Distinguer l’Europe enracinée de l’Europe globalisée
On le sait, la mouvance patriotique est parcourue, tant en France que
dans les autres pays européens, par divers courants idéologiques. Parmi
ces derniers, on compte notamment le courant nationaliste et le courant
européaniste (et non européiste, nous y reviendrons) qui
s’affrontent, il est vrai, tout particulièrement, sur la scène politique
française. Et comment ne pas le comprendre ? La France est le berceau
de l’idée de Nation, c’est la France qui a exporté le modèle de
l’état-national aux quatre coins de l’Europe et c’est donc en France
que, tout naturellement, l’attachement à la Nation est la plus forte.
L’idée européenne, quant à elle, d’approche traditionnellement
impériale, apparaît donc aux yeux de la plupart des partisans de la
Nation comme un genre d’ennemi héréditaire, de maelstrom cosmopolite qui
n’a d’autre but que d’anéantir la Nation et de se poser en première
marche du Village Global. On peut d’ailleurs dire qu’au fil des siècles,
la Nation française s’est bâtie envers et contre l’Empire.
Si, de nos jours, c’est la, il est vrai, bien mal nommée « Union
européenne » qui est la cible des attaques du courant nationaliste, que
l’on nomme aussi parfois « souverainiste » lorsqu’on veut l’étendre à
d’autres franges de l’échiquier politique, ce n’est là que le reflet
d’un conflit multiséculaire qui, générations après générations, a opposé
la France à l’Empire et, tout particulièrement, à celui des Habsbourg.
Il semble que dans l’esprit du partisan de la Nation, l’acceptation de
l’idée impériale, incarnée jadis par l’ennemi héréditaire habsbourgeois
et assimilée aujourd’hui à une certaine idée « euroglobaliste »,
constituerait un genre de reddition sans condition, au terme d’une
« guerre éternelle » contre l’Empire que la France aurait fini par
perdre. Les batailles qui opposèrent François Ier à
Charles-Quint, les guerres franco-espagnoles et franco-autrichiennes
dans ces Pays-Bas méridionaux (actuelle Belgique), passage obligé d’une
France qui ambitionna longtemps de retrouver sur le Rhin sa frontière
gauloise, tous ces sacrifices donc n’aboutiraient finalement qu’à une
soumission française à des mœurs centrifuges jugées étrangères et à des
diktats politiques et économiques jugés non-moins étrangers, en un mot :
européens. Inacceptable, du point souverainiste. Ainsi, quoique l’idée
impériale, européenne, enracinée, en un mot « identitaire », incarnée
jadis par la dynastie des Habsbourg, dont le dernier empire s’effondra
en 1918 sous les coups redoublés des nationalismes, des idéologies
totalitaires et de cet industrialisme apatride qui a donné naissance à
l’univers globalisé que nous ne connaissons que trop bien, quoique cette
idée, donc, n’ait absolument rien de commun, que du contraire, avec
l’« Euromarket » acculturé et déraciné que nous connaissons sous le nom
d’« Union européenne », elle apparaît néanmoins, dans les esprits
souverainistes, comme un genre de précurseur du « projet européen »
actuel, première marche d’un monde globalisé et source de tous les maux
de la France.
Autant l’Empire austro-hongrois – hélas resté imparfait, il est vrai,
du fait de son occultation de la réalité politique de ses populations
slaves – constituait une tentative de faire cohabiter, dans un même
espace, harmonieusement, c’est-à-dire dans le respect de leur pluralité
identitaire, des populations différentes, certes, mais appartenant à une
même civilisation, autant l’Union européenne n’est qu’une construction
artificielle, économique métissée, standardisée, globalisée, rejetant
toute forme d’enracinement historique et culturel authentique et prête à
s’ouvrir au tout venant. Autant l’Empire austro-hongrois vénérait
par-dessus tout la qualité de vie, la culture, l’histoire, le bon goût,
en un mot, le Beau, autant la prétendue « Union européenne » en apparaît
comme le négatif, cultivant l’acculturation, le mauvais goût
commercial, la sous-culture globalisée et la malbouffe.
