Le
visage écrasé contre le bitume, les mains solidement maintenues dans le
dos sur lesquelles glissait déjà le métal des menottes, Alexandre
goûtait une nouvelle fois les bons traitements des forces de l’ordre
mandatées par la République française, démocratique et humaniste.
Coupable d’avoir déployé une banderole et craqué quelques fumigènes sur
le toit d’un édifice public, il allait, une fois encore, connaître de
longues heures de garde vue, parqué au milieu des dealers et des
détrousseurs de vieilles dames, soumis au mille petites vexations d’une
flicaille rendue encore plus odieuse par la conscience vaguement
honteuse des basses-oeuvres politiques auxquelles on l’employait.
Les
pinces métalliques volontairement trop serrées, les côtes martelées de
petits coups de poings et de coudes, Alexandre eut une pensée amère pour
ses « nationaux » qui continuent à brayer « la police avec nous ! » à
la moindre occasion et rêvent de képis et de bottes au moment de
s’endormir.
Entouré
d’une armada digne de l’exfiltration d’un chef maffieux sicilien, il
fut conduit vers le fourgon grillagé, première étape d’un parcours
désormais bien connu. Demain matin, à l’aube, on allait sonner chez ses
parents pour retourner la chambre dans laquelle il ne vivait plus depuis
des mois, puis on irait saccager pour la forme son studio sous les
toits, bien convaincus pourtant de n’y trouver rien de plus que la
dernière fois, à savoir rien. Le scénario était bien huilé. Malgré la
force de l’habitude, Alexandre ne put contenir un accès d’émoi à l’idée
du voisinage de ses parents, sans doute persuadé que ceux-ci avaient
engendré un dangereux criminel alors qu’il n’avait ni sang, ni drogue ou
argent sale sur les mains mais simplement un drapeau tricolore et un
trop grand amour pour celui-ci. Si seulement il avait pu se contenter
d’être un « bon fils » comme les autres, un brave garçon qui joue à la
playstation, fume du shit, se branle sur youporn et prépare une école de
commerce… Mais non, il avait hérité du sang d’une race française qui se
bat et se révolte, qui abhorre la tiédeur et la médiocrité et pense que
son passage sur terre a d’autre finalité que la jouissance et la
consommation. C’était presque plus fort que lui… C’était d’ailleurs
cela, bien plus que la portée ou teneur d’actions militantes au fond
assez modestes, qui irritait et insupportait tant le pouvoir : son
acharnement entêté à les reproduire, à les multiplier. En face de ce
jeune homme à la mâchoire carrée et aux larges épaules qui s’était jeté
dans la voie où il y tout à perdre avec la même énergie que mettent tous
les autres à l’éviter, les sentinelles et les domestiques du système
avaient compris qu’ils avaient à faire avec quelqu’un qui ne renoncerait
pas, qui ne transigerait pas, qui ne se soumettrait pas… C’était son
caractère, peut-être même davantage que ses idées, qui inquiétait les
fonctionnaires de la bien pensance et de la résignation aboulique. Un
fanatique ? Oui, peut-être… sans doute même, mais de l’espèce la plus
dangereuse, celle qui n’est pas mue par la haine mais par l’amour, amour
d’une terre et d’un peuple dont son activisme débridé risquait de
troubler le sommeil bienheureux gavé de drogues et de mauvaises
graisses. En dehors de l’élimination physique ou de l’écrasement
socio-économique, on peinait à trouver de solution pour se débarrasser
de cette teigne qui, sans cesse, revenait à l’assaut….
Cette
persévérance si peu raisonnable, cette abnégation jusqu’au-boutiste
tellement anachronique suscitaient une détestation épidermique d’une
rare virulence chez tous ceux qui s’étaient vendus, reniés, trahis pour
quelques piécettes et une place au chaud… « Sale merdeux ! »
glapissaient les folliculaires, « Petit con ! » reprenaient les élus du
bon peuple, « Provocateur ! » rajoutaient les radicaux assagis… Des
bordées de noms d’oiseaux venant de toutes parts qui ne pouvaient que le
rendre sympathique à tous les coeurs libres et rebelles, même ceux qui
peinaient à suivre son positionnement idéologique et regrettaient ses
références poussiéreuses et ses slogans parfois simplistes. Car
au delà des contingences politiques se crée une confrérie des
flibustiers, des insoumis, des idéalistes et des rêveurs qui savent
reconnaître sinon LA vérité du moins une parcelle de celle-ci au nombre
et à la force des coups que le mensonge lui porte…
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