En 1988, Dominique Venner, futur responsable de la Nouvelle Revue d’Histoire, publiait chez Plon Treize meurtres exemplaires, un ouvrage consacré à l’assassinat de treize personnalités politiques du XXe
siècle. Vingt-quatre ans plus tard, il réédite le livre dans une
version revue, corrigée et augmentée chez un nouvel éditeur plein
d’avenir, Pierre-Guillaume de Roux, fils du célébrissime écrivain et
éditeur anticonformiste Dominique de Roux.
Dominique
Venner a remplacé les chapitres sur une bavure du Mossad en 1973 contre
Ahmed Bouchiki et l’assassinat toujours inexpliqué de Jean de Broglie
en 1976 par l’attentat contre Hitler en juillet 1944 fomenté par le
colonel von Stauffenberg et par la disparition – qui laisse perplexe –
de son ami François de Grossouvre « suicidé » en avril 1994 dans son
bureau de l’Élysée. Il a aussi tenu à y adjoindre un prologue et un
épilogue explicatifs et en a modifié l’intitulé, « Treize meurtres
exemplaires » devenant le sous-titre de L’imprévu dans l’Histoire.
En
fin historien et ayant lui-même jadis envisagé d’abattre Charles de
Gaulle pendant la Guerre d’Algérie comme il l’écrivit dans le
merveilleux Cœur rebelle (1994), Dominique Venner s’intéresse
aux attentats contre des personnes connues. En effet, à part le cas de
Grossouvre, les douze choix du livre appartiennent à un mode opératoire
qu’on désigne habituellement comme du terrorisme même si, ici, les actes
ne concernent que des victimes individuelles et non des masses comme
pour le 11 septembre 2001. À l’exception de John Fitzgerald Kennedy, son
étude se concentre sur des événements européens quand bien même Léon
Trotsky est exécuté à Mexico et que l’amiral Darlan meurt à Alger, à
l’époque ville française.
On
note une répartition équilibrée des sujets traités : trois pour la
Russie (Pierre Stolypine, Raspoutine, Trotsky), quatre pour le monde
slave si on y ajoute la mort d’Alexandre de Yougoslavie à Marseille en
1934 par des militants croates soutenus par les redoutables partisans de
l’O.R.I.M. (Organisation révolutionnaire intérieure macédonienne);
trois pour la France (Gaston Calmette, Darlan et Grossouvre), voire
quatre avec l’exécution à Paris en 1941 de l’aspirant Moser par des
communistes; trois pour l’Allemagne et le monde germanique
(François-Ferdinand à Sarajevo, Walter Rathenau en 1922, Stauffenberg),
quatre avec Moser. Il y a enfin les États-Unis avec J.F.K. en 1963 et,
pour l’Italie, Aldo Moro en 1979.
Ce n’est pas par hasard si Dominique Venner a pris ces exemples. Il les inscrit dorénavant dans l’imprédictibilité
de l’histoire. L’histoire n’est pas une science dure, mathématique,
logique et causaliste. Clio est une maîtresse imprévisible, irascible et
impétueuse pour les civilisations, les peuples et les êtres. Hormis les
questions démographiques, les prévisions des historiens ne se réalisent
que très rarement, d’où leur réputation de « prophètes du passé » !
L’histoire est le domaine de l’hétérotélie, terme forgé par Jules
Monnerot pour désigner des résultats contraires à ce que l’on désirait.
Oui, l’histoire est toujours inattendue parce qu’elle est l’amante du Kairos, de ce moment décisif, qu’il faut saisir immédiatement. Pour s’approprier cet instant crucial,
il importe de posséder des qualités fondamentales. « Un certain
héritage historique et culturel, la fortune (l’inattendu) et la virtù
sont les déterminants majeurs que l’on peut voir à l’œuvre derrière
tous les grands événements de l’Histoire, plaide Dominique Venner (p.
