Extraordinaire victoire, samedi
après-midi, pour le respect de la vie ! Devant le tribunal administratif
de Châlons-en-Champagne, un référé-liberté plaidé en faveur de Vincent Lambert,
37 ans, a abouti à une ordonnance qui a reconnu le droit de ses parents et
d’une partie de ses proches de s’opposer à ce qu’il soit tué lentement par
l’arrêt de son alimentation.
Me Jérôme Triomphe venait de
plaider avec passion contre la mise à mort volontaire du patient, au nom de ses
parents, de sa sœur et de son demi-frère ; Me Jean Paillot avait exposé
l’éthique biomédicale qui exige le respect de la vie. L’audience, chargée
d’émotion, avait duré plus de deux heures. Ils ont été entendus et compris.
Vincent Lambert : oui, c’est
le vrai nom de celui que jusqu’ici, dans un souci de discrétion visant à donner
un maximum de chances aux démarches pour sauver sa vie, j’ai appelé
« Hervé ».
C’est un jeune homme frappé il y
a quatre ans et demi par un accident de voiture qui l’a laissé gravement
handicapé. D’abord maintenu dans un coma artificiel, il est resté ensuite pendant deux
ans dans un coma végétatif. Puis il est entré dans un coma
pauci-relationnel, qui correspond chez lui à un état de « conscience
minimale plus » où existe une interaction avec l’environnement :
Vincent peut suivre des yeux, réagir aux voix familières, manifester la
conscience de ses émotions. Il sourit. Ou plutôt : il souriait.
Depuis qu’une équipe médicale a
décidé que, sa « qualité de vie » étant insuffisante, il convenait de
lui couper l’alimentation et une bonne part de son hydratation en vue de le
faire mourir, il pleure lorsque sa mère ou ses proches viennent le voir…
Cet arrêt de l’alimentation et la
diminution drastique de son hydratation, réduite de 3 litres au total à 500 ml par 24 heures, ont
été mis en place depuis le 10 avril dernier, avec le consentement de son
épouse, mais malgré l’opposition expresse de ses parents et d’une partie de sa
famille qui n’ont été d’aucune façon entendus à propos de cette décision
médicale, qui n’est rien d’autre qu’un arrêt de mort par cessation des soins.
C’est très exactement une euthanasie par omission.
Le juge des référés, Mme Catherine Monbrun,
a ordonné samedi après-midi à 16 h 45 que l’alimentation et l’hydratation
normales de Vincent Lambert soient rétablies, annulant par ce fait la
« décision collégiale » qui avait été prise le 8 avril par
l’équipe médicale du CHU Sébastopol de Reims, de le faire mourir à petit feu au
motif que ces soins apparaissent aujourd’hui comme « inutiles, disproportionnels
et ayant comme seul effet le maintien artificiel de la vie ».
Elle a ainsi reconnu qu’il y
avait une « atteinte grave et manifestement illégale » à une
« liberté fondamentale » qu’il s’agissait de sauvegarder : la
vie même de Vincent Lambert, menacée, et le droit de ses proches qui ne
souhaitaient pas le voir tué. L’urgence étant caractérisée par
l’affaiblissement déjà très avancé du patient du fait de ce refus de nourriture
et d’eau.
Au nom du principe du
« respect de la vie » affirmé par la Convention européenne de
sauvegarde des droits de l’homme, que doit respecter notamment « toute
personne morale de droit public » tel un hôpital public, l’ordonnance de
référé rappelle que le juge des référés peut prendre toutes les mesures de
nature à faire cesser le danger « lorsque l’action ou la carence d’un tel
établissement crée un danger caractérisé et imminent pour la vie d’un patient,
portant ainsi une atteinte grave et manifestement illégale à cette liberté
fondamentale ».
Vincent Lambert, à l’heure où
j’écris ces lignes, est hors de danger. Par l’effet de l’ordonnance de référés,
on a recommencé à lui administrer du glucose et son alimentation est rétablie
avec toute la précaution et la progressivité que requiert son état. Sa vie est
sauvée.