« Européanistes » et non « européistes »
Il n’y a rien de commun entre ces deux visions de l’Europe. Désigner
par un même qualificatif les partisans d’une Europe structurellement
impériale, enracinée, identitaire et les adeptes de l’Euromarket
globalisé n’a donc aucun sens.
Si les tenants de l’actuelle « Union européenne » sont généralement
qualifiés d’« européistes », ceux qui, tout en pensant qu’il convient de
ne pas jeter le bébé européen avec l’eau du bain globalisé pour le
moins malodorant dans lequel il baigne, qui tout en précisant que tout
n’est pas forcément mauvais dans l’actuelle UE, militent pour l’unité
d’une Europe enracinée incluant le niveau national, mais également le
niveau régional et le niveau civilisationnel dans le cadre d’une
structure harmonieusement intégrée, devraient être désignés
différemment.
Aussi, afin de les distinguer des adeptes « européistes » de l’Europe
globalisée, pourrions-nous faire le choix du terme « européaniste ».
La Nation jacobine contre l’Europe enracinée
Les souverainistes reprochent parfois aux européanistes d’être
comparables aux révolutionnaires de jadis qui voulaient universaliser et
internationaliser leur combat. Dans leur esprit, l’idée européenne
appartient à ce mode de pensée internationaliste, globaliste
dirions-nous plutôt aujourd’hui, qu’anima par le passé et encore
aujourd’hui les ennemis de la Nation, seule référence identitaire viable
à leurs yeux. En fait, selon eux, les européanistes ne voudraient rien
d’autre, globalement, que construire une nouvelle Internationale.
Retournons l’argument à son expéditeur. Nous le savons, les idéaux
révolutionnaires jacobins ne sont pas particulièrement prisés dans une
mouvance patriotique française qui lui préfère généralement, et de loin,
les références chrétiennes, monarchiques, traditionnelles, en deux
mots, d’Ancien Régime. Comment expliquer dès lors le paradoxal
engouement des partisans de la Nation pour des idéaux issus du
jacobinisme révolutionnaire dont l’idée même de Nation est la fille ?
Car point d’état-national ni de citoyens avant 1789, mais un royaume et
des sujets du Prince ! On en vient donc à se demander si l’idée de
Nation jacobine est bien un concept identitaire, ou si elle n’est, au
contraire, qu’un poste avancé des internationales.
Allons plus loin : comment l’internationalisme révolutionnaire
aurait-il pu exister sans la création préalable de la Nation jacobine ?
Lorsque le centralisme nationaliste refuse aux régions ce que l’échelon
international (ex-URSS, Euromarket, Village Global ou autre) refuse
désormais aux états-nations, ne peut-on dire qu’il s’agit là d’une seule
et même logique ? En définitive, le centralisme jacobin nous paraît
bien plus proche de l’euro-bureaucratie « bruxelloise » que l’idée
d’unité européenne enracinée.
Régionalismes ou micro-nationalismes ?
Après s’être vus reprocher leurs « velléités internationalistes »
visant prétendument à dissoudre, « par le haut », la Nation, dans le
cadre d’un maelstrom européen métissé, les européanistes, partisans du
fédéralisme intégral, c’est-à-dire de la fédération des états-nations
européens sur une base civilisationnelle, et de la fédéralisation de ces
mêmes états-nations sur base de leurs régions historiques, se voient
accuser par les souverainistes de vouloir également détruire la Nation
par le bas, en encourageant le développement de mouvements régionalistes
centrifuges.
Or, partisans de l’unité européenne, les européanistes ne peuvent
être, en toute logique, des partisans de la dislocation des nations : il
ne s’agit pas de remplacer une « Europe des 27 » (déjà plus que
bancale) par une « Europe des 270 » ! Les états-nations ont donc, du
point de vue européaniste, un rôle essentiel à jouer dans la
construction identitaire de l’Europe, garants qu’ils sont de la
cohérence politique de nombreux territoires sans laquelle l’Europe
sombrerait dans le chaos, et de la sauvegarde des langues nationales,
indissociables de notre identité la plus essentielle. Autonomie
régionale ne signifie pas, dans l’esprit européaniste, éclatement
micro-nationaliste.
