Pendant longtemps, la région du Sahel
était essentiellement concernée et affectée par le trafic et la
contrebande de cannabis, principalement cultivé au Maroc. Cependant, depuis le début du XXIe siècle, la partie nord-ouest de l’Afrique
est devenue un carrefour de trafic de drogues de toutes sortes, crime
organisé, terrorisme et insurrection. Aussi, la prépondérance et le lien
entre le crime organisé et le terrorisme a aujourd’hui des
répercussions négatives et inquiétantes sur la santé des populations
locales ainsi que sur la stabilité, la sécurité et le développement des
pays concernés.
Par Abdelkader Abderrahmane,
chercheur à la Prévention des Conflits et Analyses des Risques’, (CPRA)
Institut d’études de sécurité (ISS), Éthiopie –
Le Sahel et l’Afrique de l’ouest sont
incontestablement devenus une plaque tournante pour le trafic
international de drogues dures telles que l’héroïne et la cocaïne en
provenance d’Amérique Latine et d’Afghanistan.
L’une des explications à ce
dangereux phénomène toxique est que la région est moins risquée que les
routes plus directes entre les pays producteurs d’Amérique du sud et le
continent européen qui s’avère être aussi le premier marché de consommation mondiale.
En effet, la voie la plus courte
d’approvisionnement n’étant pas nécessairement la plus sûre, les barons
de la drogue du continent sud-américain utilisent la Highway 10
(en référence au 10ème parallèle) pour pénétrer par l’Afrique de
l’Ouest. Ce trafic est en outre aggravé par la présence d’héroïne et
cocaïne provenant d’Afghanistan et transitant aussi par cette zone ainsi
que la côte est du continent africain.
La drogue qui sera ensuite écoulée en Europe est acheminée à travers le Tchad, le Mali, le Niger et le Maroc, dont la porosité des frontières facilite les déplacements. A titre indicatif, et selon l’Office des Nations-Unis contre la Drogue et le Crime (UNODC),
en 2009, il était estimé que 21
tonnes de cocaïne d’un montant de 900 millions de dollars et équivalant
au PNB de la Guinée et de la Sierra Leone réunies ont transité par l’Afrique de l’ouest.
Ce trafic de drogue est par ailleurs
aggravé par les liens tissés entre les narco-trafiquants et les groupes
terroristes présents au Sahel tel qu’Al-Qaïda au Maghreb Islamique (AQMI), Ansar Dine (Défenseurs de la foi), Boko Haram (l’instruction est illicite) et le Mouvement d’Unité pour le Jihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO).
Trafics d’armes, de drogues et
blanchiment d’argent sont devenus monnaie courante entre tous ces
groupes. En outre, des liens grandissants se tissent aussi entre les
narco-terrroristes présents en Afrique de l’ouest et les groupes mafieux
européens tels que la Camorra.
En effet, il est établi que la mafia
italienne et Al-Qaïda ont coopéré dans un passé récent afin que ce
dernier profite de l’expertise de la Camorra pour, par exemple, le
trafic de faux documents. A travers ces coopérations, ce sont tous ces
groupes qui s’entraident et bénéficient de leurs expertises respectives
qui pourront éventuellement se transformer en groupes hybrides comme le sont actuellement
les Forces Armées Révolutionnaires de Colombie (FARC). Les FARC sont en effet un exemple de groupe basé sur une idéologie politique qui, avec le temps, a muté en groupe crimino-narco-terroriste.
En sus du trafic de drogue et d’armes,
l’importante contrebande de cigarettes à travers le Sahel est aussi très
rémunératrice pour les trafiquants de la région. Les cigarettes qui
proviennent d’usines de contrefaçon, principalement du Nigeria,
sont distribuées dans la région, au Maghreb, au Moyen-Orient et en
Europe. Ce trafic est une source importante de financement pour les
groupes terroristes, qui même s’ils ne sont pas toujours et forcément
directement impliqués dans ce genre de contrebande, s’enrichissent
toutefois en imposant un impôt contre une ‘garde rapprochée’ aux
contrebandiers.
Dans ce mélange des genres, les
groupes terroristes tel qu’AQMI ont très rapidement compris l’intérêt
financier qu’ils pouvaient en tirer en se rapprochant des groupes criminels et autres trafiquants de tous bords, et ce, quel que soit leur points communs.