Mais pour combien de temps ? Le résultat du référé a provoqué
la « rage » du chef de service de l’unité
de soins palliatifs où Vincent est hospitalisé. Une colère que m’a
décrite
Me Triomphe : il l’a constatée sur place au CHU de Reims, samedi
après-midi, où le médecin chargé de soigner Vincent Lambert a clamé
qu’il ferait tout pour procéder quand même à l’arrêt de la nourriture et
de
l’essentiel de l’hydratation de Vincent Lambert, refusant son transfert
dans un
autre hôpital plus respectueux de la vie au motif qu’ils sont
« responsables » du jeune homme, rejetant encore et encore la volonté
expresse de ses parents et d’une partie de sa famille de ne pas le voir
ainsi
volontairement poussé vers la mort. L'idée ? Relancer la « procédure
collégiale », dans les règles cette fois (manière de reconnaître que
tout avait été fait dans l'illégalité), mais avec la volonté préméditée
de passer outre à la volonté des parents de Vincent Lambert.
Ce que l'on constate chez ce médecin, c'est une pure volonté de tuer –
et j’écris cela en pesant mes mots, sans craindre de me voir contredire –
puisque tel est l’objectif unique de l’arrêt de la nourriture et de
l’hydratation.
Ce médecin qui a pris en
toute illégalité – c’est ce qu’établit l’ordonnance de référé – la décision de
faire mourir Vincent Lambert de faim et de soif, entend donc maintenant refaire
toute la procédure de manière respectueuse de la loi, cette fois, pour lui
couper encore les vivres.
Comment peut-il prétendre
cela ?
Un élément peut, selon la manière
dont on interprète la loi, lui donner raison, et il faut que la France le
connaisse, qu’elle sache qu’aujourd’hui la loi française peut permettre de tuer
un patient en le précipitant vers sa fin de vie.
Un deuxième lui donne tort,
absolument et d’emblée, nous allons voir comment.
*
1. La décision d’arrêter les traitements, même en l’absence de
situation de maladie en phase terminale, est une possibilité offerte aux
médecins dans le cadre de la loi Leonetti. Cela correspond à la volonté
d’éviter qu’une « obstination médicale déraisonnable » n’impose
d’inutiles souffrances au patient ; c’est le refus de l’« acharnement
thérapeutique » qui permet de refuser les traitements « inutiles,
disproportionné ou qui n’ont d’autre objet que le maintien artificiel de la
vie ».
« Traitement » :
le mot dit bien ce qu’il veut dire et ne désigne pas de lui-même les soins ordinaires dus à tout patient et
d’ailleurs à tout homme dans la mesure du possible : un toit, l’hygiène,
la nourriture et l’eau.
L’entourloupe de la loi Leonetti,
qui apparaît dans ses travaux préparatoires et qui est confirmée dans le
rapport d’évaluation de l’application de la loi par le même Jean Leonetti,
consiste à classer le soins ordinaire qu’est la nourriture (même administrée
par sonde) au nombre des « traitements médicaux ».
L’ordonnance de samedi prend acte
de cette possibilité et suit non la lettre de la loi, mais ces éclairages plus
que douteux du point de vue du droit, puisque la loi interdit au médecin tout
acte de nature à provoquer la mort.
On peut craindre que le droit
français ne finisse par entériner cette interprétation qui aboutit à donner aux
médecins un pouvoir de vie et mort sur leurs patients, même des patients qui
comme Vincent Lambert vivent comme tout être humain grâce à l’absorption de
nourriture et d’eau et qui ne souffrent d’aucune maladie qu’il faudrait
soigner.
La morale et le bon sens imposent
cependant de noter que la nourriture et l’hydratation même administrées
autrement que par la bouche ne sont pas des soins extraordinaires ni un
traitement médical : la vie qui est maintenue ainsi n’est pas plus
« artificielle » que celle d’un nourrisson que l’on nourrit ou d’un
malade trachéotomisé qui reçoit sa « ration de survie » par sonde. Il
ne s’agit pas de prolonger par des moyens techniques disproportionnés une vie
qui ne tient plus qu’à un fil. La preuve : c’est le refus de nourriture
qui va opérer la dégradation de la santé du patient et provoquer, lentement
mais sûrement, une mort cruelle.