Et nous voilà confrontés à un nouveau paradoxe : si le partisan du
fédéralisme européen intégral se voit reprocher ses opinions supposées
centrifuges, n’est-ce pas, en définitive, le micro-nationaliste, c’est-à-dire le régionaliste indépendantiste (et non seulement soucieux d’autonomie), qui se trouve politiquement et paradoxalement être le plus proche du statonationaliste jacobin ?
Car, alors que le régionaliste soucieux de son autonomie ne demande
fondamentalement que la reconnaissance de sa particularité dans le cadre
national, le micro-nationaliste, lui, ne veut rien d’autre que créer un
nouvel état-national jacobin, centralisé, refusant à ses propres
composantes régionales jusqu’au centième de ce qu’il a obtenu pour lui.
Le rejet de l’Europe par le macro-nationalisme et le rejet de
l’état-nation par le micro-nationalisme ne se rejoignent-ils pas
finalement ? Mais il n’y a là rien de commun avec une démarche
d’autonomie régionale responsable, telle qu’on l’envisage d’un point de
vue européaniste.
Europe des Patries ou Europe-Puissance ?
Ainsi donc, l’action des européanistes, si l’on en croit
l’opinion souverainiste, n’aurait pour seule conséquence, du fait de ses
choix civilisationnels et régionaux, que d’affaiblir les nations
d’Europe face aux autres puissances mondiales, au premier rang
desquelles nous citerons, bien évidemment, les Etats-Unis d’Amérique.
C’est la double action du morcellement régionaliste et du métissage
« européiste » qui serait, en définitive, responsable du déclin des
états-nations. Or, une fois de plus, nous voilà confrontés à un
paradoxe. Lorsque les souverainistes déplorent l’incapacité « des
Européens » à assumer leur rôle politique et militaire sur le plan
international, ils ne semblent pas comprendre que cela est dû à deux
facteurs fondamentaux dont le globalisme et le nationalisme sont
justement responsables. Le globalisme, négateur d’identité qui constitue
le fondement pseudo-européen de l’Euromarket, est à la base de
l’inconsistance européenne qui n’a jamais rien été d’autre qu’une vague
structure économique et financière.
En l’absence de vraies fondations identitaires et civilisationnelles,
l’Europe ne pouvait espérer devenir politiquement cohérente, et faute
de cohérence politique, elle ne pouvait rester qu’une jungle financière
et économique acculturée et politiquement faible, ce qu’elle n’a jamais
cessé d’être de 1957 à nos jours. Or, cette dissolution par le haut,
exigée par le Village Global d’inspiration étasunienne, « nordiste » et
« yankee » (au sens historique du terme), a été largement favorisée par
le refus obstiné des statonationalistes et des souverainistes
d’abandonner une part de souveraineté à l’échelon civilisationnel
supérieur, afin de mettre en commun les moyens indispensables à une
Europe-Puissance pour s’imposer sur le plan international. Les partisans
de l’Europe des Patries n’ont jamais cessé de s’accrocher aux derniers
pans d’une puissance politique et militaire nationale qui n’est plus que
l’ombre de ce qu’elle fut jadis, au nom d’un attachement à la
souveraineté qui frise parfois la religiosité.
