Les
opposants au mariage dit « pour tous » ont déposé, vendredi 22 février
2013, 694 429 signatures à l’appui d’une pétition demandant au Conseil
économique, social et environnemental (CESE) de donner son avis sur
cette question, comme le prévoit l’ordonnance n° 58-1360 du 29 décembre
1958, dans sa rédaction issue de la loi organique n° 2010-704 du 28 juin
2010.¢
I. Dans une décision du 26 février 2013, le CESE a déclaré irrecevable cette saisine par voie de pétition : « Le
bureau [du CESE] a constaté que les conditions de nombre et de forme
étaient réunies », a souligné le CESE dans un communiqué. « Pour autant,
et en vertu de l’article 69 de la Constitution et de l’article 2 de
l’ordonnance du 29 décembre 1958 portant loi organique relative au
Conseil économique social et environnemental, la saisine du CESE pour
avis sur un projet de loi relève exclusivement du premier ministre ». En
conséquence, « celle-ci ne saurait ainsi être autorisée par voie de
pétition citoyenne », ce qui a amené l’assemblée consultative à déclarer
irrecevable la saisine dont elle était l’objet.
II. Cette décision est infondée en droit.
En
effet, l’article 4-1 de l’ordonnance susmentionnée dispose que la
saisine du Conseil par voie de pétition est soumise à quatre conditions
formelles qu’il énumère très précisément, et seulement à quatre. Ces
quatre conditions sont les suivantes :
1° La pétition doit porter sur « toute question à caractère économique, social ou environnemental ». C’est le cas en l’espèce.
2° La pétition doit être « rédigée en français et établie par écrit ». C’est le cas en l’espèce.
3° La
pétition doit être « présentée dans les mêmes termes par au moins 500
000 personnes majeures, de nationalité française ou résidant
régulièrement en France. Elle indique le nom, le prénom et l’adresse de
chaque pétitionnaire et est signée par lui. » C’est le cas en l’espèce.
4° La
pétition doit être « adressée par un mandataire unique au président du
Conseil économique, social et environnemental. » C’est le cas en
l’espèce.
Il
appartient au Conseil de vérifier si ces quatre conditions sont
satisfaites. Si elles le sont, le Conseil n’a pas le pouvoir de refuser
d’examiner au fond une pétition dont il est légalement saisi.
En
effet, l’article 4-1 dispose que « le bureau statue sur [la
recevabilité de la pétition] au regard des conditions fixées au présent
article », et uniquement au regard des conditions fixées au présent
article. Ces conditions sont au nombre de quatre, et pas une de plus. Le
Conseil économique, social et environnemental n’était donc pas fondé à
prononcer l’irrecevabilité de la pétition au seul motif qu’un projet de
loi serait en cours de discussion au parlement.
III. Pour
prononcer l’irrecevabilité de la pétition, le CESE considère néanmoins
que seul le Premier ministre peut saisir l’assemblée consultative
concernant un projet de loi.
À cet effet, il se fonde sur l’article 2 de l’ordonnance précitée. Or
les dispositions contenues dans cet article ne prévoient nullement que
la saisine du CESE, à laquelle procède le Premier ministre dans certains
cas bien précis, serait exclusive du droit, pour les personnes visée à
l’article 4-1, de saisir parallèlement l’assemblée consultative par voie
de pétition.
En
effet, l’article 2 énumère quatre voies possibles pour la saisine du
CESE par le Premier ministre, le président du Sénat ou de l’Assemblée
nationale :
1° La
saisine obligatoire, pour avis, « par le Premier ministre, des projets
de loi de plan et des projets de loi de programmation à caractère
économique, social ou environnemental. »
2° La
saisine facultative, pour avis, « par le Premier ministre, des projets
de loi de programmation définissant les orientations pluriannuelles des
finances publiques, des projets de loi, d’ordonnance ou de décret ainsi
que des propositions de loi entrant dans le domaine de sa compétence. »
3° La
saisine facultative, pour consultation, « par le Premier ministre, le
président de l’Assemblée nationale ou le président du Sénat, sur tout
problème de caractère économique, social ou environnemental. »
4° La
saisine facultative, pour étude ou pour demande d’avis, « par le
Premier ministre, par le président de l’Assemblée nationale ou par le
président du Sénat. »
Aucune
des conditions posées par ces dispositions n’interdit aux personnes
physiques mentionnées à l’article 4-1 de saisir parallèlement le CESE
par voie de pétition.
IV. En
outre, et à toutes fins utiles, la saisine du CESE pour avis, par le
Premier ministre, ne peut relever, le cas échéant, que de la 2ème voie
susmentionnée, et cette voie est facultative.
Elle ne saurait donc faire échec à la saisine du Conseil par voie de
pétition, sauf (peut-être) si elle avait déjà été utilisée. En l’espèce,
ni le CESE ni les pétitionnaires ne soutiennent que le Conseil aurait
déjà été saisi par le Premier ministre, ni que l’assemblée aurait épuisé
sa compétence. On peut donc en conclure que le CESE n’a pas été saisi.
Mais quand bien même il l’aurait été, on ne voit pas en quoi la saisine
parallèle par voie de pétition serait contraire aux dispositions
contenues aux articles 2 et 4 de l’ordonnance.
La
décision d’irrecevabilité prononcée par le Conseil est entachée d’excès
de pouvoir et est susceptible le cas échéant, c’est-à-dire si les
pétitionnaires le jugent opportun, de faire l’objet d’un recours devant
le Conseil d’Etat. Affaire à suivre, donc…
[MAJ] Pour
qu’il n’y ait pas d’ambiguïté, je me permets de rappeler que j’ai
précisé sur ce blog, le 17 août 2012, que j’étais pour le mariage
homosexuel, mais contre l’adoption homosexuelle. Je n’ai donc pas signé
la pétition dont il est question ici. Ce post développe uniquement un
raisonnement juridique.
[MAJ] A
noter que le CESE a décidé de d’auto-saisir de la question : » Par
ailleurs, le bureau du CESE estime que les évolutions contemporaines de
la famille et ses conséquences en matière de politiques publiques
justifient une autosaisine de la part de notre Assemblée. Le Bureau
examinera avec les formations de travail concernées les conditions
d’examen et le calendrier de cette autosaisine. » Un recours
jurifictionnel contre la décision de rejet de la pétition pourrait donc
être jugé sans objet. C’est quand même la preuve de la gêne du Conseil
quant à cette décision d’irrecevabilité.¢
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