Les
médias continuent de classer le Front national à droite ou à l’extrême
droite de l’échiquier politique. Est-ce toujours pertinent ? D’ailleurs,
cela l’a-t-il jamais été ?
Alain de Benoist : Le
Front national est à l’origine un mouvement d’extrême droite qui s’est
mué progressivement en mouvement national-populiste. Le populisme est un
phénomène complexe, que les notions de droite et de gauche ne
permettent pas d’analyser sérieusement. Non seulement le FN est
aujourd’hui une force montante, qui touche les hommes aussi bien que les
femmes et marque des points dans toutes les catégories d’âge ou
professionnelles, mais il arrive maintenant en tête des intentions de
vote aux élections européennes, loin devant le PS ou l’UMP, ce qui
revient à dire qu’il est en passe de s’imposer comme le premier parti de
France. Par ailleurs, Marine Le Pen est aux yeux de 46 % des Français
la personnalité politique qui incarne le mieux l’opposition (sondage
CSA/BFMTV). Comme l’a reconnu Jérôme Fourquet, directeur du département
opinion de l’IFOP, « il n’y a plus désormais de sympathisants types du Front national ».
Dès lors, son assignation à l’extrême droite relève d’une simple
paresse intellectuelle ou d’une propagande qui ne vise qu’à le
délégitimer (les deux n’étant pas incompatibles). Mais cette
catégorisation n’est plus crédible aujourd’hui. Elle repose sur des
arguments qui ont fait long feu.
Un
boulevard s’ouvre aujourd’hui devant le Front national, car il n’est
pas de jour que les événements ne creusent encore un peu plus le fossé
béant qui sépare désormais la Nouvelle classe et le peuple. Dans une
telle situation, il n’est plus de « cordon sanitaire » ou de « front républicain » qui tienne. Pas plus qu'on ne fera croire aux Français qu'ils sont devenus « racistes » parce qu'un hebdomadaire a fait une comparaison déplorable qui diffamait stupidement nos amis les singes et les guenons.
On dit que Marine Le Pen a « dédiabolisé » le
Front. Il faudrait plutôt dire qu’elle s’est affirmée comme une
véritable femme politique – j’entends par là quelqu’un qui a compris ce
qu’est la politique : un moyen d’accéder au pouvoir, pas une façon de « témoigner » ou de rassembler une « famille ».
C’est ce qui la distingue de son père, et plus encore du brave Bruno
Gollnisch. Personnellement, je porte à son crédit d’être restée sourde
aux piaillements des excités de tout poil, des anciens combattants des
guerres perdues, des revenants de ceci ou de cela, des nostalgiques des
régimes d’avant-hier et des époques révolues. C’est dans cette voie
qu’elle doit persévérer si elle veut doter son mouvement de cadres
dignes de ce nom.
Marine Le Pen semble avoir opéré un virage « à gauche ». Certes, dans les années 80, son père se présentait comme le « Reagan français ». mais dès 1972, année de sa création, le Front National publiait un programme économique éminemment « social », voire « socialiste ». Gérard Longuet en fut l'un des principaux signataires. Alors, « virage » ou « retour aux sources » ?
Alain de Benoist: Quelle importance ? L’important est que ce tournant « à gauche » ait été pris. C’est dire que je ne suis pas de ceux qui, devant le programme économique et social du Front, parlent de « démagogie gauchiste ».
Que le FN semble avoir compris que la priorité est de lutter contre
l’emprise du système capitaliste libéral, contre la logique du marché,
contre la globalisation libre-échangiste, contre la colonisation des
imaginaires par les seules valeurs commerciales et marchandes, est d’une
importance que je n’hésiterai pas à qualifier d’historique, après 40
ans « d'orléanisation » des milieux « nationaux ».
C'est ce qui lui permet de toucher les classes populaires, les ouvriers,
les artisans, les anciens communistes que scandalise le ralliement au
système dominant des anciens révolutionnaires « repentis ».
Pour
s’imposer définitivement, le FN doit en priorité liquider l’UMP. C’est
la condition première pour que Marine Le Pen soit présente au deuxième
tour en 2017. Notons que, de son côté, François Hollande a lui aussi
tout intérêt à affronter Marine Le Pen à la prochaine présidentielle
plutôt qu’un Sarkozy, un Fillon ou même un Copé. C’est donc là que les
choses se joueront.
Certains,
souvent dans les milieux identitaires, reprochent à Marine Le Pen sa
fibre jacobine. Est-ce aussi simple ? Est-ce aujourd’hui une priorité
que d’aller chercher un clivage entre régionalistes et colbertistes ?
Alain de Benoist Européen
et régionaliste, antijacobin dans l’âme, je suis moi-même en désaccord
avec Marine Le Pen sur ce point. Mais je suis également conscient que
l’Europe politiquement unifiée, l’Europe puissance autonome et creuset
de civilisation que je souhaite n’est pas pour demain. L’Union
européenne n’est aujourd’hui qu’une caricature d’Europe. À bien des
égards, c’est même le contraire de l’Europe. Cela dit, je crois que le
souverainisme jacobin demeure une impasse. Voyez la révolte des « Bonnets rouges » en
Bretagne : on ne peut rien comprendre à ce mouvement si l’on ne prend
pas aussi en compte sa dimension identitaire et régionaliste.
En 1995, Samuel Maréchal, patron du Front national de la jeunesse, publiait un ouvrage intitulé Ni droite ni gauche, Français ! La présidente du Front national semble avoir fait évoluer ce concept en ce que l’on pourrait résumer par un autre slogan : « À la fois de droite et de gauche, mais Français ! »… Progrès ou régression ?
Alain de Benoist: Outre qu’il a déjà une histoire, le slogan « ni droite ni gauche » ne veut pas dire grand-chose. « Et droite et gauche » est
bien meilleur. À un moment où de telles notions ne sont plus
opérationnelles pour analyser les nouveaux clivages qui se mettent en
place, il s’agit de rassembler des idées justes d’où qu’elles viennent.
Au lendemain de l’élection présidentielle de 2007, j’avais écrit ceci : « L’avenir
du FN dépendra de sa capacité à comprendre que son “électorat naturel”
n’est pas le peuple de droite, mais le peuple d’en bas. L’alternative à
laquelle il se trouve confronté de manière aiguë est simple : vouloir
incarner la “droite de la droite” ou se radicaliser dans la défense des
couches populaires pour représenter le peuple de France. » J’ajoutai « qu’il
reste au FN à apprendre comment devenir une force de transformation
sociale dans laquelle puissent se reconnaître des couches populaires au
statut social et professionnel précaire et au capital culturel
inexistant, pour ne rien dire de ceux qui ne votent plus ». Cette
alternative est toujours présente. Le FN n’a de chances de l’emporter
que s’il devient le parti du peuple. C’est même le nom que j’aimerais
lui voir porter.
Alain de Benoist, propos recueillis par Nicolas Gauthier (Boulevard Voltaire, 3 déc. 2013)
Via : ZENTROPA
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