Au niveau militaire, pour ne citer que cet exemple, le résultat est
là : des moyens financiers dignes d’une superpuissance dépensés en vain
au niveau européen, vingt-sept budgets nationaux, vingt-sept armées qui
peuvent, au mieux servir d’armées supplétives à des armées étrangères,
des redondances inacceptables en matière d’industrie militaire, tout
cela pour entretenir le mythe d’une puissance nationale et souveraine
pourtant militairement en situation de déclin. Comment venir ensuite se
plaindre de l’inexistence politico-militaire européenne sur la scène
internationale ? Mais l’on préférera se bercer d’illusions, en vantant
le retour à une agriculture totalement nationale, on prônera l’abandon
de l’euro au profit de l’ancienne monnaie nationale, nourrissant ainsi
l’espoir plus qu’improbable –tel le génie de la fable, le libéralisme,
échappé de la lampe magique nationale au 20ème siècle, pour
gagner les horizons planétaires, n’y retournera plus jamais – de voir se
rapatrier les industries nationales, tout cela en ignorant ce problème
essentiel : l’Europe est, depuis la perte de ses colonies, dépourvue de
richesses naturelles et, notamment, de ressources énergétiques. On se
demande donc comment, dépourvues de ces ressources, et divisées sur la
scène internationale, les « post-puissances » européennes pourraient
maintenir, ne fut-ce qu’à moyen terme, leur rang de puissance ? Les
nations européennes doivent donc choisir : survivre ensemble ou mourir
seules.
La complémentarité de l’Empire et de la Nation
La France nourrit donc à l’égard de l’Empire, et partant, de
l’Europe, une méfiance qui semble relever de l’atavisme. Qu’il
apparaisse sous les traits de l’empire des Habsbourg, de l’Union
européenne ou de l’ « empire américain », tout « projet impérial » – ou
ce qui en tient lieu – est perçu par Paris comme une menace pour sa
souveraineté. Ainsi, un ouvrage collectif paru chez Ellipses au début
des années 2000, auquel j’eus d’ailleurs la possibilité de participer –
« Guerres dans les Balkans », paru sous la direction du général Gallois –
était-il sous-titré « La nouvelle Europe germano-américaine »,
référence particulièrement révélatrice à la crainte très française d’une
double domination « impériale », américaine d’une part, et allemande,
pour ne pas dire « mitteleuropéenne », d’autre part. Et c’est là qu’il
est, nous semble-t-il, intéressant de comparer la vision qu’ont de cette
problématique les Français et les Belges francophones, étant moi-même,
dirais-je, l’un des derniers Bruxellois de souche.
On peut dire que les états-nationaux belge et français se sont
développés de manière radicalement opposée : autant la France apparaît
comme le berceau de l’idée de Nation, autant la Belgique apparaît comme
un état-national particulièrement bancal, créé par les grandes
puissances du 19ème siècle, pour diverses raisons
stratégiques ; autant la France se pose en état jacobin centralisé,
autant la Belgique n’en finit pas de gérer le divorce de ses deux
principales composantes flamande et wallonne. La Flandre, elle, a su
bâtir une identité nationale forte (encore que cela devrait être sans
doute relativisé), mais qu’en est-il de cette Belgique francophone qui
rassemble des Wallons et des Bruxellois de langue française ? Comment
peut-on définir un Belge francophone, sinon, en schématisant, comme un
« Français d’histoire impériale » ? De fait, culturellement et
linguistiquement tourné vers la France, le Belge francophone ou, plus
précisément, le francophone de Belgique, est historiquement tourné vers
l’Europe centrale germanique et impériale dont, notamment via les
Habsbourg, les Pays-Bas méridionaux (qui correspondaient globalement à
la Belgique actuelle), ont dépendu durant plusieurs siècles.
L’on évoque souvent le conflit wallo-flamand ou la ligne de fracture
germano-latine passant par Bruxelles, mais l’on a peu conscience du fait
que la question de l’opposition entre la Francité et l’Empire fait
essentiellement partie de l’identité des francophones de Belgique, et
voilà pourquoi l’on peut considérer que l’actuel débat français sur la
Nation et l’Europe (ou/et l’Empire) nous est plus que familier, et que
notre témoignage historique a donc pleinement sa place dans ce débat.
Entre Mitteleuropa impériale et Francité jacobine
Si linguistiquement et culturellement, le Belge francophone
appartient bien à l’espace français, il fut aussi, des siècles durant,
un sujet de Charles-Quint et des Habsbourg (ennemis traditionnels du
Royaume de France), jusqu’à ce que les sans-culottes ne chassent les
Autrichiens de nos contrées qui restèrent françaises de 1794 à 1814,
avant d’être plongées brutalement dans l’univers nationaliste européen.
