Suite
à ma brève étude consacrée à l’U.K.I.P. (Parti de l’Indépendance de la
Grande-Bretagne) de Nigel Farage, « Poussée souverainiste outre-Manche »
dans le mensuel en ligne Salut public, n° 16 de juin 2013, des
lecteurs se sont étonnés que je qualifie ce mouvement souverainiste
britannique de « national-mondialiste ». Il est vrai que le qualificatif
paraît osé, mais cette provocation voulue entend signaler une tendance
nouvelle qui témoigne de la mue du mondialisme afin de contourner et de
neutraliser les réactions souvent défensives qu’il suscite.
Le
mondialisme « classique » se présente sous deux formes souvent
antagonistes tant au sujet des moyens que des finalités dernières. Le
premier mondialisme demeure le plus connu puisqu’il regroupe les
cénacles de l’hyper-classe oligarchique planétaire et domine les
médiats, la finance, la politique et les grands groupes transnationaux.
Ces mondialistes-là se retrouvent régulièrement lors des réunions à
Davos, de la Commission Bilderberg ou de la Trilatérale, etc. Ces
chantres de la mondialisation globale ne revendiquent pas publiquement,
sauf exceptions notables, un État mondial. Ils préfèrent soutenir une «
communauté internationale » régie par des normes occidentales, libérales
et « démocratiques de marché » (en fait ploutocratiques et
oligarchiques) qui écrase le politique au profit d’un économicisme. Pour
eux, la paix universelle garantit le maximum d’affaires donc de
profits. Le second mondialisme, bien plus récent, apparaît à la fin des
années 1990. C’est l’« altermondialisme ». Prétextant des
préoccupations sociales, environnementales et sociétales, les
altermondialistes imaginent une structure politique inter-continentale
dans laquelle les citoyens du monde sur-connectés exprimeraient leurs
avis à des dirigeants révocables sur le champ grâce à la grande Toile
numérique mondiale. Si les altermondialistes mènent souvent des combats
sympathiques et nécessaires, leur dessein final d’évacuation définitive
du politique et du conflit les dessert, d’où l’amenuisement perceptible
depuis cinq – six ans de leur activisme.
Ces
deux versions mondialistes ne cachent pas leur objectif ultime, ce qui
explique probablement la méfiance immédiate des peuples. Suite à cette
défiance véritable, tel un organisme confronté à un problème de survie,
l’idéologie mondialiste a commencé une entreprise de diversification morphologique, à un travestissement des idées, voire à une infiltration, avec le secret espoir de favoriser une large confusion. Le phénomène est particulièrement notable avec le régionalisme.
En
Bolivie, l’élection en 2006 de l’Amérindien révolutionnaire Evo Morales
à la présidence de la République stimula le séparatisme de cinq
départements amazoniens du pays. Il fallut toute l’autorité
présidentielle d’Evo Morales pour éteindre ces velléités centrifuges.
Ces séparatistes, souvent d’origine créole, proche des riches
propriétaires des latifundia et financés par les États-Unis,
défendaient-ils une culture particulière, une autonomie linguistique ou
une spécificité historique ? Nullement ! Leurs motivations premières
étaient la défense de leur fortune agrarienne et leur refus d’obéir à un
président à la peau cuivrée. Il est intéressant de relever que certains
de ces indépendantistes rêvaient que leur hypothétique État adhérât à
l’A.L.E.N.A. …
On
retrouve cet exemple de « régional-mondialisme » d’une manière moins
nette, plus diffuse, en Europe de l’Ouest. probable grand vainqueur aux
élections législatives, régionales et communautaires l’année prochaine
en Belgique, la Nouvelle Alliance flamande de Bart De Wever
doit être désignée comme une formation « nationale-centriste ». Si son
seul député européen siège dans le groupe commun des Verts – A.L.E.
(Alliance libre européenne – régionaliste), son meneur principal et
actuel maire d’Anvers ne cache pas son admiration pour le
libéral-conservateur anglais Edmund Burke. Se focalisant sur la question
linguistique qui exclut les minorités francophones albo-européennes et
qui accepte des populations étrangères non européennes néerlandophones,
la N.V.A. soutient un regrettable point de vue assimilationniste et
réducteur.
En
Catalogne, l’année 2014 risque d’être décisive puisque le gouvernement
autonome catalan démocrate-chrétien, encouragé par l’extrême gauche
républicaine indépendantiste, prévoit un référendum d’auto-détermination
par avance rejeté par le gouvernement conservateur de Madrid. Le chef
de la Généralité catalane, Artùr Mas, développe une démagogie intense en
faveur de l’indépendance alors que la région très autonome croule sous
un endettement public faramineux. Indépendante, la Catalogne deviendrait
une proie facile pour les jeunes requins friqués d’Asie et du
Moyen-Orient. Comme pour les Flamands d’ailleurs, les indépendantistes
catalans rêvent d’adhérer à l’Union européenne et de se maintenir dans
l’Alliance Atlantique.
Le
phénomène est plus frappant en Écosse. En 2014 se tiendra un référendum
sur l’indépendance validé par le Premier ministre conservateur
britannique, David Cameron, et son homologue écossais, Alex Salmond,
chef du S.N.P. (Parti nationaliste écossais) indépendantiste
d’orientation sociale-démocrate. Dans le cas d’une Écosse libérée d e la
tutelle londonienne, le nouvel État serait toujours une monarchie
parlementaire avec pour reine Elisabeth II et ses successeurs. Quant à
la monnaie, ce serait soit l’euro, soit la livre sterling.
