PARIS (NOVOpress) - À l’occasion des fêtes de fin d’année,
les rédacteurs de Novopress vous proposent de découvrir une sélection de
livres à travers des extraits choisis. Dans La Culture du narcissisme, sous-titré La vie américaine à un âge de déclin des espérances (publié
en 1979), l’historien et sociologue américain Christopher Lasch analyse
les tourments et les contradictions de la vie moderne mais aussi les
conditions politiques et culturelles qui en commandent le sens.
À une époque moins complexe, la publicité se contentait d’attirer
l’attention sur un produit et de vanter ses avantages. Maintenant, elle
fabrique son propre produit : le consommateur, être perpétuellement
insatisfait, agité, anxieux et blasé. La publicité sert moins à lancer
un produit qu’à promouvoir la consommation comme style de vie. Elle
« éduque » les masses à ressentir un appétit insatiable, non seulement
de produits, mais d’expériences nouvelles et d’accomplissement
personnel. Elle vante la consommation, remède universel aux maux
familiers que sont la solitude, la maladie, la fatigue, l’insatisfaction
sexuelle. Mais simultanément, elle crée de nouvelles formes de
mécontentements, spécifiques de l’âge moderne.
Elle utilise et stimule le malaise de la civilisation industrielle.
Votre travail est ennuyeux et sans signification ? Il vous donne un
sentiment de fatigue et de futilité ? Votre existence est vide ?
Consommez donc, cela comblera ce vide douloureux. D’où la volonté
d’envelopper la marchandise d’une aura romantique, d’allusion à des
lieux exotiques, à des expériences merveilleuses, et de l’affubler
d’images de seins féminins d’où coulent tous les bienfaits.
La propagande de la marchandise sert une double fonction :
premièrement elle affirme la consommation comme solution de remplacement
à la protestation et à la rébellion. Paul Nystrom, pionnier de l’étude
du marché moderne, a remarqué que la civilisation industrielle donnait
naissance à une « philosophie de la futilité », à « une pesante
fatigue », à un « désenchantement quant à la valeur des
accomplissements », lesquels trouvent un débouché dans le changement
« des phénomènes superficiels où règne la mode ». Le travailleur
fatigué, au lieu de tenter de changer les conditions de son travail,
cherche à se revigorer en renouvelant le cadre de son existence, au
moyen de nouvelles marchandises et de services supplémentaires.
En second lieu, la propagande de la marchandise, ou de la
consommation de celle-ci, transforme l’aliénation elle-même en une
marchandise. Elle se tourne vers la désolation spirituelle du monde
moderne et propose la consommation comme remède. Elle promet de pallier
tous les malheurs traditionnels, mais elle crée, aussi, ou exacerbe, de
nouvelles manières d’être malheureux : l’insécurité personnelle,
l’anxiété quant à la place de l’individu dans la société, l’angoisse
qu’ont les parents de ne pas être capables de satisfaire les besoins de
leurs enfants (…). La publicité institutionnalise l’envie et l’anxiété
qui en découle.
Christopher Lasch, La culture du narcissisme
(chapitre « Décadence du système éducatif »), Flammarion Champs Essais,
1979, préface de Jean-Claude Michéa. Traduit de l’anglais par Michel L.
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