C’est là un paradoxe que tout francophone de Belgique – du moins parmi
ceux qui ont encore une conscience et une connaissance de leurs racines
et de leur Histoire – doit apprendre à gérer du mieux qu’il peut. Nous
ne nous étendrons évidemment pas sur les nombreuses réponses que l’on
peut tenter d’apporter à ce problème, pour ne retenir que deux options :
l’historique et la géopolitique. Pour résumer, disons que la logique
historique est partagée par ceux qui souhaitent le maintien de la
Belgique au nom d’un « mythe lotharingien » qui suppose l’existence d’un
espace géopolitique naturel particulier situé entre la France et
l’Allemagne, une idée parsemée de références aussi romantiques que
nostalgiques à un prétendu « bon vieux temps » des ducs de Bourgogne et
de Charles-Quint, dont la Belgique serait la naturelle héritière.
La logique géopolitique, elle, est partagée par ceux qui, bien
qu’ayant constaté que la Belgique ne constitue pas un état-national
viable, veulent malgré tout coller à la réalité statonationaliste
moderne et se tournent donc, tout naturellement vers la France à
laquelle ils voudraient voir rattacher la Wallonie, voire toutes les
communes à majorité francophone de Belgique. Vivre dans des mythes
passéistes et un état hybride d’état-national et d’Ancien Régime, en
attendant l’éventuel divorce d’avec la Flandre, ou tenter de trouver sa
place dans une France hexagonale centralisée, voilà globalement le choix
que laisse aux francophones de Belgique, la vieille opposition
identitaire entre la Mitteleuropa impériale et la Francité jacobine.
Entre Habsbourg et Bonaparte : un ressenti personnel
Pour ma part, je n’ai jamais adhéré à une forme ou l’autre de
nationalisme, mes origines bruxelloises et « administrativement belges »
me prédisposant bien peu, il est vrai, à une telle démarche. Je me suis
donc naturellement tourné vers la France et l’Europe, soit vers la
Francité et l’Empire. J’ai toujours perçu ces deux aspects de mon
identité non comme antagonistes mais, bien au contraire, comme
parfaitement complémentaires, regrettant au passage tout ce qui, à
travers l’Histoire, a pu séparer la France de la Mitteleuropa et tout ce
qui a opposé la Nation française à l’Empire. Sans être aucunement
monarchiste, je n’en suis donc pas moins « impérialiste », au sens réel
du terme et non au sens idéologique, et mes choix historiques se sont
donc naturellement portés, simultanément, vers l’Empire des Habsbourg et
le Premier empire français, le premier, notamment en raison de sa
structure décentralisée et diversifiée, prélude d’une construction
européenne enracinée, le second par amour d’une certaine grandeur et de
la qualité de vie françaises et on le voit, il n’y a là aucune
contradiction. Par opposition aux forces qui veulent uniformiser,
standardiser, en niant la diversité régionale (statonationalisme), la
diversité nationale (européisme), voire même la diversité
civilisationnelle (globalisme), autant de démarches, nous semble-t-il,
fondamentalement anti-identitaires, la logique « impériale », fédérale,
européaniste veut, bien au contraire, reconnaître tous les éléments
identitaires de notre civilisation et les imbriquer harmonieusement dans
une structure relevant d’une claire volonté de préserver l’ensemble de
nos différences enracinées.
L’européanisme polyculturel et identitaire n’est donc en rien
comparable au multiculturalisme européiste et négateur des identités. Je
me sens d’autant mieux en France que je me sais bruxellois, je me sens
d’autant mieux en Europe que j’ai conscience de mon appartenance à la
Francité (je ne peux, hélas, dire « à la France »), et j’aimerais
pouvoir me définir comme Européen dans le monde, sans devoir faire
référence à cette prétendue « Union européenne », qui est aujourd’hui
tout sauf unie et enracinée. Et lorsqu’on vante le patriotisme
économique américain, n’est-ce pas justement reconnaître l’efficacité
d’un modèle fédéral pour l’Europe, alors que faire le choix du
protectionnisme statonationaliste reviendrait plutôt à faire l’apologie
d’un plus qu’hypothétique patriotisme californien ou texan ?
Imagine-t-on New-York boycotter les vins de Californie ? Cela n’empêche
nullement les Etats américains d’être autonomes dans bien des domaines,
notamment celui de la justice. Preuve supplémentaire qu’une fédération
bien conçue ne s’oppose ni au patriotisme, ni aux enracinements
particuliers, que du contraire.
Conclusion : oui au fédéralisme intégral
Et voilà pourquoi les européanistes font le choix, pour l’Europe,
d’un fédéralisme intégral qu’il convient de ne pas confondre, justement,
avec ce fédéralisme global, jacobin, anti-identitaire, européiste, que
nous impose aujourd’hui l’Euromarket. Dans l’optique du fédéralisme
intégral, tout à la fois polyculturel et enraciné, la Région a pour
fonction principale d’approfondir l’enracinement de la Nation dont la
fédéralisation, loin de la disloquer, aurait pour conséquence
l’affermissement de sa base identitaire, la non-reconnaissance et
l’affaiblissement des enracinements régionaux aboutissant, au contraire,
à la transformation de la Nation en une coquille vide bureaucratique,
première marche d’une Europe européiste tout aussi vide et
bureaucratique, comme nous le prouve l’actualité. Régionalisme ne
signifie pas pour autant indépendantisme et la Nation a donc pour
fonction de maintenir l’unité des entités régionales qui la composent et
qui doivent, au-delà des légitimes démarches linguistiques régionales,
restées liées par une même langue nationale sans laquelle la Nation ne
pourrait survivre : le cas belge est là pour le démontrer, pas
d’état-national viable sans unité linguistique. Comme la Région, la
Nation est donc le dépositaire d’un héritage linguistique, mais
également culturel et historique, sa désintégration ne pouvant que
déboucher sur une forme ou l’autre de chaos. Mais nationalisme ne
signifie pas pour autant souverainisme jacobin. En contestant aux
régions leur droit à l’enracinement particulier, la Nation se dénie
logiquement le droit de faire état de revendications semblables à
l’échelle civilisationnelle. En outre, le morcellement souverainiste a
pour résulta l’affaiblissement de la Civilisation entière qui, divisée,
se trouve dépourvue des moyens qui lui permettraient de rivaliser avec
les autres puissances, et cette état de division est d’autant plus grave
pour l’Europe qu’elle se trouve, comme nous l’avons déjà souligné,
largement dépourvue de ressources naturelles.
Or, les Nations n’ont plus les moyens, notamment militaires, de
prendre le contrôle celles-ci, et nous avons vu, lors de l’affaire
libyenne, que la France ne pouvait, à elle seule, soumettre un petit
pays, équipé d’armes obsolètes, telle que la Libye. Se bercer
d’illusions en rêvant à la gloire passée de la Nation ne permettra pas
pour autant à celle-ci de renouer avec un passé définitivement révolu.
La France-Puissance n’est plus et sans l’Europe-Puissance, la France et
les autres nations ne pourront survivre seules. L’unité
civilisationnelle s’impose donc. Ce qui doit nous gêner, ce n’est point
de voir des bouteilles de vin espagnol ou des fromages italiens sur nos
tables, mais de voir nos viticulteurs et nos agriculteurs européens
concurrencés par l’importation de vins chiliens et d’haricots verts du
Kénya. Une flèche se brise aisément, contrairement à un faisceau de
flèches. Voilà pourquoi nous, européanistes, prônons la construction
d’un fédéralisme européen intégral, respectueux des enracinements
particuliers régionaux (patries charnelles) et nationaux (patries
nationales) et permettant l’édification d’une Europe-Puissance sans
laquelle ni nos régions, ni nos nations ne pourront survivre. Ainsi,
loin de s’opposer, la Région, la Nation et la Civilisation nous
apparaissent comme parfaitement complémentaires.
Éric Timmermans http://fr.novopress.info
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