jeudi 26 décembre 2013

Programmes de gauche et hotte du Père Noël

Toute politique, toute volonté de réforme en France se heurte à un mur. Largement mythique, il a été maçonné à partir d'un dogme : le tout petit document de 6 pages, rédigé par quatre staliniens en 1944, Pierre Villon tenant la plume, pour servir de programme commun socialo-communiste. Appelé au départ "les Jours Heureux" la Mémoire a entériné faussement ce tract comme "programme du CNR". Sous cette appellation certains l'invoquent aujourd'hui encore, de préférence sans l'avoir jamais lu.
Il ne semble donc pas inutile de revenir, dans le cadre de cette chronique, sur sa dissection, sur sa genèse et sa fonction mensongère.
Si l'on observe l'histoire de la gauche française, elle n'aura produit en effet, en deux siècles d'agitation, que quatre "programmes communs". À la lecture, ils se révèlent moins dissemblables que ce que l'on pourrait croire. Guère de vrais changements depuis le manifeste de la Montagne de 1849 jusqu'au programme commun de 1972, en passant par le programme du rassemblement populaire de janvier 1936 et le fameux texte des "Jours Heureux" de mars 1944.
On notera à ce sujet une remarque édifiante de Claire Andrieu : "Dans les premiers jours de septembre 1944, les Français libérés découvrirent l'existence d'un « programme du CNR »." (1)⇓
Le CNR était passé le 11 septembre 1944 sous le contrôle de Saillant. Compagnon de route du parti communiste, (2)⇓ ce dirigeant cégétiste sera en 1946 l'un des instrument de son basculement complet de la centrale dans la dépendance du parti. Il sera le cofondateur avec son homologue russe Kouzntesov de la fameuse Fédération syndicale mondiale d'obédience soviétique… (3)⇓
C'est en 1942 en effet que l'unificateur de la résistance intérieure Jean Moulin désira faire formuler par un comité des experts les perspectives de gouvernement de la France libérée. Ce groupe de travail clandestin recruta essentiellement 9 membres. Presque tous allaient jouer un rôle important dans l'après-guerre, sous les Quatrième et Cinquième républiques. Citons ainsi Alexandre Parodi, Pierre Lefaucheux qui dirigera la régie Renault, Michel Debré, le professeur de droit Paul Bastid ou René Courtin, futur administrateur du Monde.
Cette équipe ne comportait aucun communiste. Elle produisit notamment un Rapport sur la politique économique d'après-guerre synthétisé en novembre 1943 par Courtin. Seul ce texte de 113 pages pourrait à la rigueur être tenu pour un "programme" de la Résistance intérieure, puisqu’il avait été communiqué pour accord à tous les mouvements. Mais ce fut pour le court-circuiter que les communistes conçurent le document de 6 pages auquel on ose faire encore référence aujourd'hui.
Jean Moulin avait été arrêté en juin 1943 dans des conditions dont les historiens débattent encore aujourd'hui. L'une des clefs de l'énigme repose à la fois sur sa relation aux communistes et sur le revirement tactique de la politique de Staline à partir de 1943. Celle-ci consistera dès lors à se débarrasser de l'étiquette sulfureuse du Komintern et à se délester d'une bonne partie de ses anciens alliés "antifascistes", anciens compagnons de route recrutés à la faveur de la guerre d'Espagne. Le plus significatif d'entre eux, Willy Münzenberg, avait été assassiné par les agents du NKVD pendant la période d'alliance soviéto-allemande. (4)⇓
Certes, longtemps encore, le PCF cherchera à "plumer la volaille" socialiste en acceptant tactiquement de lui proposer un "programme commun" etc. Et il y parviendra au début de la Quatrième république ! Ne perdons jamais de vue que jamais les Français n'ont vraiment voté en majorité pour les marxistes, malgré les poussées de socialismes étatistes dont la plus forte se manifeste en 1945, avec 49,6 % pour l'addition socialo-communiste aux législatives du 21 octobre 1945, mais quand même une majorité de 50,4 % en faveur de  leurs adversaires, démocrates-chrétiens, radicaux et libéraux.

Dès les élections suivantes, le 2 juin 1946, le pourcentage socialo-communiste passe à 47 %. Il ne cessera de diminuer. En un quart de siècle, des législatives de 1945 à l'élection présidentielle de 1969 la gauche marxisante était donc passée d'une influence de 49,6 % à 31 % (Duclos + Defferre-Mendès + Rocard + Krivine). Et le bloc socialo-communiste s'est largement fissuré.
On comprend mieux pourquoi en 1971 Mitterrand a dû reconstruire un "nouveau" parti socialiste : celui dont Hollande fait figure d'héritier. Il avait été conçu dans une perspective d'alliance avec les "stals", lesquels s'effondrèrent dans les années qui suivront.
Le prix à payer se soldera, dès l'année suivante, par le "programme commun". Ce document, qui semble extravagant lorsqu'on le relit de nos jours, avait été rédigé et négocié en 1972 sous l'influence de Chevènement. Il commencera à être appliqué, et il aura largement contribué à ruiner la France, à partir de 1981.
Le PCF continuera, du point de vue électoral, sa descente aux enfers. Mais du point de vue programmatique et syndicaliste, il ne se porte pas aussi mal qu'il le mériterait.
Les survivants impuni du stalinisme peuvent donc remercier les deux Pères Noël et autres rédacteurs de "programmes communs". Et chacun doit mesurer aujourd'hui que le traineau de ces bonshommes rouges, à la source de ce que l'on veut figer aujourd'hui comme un "modèle français", ne venait pas de Finlande.
JG Malliarakis 
Apostilles
(1) cf. livre collectif sous la direction de cette historienne "Les Nationalisations de la Libération" Presses de la FNSP, 1987, page 53
(2) cf. L'Humanité du 24 mai 1947 :"à Lyon devant 50 000 manifestants, Louis Saillant déplore le renvoi des ministres communistes."
(3) cf. L'Huma du 26 septembre 1945.
(4) cf. le chapitre que nous lui consacrons dans notre "Alliance Staline-Hitler"

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