dimanche 12 mai 2013

Adhésion de la Turquie : l'Europe contre ses peuples

❏ LA VOLONTÉ de la majorité des gouvernements européens d'accélérer l'adhésion de la Turquie à l'Union est illégale dans la mesure où elle est contraire non seulement aux traités internationaux régissant la matière européenne mais aussi aux termes des actes législatifs produits par les autorités européennes elles-mêmes comme le montrent les "décisions" relatives à la désignation des Capitales européennes de la Culture et en particulier celle d'Istanbul. Mais elle est surtout profondément antidémocratique puisque toutes les enquêtes d'opinion montrent l'hostilité des Européens à accueillir Ankara ; le nombre des contre étant passé de 52 % en 2005 à 55 % en 2008, le nombre des pour chutant de 35% à 29%.
L'hebdo Valeurs actuelles, qui s'est penché sur les résultats de deux sondages Ifop réalisés, le premier en 2004 (5 000 personnes consultées dans les cinq plus importants pays membres de l'Europe occidentale), le second en 2008 (7000 personnes dans les mêmes pays plus la Belgique et les Pays-Bas), pouvait titrer dans son édition du 4 septembre « Turquie, le "non" des Européens ». Les sources font apparaître non seulement le caractère majoritaire dans les sept pays de l'opposition à l'adhésion de la Turquie mais surtout le retournement de l'opinion alors que, le temps passant, elle était mieux informée. Dans les trois pays favorables à cette adhésion en 2004, on constate ainsi que 51 % des sondés - sont devenus opposés en Espagne (soit un bond de 29 %), 57 % des Britanniques (+ 15 %) et 56 % des Italiens (+ 23 %) ; de plus, le rejet atteint des sommets dans les pays déjà réfractaires en 2004. Le non l'emporte en France à 80 % (+ 12 %) et à 76 % en Allemagne (+ 13 %). En Belgique et aux Pays-Bas, les taux de rejet sont de 68 et 67 % respectivement. Le Luxembourg, exclu de l'enquête vu sa petite taille, enregistrerait selon l'Eurobaromètre 2008 un taux de rejet de 75 % proche du maximum.
L'évolution aussi générale que rapide des opinions se trouve partiellement expliquée par les comportements agressifs de la Turquie et de ses amis, dont l'actualité confirme la permanence. Ainsi le Premier ministre Erdogan a-t-il indigné les Allemands en présentant la tentative d'intégration des immigrés turcs comme un « crime contre l'humanité » ; ainsi le soutien apporté par la Turquie à la Géorgie fait-il songer à un atavisme antirusse du genre territorial déjà présent lors de la guerre de Crimée; ainsi les Etats-Unis ont-ils délibérément plongé dans une forme renouvelée d'affrontement avec la Russie déterminée par des préoccupations moyen-orientales dans lesquelles son alliée la Turquie prétend jouer un rôle majeur mais qui sont largement étrangères aux intérêts européens. Les erreurs commises par les Américains dans la gestion de leur imperium mondial affaiblissent d'ailleurs considérablement la portée de leurs interventions à l'égard de leurs vassaux. Déjà, l'intervention du président Bush le 26 juin 2004, à l'époque cruciale de l'ouverture des négociations d'adhésion, auprès des autorités européennes réunies à Dromoland Castle, suivie par sa visite à Ankara le lendemain, avait été des plus malvenues. L'existence d'un foyer de tension autour de l'Iran, conjuguée à la situation critique en Irak et en Afghanistan, persuade les peuples européens de ne pas se laisser entraîner dans des alliances militaires illimitées.
La période serait donc favorable à un alignement des politiques européennes à l'égard de la Turquie sur les souhaits exprimés par les seuls peuples européens. Cela mettrait fin à une époque où les autorités chargées d'appliquer les textes de loi les plus clairs se rendaient coupables au moins d'imposture. En particulier le président français (et actuel président de l'Union Européenne), qui s'est fait élire grâce à l'apport des voix des opposants à la Turquie mais dont les représentants aux négociations d'adhésion (qui se poursuivent) autorisaient Libération à titrer le 9 mai 2008 : « À Ankara, Jouyet rassure sur le processus d'adhésion » - à propos duquel le Conseil européen des 11 et 12 décembre prochain pourrait décider de l'ouverture de deux nouveaux chapitres de négociations.
Imposture ou forfaiture ? De toute façon s'y ajoute le mépris du peuple.
✍ Pierre AERTS. Rivarol du 7 novembre 2008

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