268). »
Certains
cas qu’il examine le prouvent aisément. Dominique Venner ne cache pas
son admiration pour Stolypine, le Premier ministre de Nicolas II de
Russie de 1906 à 1911. Ce traditionaliste réformateur s’opposa aussi
bien aux révolutionnaires rouges qu’aux réactionnaires noirs. Très au
fait des équilibres continentaux, sa présence à l’été 1914 lors de la
crise entre la Serbie et l’Autriche-Hongrie aurait peut-être permis de
temporiser l’antagonisme entre Belgrade et Vienne et de contenir le
bellicisme germanophobe de certains milieux russes. Stolypine aurait pu
s’appuyer sur le Français Joseph Caillaux, certainement président du
Conseil si celui-ci n’avait pas été contraint de démissionner à la suite
de l’assassinat du directeur du Figaro, Gaston Calmette, le 16
mars 1914, par Henriette Caillaux, son épouse lasse des attaques
incessantes et vénéneuses contre son ministre de mari. L’historien féru
d’uchronies peut même se demander si la survie de Raspoutine n’aurait
pas incité Nicolas II à imposer aux belligérants une paix des braves
comme le suggèrent Jacqueline Dauxois et Vladimir Volkoff dans leur
étonnant roman Alexandra (1994).
Les
assassinats de Stolypine, de Calmette et de François-Ferdinand
démontrent qu’il y a bien un « effet-papillon » en histoire, terrain
propice à la théorie du chaos. La disparition d’une personnalité-clé
peut avoir des répercussions considérables dans le monde… L’inattendu
est le synonyme de la tragédie et celle-ci n’œuvre pas que dans le
terrorisme. Ainsi, Ernst Jünger a-t-il souvent médité sur la catastrophe
estimée impossible du Titanic en 1912. Pour lui, ce naufrage annonçait la tendance titanesque du nouveau siècle.
On
ne détaillera pas, même succinctement, les treize meurtres politiques
décrits par Dominique Venner. On se permettra en revanche d’émettre
quelques critiques. Il est dommage, concernant Darlan, que l’auteur ne
mentionne pas l’extraordinaire De Gaulle et Giraud : l’affrontement, 1942 – 1944
(2005) de Michèle Cointet qui démêle avec brio la grande complexité
politique de l’Afrique française du Nord en novembre – décembre 1942. On
notera que l’enlèvement et l’assassinat d’Aldo Moro restent obscurs.
Dominique Venner peut n’avoir pas pris connaissance des thèses
situationnistes et/ou d’ultra-gauche qui avancent avec une argumentation
probante, la manipulation des groupes armés d’extrême droite et
d’extrême gauche par l’O.T.A.N. et certains cénacles occultes liés à
l’État profond U.S. Par ailleurs, ce même État profond est largement
impliqué dans l’élimination de John Fitzgerald Kennedy. Lee Harvey
Oswald et le complot soviéto-cubain ne sont que des leurres, des
couvertures, qui masquent l’immense et néfaste influence bankstériste à Washington.
Nonobstant ces quelques désaccords, L’imprévu dans l’Histoire doit être lu et médité non seulement pour le XXe siècle, mais aussi et surtout pour le XXIe.
Les attentats contre Rathenau, Alexandre de Yougoslavie et Trotsky sont
le fait d’hommes (et de femmes !) déterminés, prêts à sacrifier leur
vie pour leur cause; ils sont les grains de sable qui entravent la «
grande roue de l’histoire ». Ils sont les vecteurs de l’aléa.
Or « penser l’inattendu serait un sujet de réflexion philosophique aussi
utile que celui de penser la guerre (p. 268) ». Cet ouvrage nous ouvre
enseigne donc une philosophie de l’histoire immédiate, celle des chocs
entre la foi, les mémoires et les identités.
Georges Feltin-Tracol http://www.europemaxima.com
• Dominique Venner, L’imprévu dans l’Histoire. Treize meurtres exemplaires, Pierre-Guillaume de Roux (41, rue de Richelieu, F – 75 001 Paris, www.pgderoux.fr), 2012, 272 p., 22 €.
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