En effet, alors que les actions
violentes d’AQMI sont présentées sous des idéaux religieux, le groupe
est néanmoins bien plus intéressé par l’appât du gain à travers ses
demandes de rançons et autres activités parallèles comme le crime
organisé et la contrebande. A ce titre, selon la US Drug Enforcement Agency (DEA), 60% des groupes terroristes étrangers ont un lien avec le trafic de drogue.
Pareillement, il est estimé que
80% des chefs Talibans en Afghanistan, combattent pour le profit
financier et non pour une quelconque idéologie religieuse.
Par ailleurs, la chute de Qaddafi en Libye et l’instabilité géopolitique
régnante qui s’ensuit, ainsi que la perméabilité des frontières qui
facilite le passage d’armes d’un pays à un autre a procuré aux
terroristes et narco-trafiquants une opportunité supplémentaire de renforcer leur position dans la région, aggravant de ce fait la situation au Sahel.
C’est dans ce contexte dramatique que la
prolifération d’armes, de drogues, de trafics de cigarettes et autres
produits illicites prend racine au Sahel.
Mais ce dévolue sur la région est aussi principalement dû à la faiblesse des états qui composent cette zone géographique, l
e manque flagrant de surveillance, la
porosité des frontières ainsi qu’à la corruption qui gangrène les
institutions de ces mêmes états, tel que l’armée, la douane ou la police.
Mais au-delà du fait que tous ces
trafics sont d’une manière ou d’une autre liés, c’est sans nul doute et
surtout les raisons et les racines derrière ce fléau qu’il est urgent de
questionner afin d’y remédier.
La misère, la pauvreté, la
sécheresse, la famine, l’absence de sécurité alimentaire, l’injustice
sociale et le manque de perspective d’avenir sont autant de facteurs favorisant et incitant les populations locales à tomber dans ce piège de l’argent facile et d’une hypothétique vie meilleure.
Des trafiquants qui profitent donc du désœuvrement et de la vulnérabilité socio-économique des populations locales pour les convaincre
qu’ils peuvent améliorer leur quotidien grâce aux trafics illégaux.
Pire, ces différents groupes terroristes et organisations criminelles ne
font que contribuer
à la souffrance humaine des populations locales du Sahel et d’Afrique
du nord tout en mettant aussi en danger les états déjà fragiles du Sahel
tel que le Mali ou le Niger.
Afin de combattre
ce fléau, la coopération entre les états mais aussi entre les
différentes organisations et autres institutions internationales est une
condition sine qua non pour obtenir
des résultats probants. Par ailleurs, la solution à ce problème se
trouve aussi dans l’absence d’éducation dans laquelle la majorité des
africains vit. Aussi, c’est en améliorant les conditions de vie des
populations locales, de conduire des programmes de prévention et d’éducation et de fournir une assistance humaine et renforcer
la bonne gouvernance que les trafic en tous genres en Afrique de
l’ouest et au Sahel pourront être, sinon éradiqués, tout au moins,
réduits.
Aujourd’hui, cet Océan Sahélien
qui émerveillait comme un enfant l’explorateur et scientifique
français, Théodore Monod, est en grand danger, devenant ces dernières
années, un hub privilégié pour de nombreuses filières criminelles.
La mondialisation et la facilitation de communication grâce à Internet n’ont fait qu’exacerber
la situation au Sahel où les terroristes et trafiquants en tous genres
ont trouvé en cette région un terreau fertile et idéal pour leurs
activités illégales.
La coopération grandissante entamée
depuis plusieurs années s’accélère entre les groupes terroristes
présents en Afrique de l’ouest et les cartels d’Amérique du sud et
autres barons de la drogue africains et européens. Cette coopération a
indéniablement un effet débilitant sur la région, déjà vulnérable,
instable, sous-développée et ravagée par de nombreux conflits et
problèmes socio-économiques. L’augmentation des activités criminelles
dans la région souligne le besoin urgent d’actions afin de renforcer
la souveraineté des États concernés. Car il est incontestable que ce
trafic en Afrique de l’Ouest est en train de se propager comme une
trainée de poudre à travers tout le continent africain.
L’impasse géopolitique dans laquelle se
trouve actuellement le Mali est sans nul doute très inquiétante. Mais
cette crise qui secoue le pays risque aussi et surtout d’aggraver la situation sécuritaire à travers l’entière région et fournir aux trafiquants et terroristes une marge de manoeuvre d’autant plus grande.
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