2. Mais cette décision de refuser la nourriture et l’essentiel de
l’hydratation doit répondre à des règles strictes. Il faut tenir compte de la
volonté du patient si elle peut s’exprimer. Sinon, l’équipe médicale doit tenir
compte, le cas échéant, si elles existent, de ses directives anticipées, mais
ne peut prendre sa décision de mort sans consulter la famille et les proches du
patient.
Et s’il y a opposition, il faut
aussi en tenir compte.
Dans le cas de Vincent Lambert,
ainsi que le plaida Me Jérôme Triomphe et ainsi que les pièces produites devant
le juge allaient l’établir, la décision de mettre fin à sa vie a été envisagée
dès le mois de janvier, et que l’épouse du jeune homme y a été
« associée » dès début février. Mais ses parents n’en ont pas été
tenus informés : certes on a parlé à sa mère, le 5 avril, sans précisions,
mais assez pour que celle-ci manifeste sa ferme opposition à toute éventualité
d’une telle décision.
Elle a été prise pourtant le 8
avril et mise en œuvre le 10 avril.
Les médecins qui soignent Vincent
Lambert assurent que sa famille a été régulièrement tenue au courant… à
partir du 25 avril. En effet ! Mme Lambert a été alertée par
certains de ses enfants que Vincent, à ce qu’ils avaient remarqué, n’était plus
nourri, et c’est elle qui s’est précipitée à Reims pour aller dire aux médecins
son refus absolu d’une telle procédure qui constitue une mise à mort
volontaire !
C’est sur ce point de non-respect
de la procédure prévue par l’article 2. 4127-37 du code la santé publique que
le juge des référés a donné raison à M. et Mme Lambert.
L’ordonnance souligne le défaut d’information dont ont ils été
victimes par rapport à la mise en œuvre de la procédure collégiale par laquelle
un médecin, conforté par l’avis favorable d’un autre médecin étranger au cas,
peut décider de couper les vivres à un patient pour le faire mourir. L’ordonnance dénonce aussi que le fait
que les parents « n’ont pas été
informés de la nature et des motifs de cette décision ». Plus
important encore, le juge souligne que « la
décision d’arrêter l’alimentation et de limiter l’hydratation n’a pas pris en
compte les souhaits des parents de M. Vincent », et ce quand bien
même une partie de ses frères et sœurs et son épouse se sont montrés d’accord
avec elle.
Autrement dit, en cas
d’opposition de la famille, en l’occurrence le père et la mère de la victime
qui sont tout de même on ne peut plus proches, les médecins ont l’obligation
d’en tenir compte.
C’est un frein réel à l’application mortifère de la loi Leonetti, et
cette affaire a eu pour premier mérite de le mettre en évidence.
Lorsque le médecin de Reims prétend remettre en route une procédure
collégiale, cette fois en respectant les conditions posées par la loi,
non seulement il soulignent en creux la manière illégale dont ils ont
agi, mais il méconnaît ce droit des parents qu'en tout état de cause
il doit respecter en s'abstenant de prendre une décision de mise à mort.
*
Il n’est pas inutile de noter que
les documents médicaux produits par le CHU de Reims en défense de sa décision
démontrent l’état de conscience réel quoique apparemment très diminué et le
fait qu’il ressent des émotions. Ni que la décision de faire cesser son
alimentation et de limiter fortement son hydratation ont fait suite à ce que l’équipe
médicale appelle des « signes d’opposition comportementale de la part de M.
Lambert lors des actes de “nursing” a fait suspecter un refus de vivre et a
suscité une réflexion éthique au sein de l’équipe médicale ».
En clair : il a montré son
inconfort lors de la toilette, des soins de bouche…
Cela leur a suffi.
Nous parlerons de cette affaire
avec Me Jérôme Triomphe sur Radio
Courtoisie à partir de 8 h 30 ce dimanche matin, l’émission sera
rediffusée à 21 h 30 : on peut l’écouter partout dans le monde sur http://www.radiocourtoisie.fr.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire