la playstation, fume du shit, se branle sur youporn et prépare une école de commerce… Mais non, il avait hérité du sang d’une race française qui se bat et se révolte, qui abhorre la tiédeur et la médiocrité et pense que son passage sur terre a d’autre finalité que la jouissance et la consommation. C’était presque plus fort que lui… C’était d’ailleurs cela, bien plus que la portée ou teneur d’actions militantes au fond assez modestes, qui irritait et insupportait tant le pouvoir : son acharnement entêté à les reproduire, à les multiplier. En face de ce jeune homme à la mâchoire carrée et aux larges épaules qui s’était jeté dans la voie où il y tout à perdre avec la même énergie que mettent tous les autres à l’éviter, les sentinelles et les domestiques du système avaient compris qu’ils avaient à faire avec quelqu’un qui ne renoncerait pas, qui ne transigerait pas, qui ne se soumettrait pas… C’était son caractère, peut-être même davantage que ses idées, qui inquiétait les fonctionnaires de la bien pensance et de la résignation aboulique. Un fanatique ? Oui, peut-être… sans doute même, mais de l’espèce la plus dangereuse, celle qui n’est pas mue par la haine mais par l’amour, amour d’une terre et d’un peuple dont son activisme débridé risquait de troubler le sommeil bienheureux gavé de drogues et de mauvaises graisses. En dehors de l’élimination physique ou de l’écrasement socio-économique, on peinait à trouver de solution pour se débarrasser de cette teigne qui, sans cesse, revenait à l’assaut….
Cette persévérance si peu raisonnable, cette abnégation jusqu’au-boutiste tellement anachronique suscitaient une détestation épidermique d’une rare virulence chez tous ceux qui s’étaient vendus, reniés, trahis pour quelques piécettes et une place au chaud… « Sale merdeux ! » glapissaient les folliculaires, « Petit con ! » reprenaient les élus du bon peuple, « Provocateur ! » rajoutaient les radicaux assagis… Des bordées de noms d’oiseaux venant de toutes parts qui ne pouvaient que le rendre sympathique à tous les coeurs libres et rebelles, même ceux qui peinaient à suivre son positionnement idéologique et regrettaient ses références poussiéreuses et ses slogans parfois simplistes. Car au delà des contingences politiques se crée une confrérie des flibustiers, des insoumis, des idéalistes et des rêveurs qui savent reconnaître sinon LA vérité du moins une parcelle de celle-ci au nombre et à la force des coups que le mensonge lui porte…

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