Il faut oublier les belles images du film de Mel Gibson Braveheart. Hormis une minorité indépendantiste identitaire réunie au sein d’un Front national écossais
(1), les indépendantistes écossais – en tout cas leurs responsables –
communient eux aussi dans le « multiculturalisme ». Dans la perspective
de la consultation référendaire, le S.N.P. dispose du soutien de la
communauté pakistanaise. D’ailleurs, le ministre écossais des Affaires
étrangères et du Développement internationale, Humza Yousaf, est un
Pakistano-Kényan. Alex Salmond déclare ainsi que « nous avons une
identité attrayante, d’autant plus que nous ne mettons pas en avant un
caractère exclusif. Les gens ont droit à la diversité et l’écossité en
fera partie à coup sûr (2) ».
À
quoi bon dès lors une Écosse indépendante si la population n’est plus
écossaise à moyen terme ? Un néo-mondialisme investit donc le champ
régional sans trop de difficultés d’autant que maints régionalistes
récusent toute connotation identitaire.
Ce néo-mondialisme s’invite même chez les souverainistes anti-européens du Vieux Continent. Le cas du Parti pour la liberté
(P.V.V.) néerlandais de Geert Wilders reste le plus exemplaire. Ce
parti néo-conservateur et libéral défend les droits de la minorité
homosexuelle face à l’affirmation d’un islam rigoriste assumé. Dans une
logique de confrontation entre l’Occident, perçu comme la patrie
universelle des droits de l’homme, et l’Islam, considéré comme une
civilisation arriérée, le P.V.V. s’aligne sur des positions atlantistes
et sionistes avec la secrète espérance de ne pas être diabolisé par les
médiats. Cette démarche similaire se retrouve en Allemagne où règne
depuis 1945 une incroyable terreur mémorielle. Des formations d’audience
régionale comme Pro Köln (Pour Cologne) ou Pro N.R.W. (Pour la Rhénanie du Nord – Westphalie) tiennent un discours anti-musulman grossier qui confond Al-Qaïda et le Hezbollah libanais. On devine une argumentation néo-conservatrice et atlantiste du choc des civilisations…
En France, le néo-mondialisme ne parie pas encore sur le F.N. dédiabolisé de Marine Le Pen. Outre le Front de Gauche de Jean-Luc Mélenchon, il encourage plutôt l’ancien Young Leader de la French American Foundation, Nicolas Dupont-Aignan de Debout la République.
Comme d’ailleurs Mélenchon, le député-maire d’Yerre suggère comme
alternative au projet européen une union méditerranéen France – Afrique
du Nord ! Remarquons aussi qu’il envisagea de coopérer avec le F.N. à la
condition que celui-ci abandonne son positionnement identitaire. Or
c’est précisément ce choix fondamental qui permet au part frontiste
d’être la troisième force politique de l’Hexagone.
Le néo-mondialisme a enfin pris le visage du populisme en Italie avec Beppe Grillo et son Mouvement Cinq Étoiles.
L’extraordinaire succès de cette force « anti-politique » aux
législatives anticipées de février 2013 a mis en lumière le rôle de
gourou de Gianroberto Casaleggio. Ce riche patron d’une entreprise
d’informatique rêve d’un État mondial numérisé d’influence New Age – Gaïa
– dans lequel seraient proscrites les religions et les idéologies (3).
Par certains égards, on peut considérer que Casaleggio représente le
versant populiste d’un néo-mondialisme comme Wilders en incarne le
versant néo-conservateur atlantiste. Dernièrement, Nigel Farage a
considéré comme « épouvantable » une campagne du ministère britannique
de l’Intérieur destinée à dégoûter les immigrés illégaux de venir en
Grande-Bretagne (4). Farage précise même qu’il trouve cette opération
publicitaire « très “ Big Brother ” […], très Allemagne de l’Est dans les années 1980, une horrible façon de lutter contre l’immigration (5) ».
Il
est intéressant de remarquer que ces partis dits « populistes » et «
eurosceptiques » mésestiment, minorent ou ignorent délibérément –
peut-être pour satisfaire le politiquement correct des gras médiats – la
thématique identitaire. L’U.K.I.P. dénonce plus la présence de Polonais
ou de Grecs que l’immigration venue du Commonwealth. Quant aux
critiques du P.V.V., elles se focalisent sur l’islam et non sur
l’immigration (6). Finalement, au jeu des comparaisons, l’Aube dorée grecque et le Jobbik
hongrois témoignent d’un sens plus développé de l’identité ancestrale
autochtone, ce qui par ces temps troublés n’est pas négligeable.
Georges Feltin-Tracol http://www.europemaxima.com/?p=3301
Notes
1 : Cette formation est évoquée par l’excellent blogue de Lionel Baland, le 21 juin 2013 : http://lionelbaland.hautetfort.com/
2 : dans The Observer cité par Courrier International du 18 au 24 juillet 2013.
3 : Lire l’excellente analyse de Patrick Parment, « Le présent italien annonce-t-il le futur italien ? », Synthèse nationale, n° 31, mars – avril 2013.
4 : Julien Laurens, « Shocking, la pub anti-clandestins ! », Aujourd’hui en France, 1er août 2013.
5 : dans Le Nouvel Observateur, 29 août 2013.
6
: À la décharge de l’U.K.I.P. et du P.V.V., reconnaissons-leur qu’ils
viennent de s’opposer officiellement – et avec raison – à toute
intervention militaire occidentale en Syrie. Ils rejoignent de ce fait
le B.N.P., l’Aube dorée, le F.N. et les Republikaner allemands.
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