"[I]l n'est pas interdit de questionner
le regard médiatique posé sur les récentes manifestations et émeutes qui
ont fait une grande partie de l'actualité. [...] Pour l'énoncer
lapidairement, on constate un a priori bienveillant porté sur les foules encolérées par ce que l'on appelle les mass media. Pour le dire autrement, la rue a bonne presse.
Ainsi, lors du fameux printemps arabe,
il était de mauvais goût de recommander la prudence au même moment où
des journalistes empathiques décrivaient extatiquement la place Tahrir
emplie de blogueurs laïcs épris de modernité. La dilection xénophile
pour l'altérité de la «rue arabe», une fascination révérencieuse pour
une colère sanctifiée, l'ivresse communicative de la foule courageuse et
survoltée tenaient en respect stylos et caméras. [...]
De la même manière que les observateurs
sur place n'ont pas voulu observer les viols de femmes commis
quotidiennement sur le site de la révolution cairote, beaucoup n'ont
voulu voir sur la place Maïdan que des manifestants pacifiques désirant
faire entrer une Ukraine unanime dans une communauté
européenne attrayante. À cette vision idyllique plusieurs explications.
La première, mécanique: l'intérêt professionnel objectif de diffuser une
information simple et manichéenne mettant en scène, de manière
romantique, des révolutionnaires insurgés contre un despote. [...]
En France, le climat médiatique imprégnant les effervescences urbaines est encore plus pollué par l'idéologie.
D'abord, sous l'empire d'une confortable posture post-démocratique
pratiquant, non sans arrogance, la dérision envers un personnel
politique pourtant issu des urnes. Dès lors, toutes les
contestations spectaculaires sont les bienvenues, des Indignés jusqu'aux
Femen, sans que vienne simplement se poser la question de leur
représentativité. Ensuite, en raison de préjugés politiques tenaces.
C'est ainsi que l'on voudra bien
comparer les amalgames médiatiques que les organisateurs et
participants de la Manif pour tous ont dû endurer avec l'extrême
prudence qui caractérise le traitement de la manifestation prétendument
écologique de Nantes.
D'un côté, des manifestants, sans doute
trop propres sur eux, trop polis pour être honnêtes, car d'un légalisme
scrupuleux, caricaturés, diabolisés (encore par Le Nouvel Obs cette semaine), appréhendés en nombre, ne serait-ce que pour le port d'un tee-shirt, quand ce n'est pas embastillés.
De l'autre, une manifestation violente
ayant tourné au saccage d'une ville par des nervis déterminés à tout
détruire. Dans ce cadre, gouvernement et médias vont s'efforcer à ne pas
amalgamer certains manifestants avec d'autres. Sage précaution encore
peut-être qu'excessive: les Black Bloc d'ultragauche (notez que le
préfixe d'«ultra» est employé pour ne pas éclabousser l'«extrême»
gauche) avaient déjà sévi à Notre-Dame-des-Landes. Ils occupent
impunément les lieux. Ils avaient déjà lynché un gardien du site. [...] Une
triste ironie veut que ce soit ces mêmes radicaux que la presse
gratifie d'«antifascistes» lorsqu'ils font le coup de poing contre
l'extrême droite et le FN, comme à Rennes il y a quelques jours.
Dans le même désespérant registre, ce
sont sans doute aussi des «antifascistes antiracistes» qui ont exclu
samedi d'une manifestation toulousaine «contre l'homophobie et
l'antisémitisme» (organisée avec la présence du NPA et de la Ligue des
droits de l'homme) un député UMP et la représentante locale du Crif aux
cris de «fascistes, sionistes».
La presse hexagonale, dans un louable
effort de lutte contre le strabisme politique, serait bien inspirée de
réviser d'urgence sa terminologie un brin simpliste."
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire