lundi 4 mars 2019

Entretien avec Loup Mautin (forum Terres de France): “Agriculture : promouvons le localisme !”

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Loup Mautin est père de famille et agriculteur dans le Perche. Il exerce son activité dans les domaines de la polyculture et de l’élevage depuis 22 ans. Au sein du Rassemblement national, il a lancé le forum Terres de France en novembre 2018. Le journal Présent l’a rencontré à l’occasion du 56e Salon International de l’Agriculture qui a fermé ses portes ce dimanche.
— Que vous inspire cette vitrine du monde agricole qu’est le Salon de l’agriculture ?
— Comme toujours, ce salon est une réussite. La grande vitrine des campagnes de France s’offre au monde entier comme un instrument diplomatique et commercial de premier plan. C’est le salon de l’excellence française et quelque part aussi celui de la fierté française, de la fierté de nos productions et de nos terroirs. Ce sont les produits de siècles de labeur dont les façons ont produit les fruits les plus savoureux.
— Pourtant le monde agricole souffre et la réalité est parfois difficile ?
— La vitrine est un peu trop belle quand on connaît la vraie vie des campagnes, quand on côtoie la misère du bout des chemins ou que l’on partage le quotidien du fin fond du bocage. C’est pourtant une bonne chose qu’une fois par an, la plus grande ferme de France se mette sur son 31 pour montrer le meilleur d’elle-même parce qu’elle sait que les Français l’attendent, que le monde entier la regarde. Il n’y a jamais eu un tel attachement pour le monde agricole. Les citadins sont fiers de leurs terroirs et de leurs paysans. Et c’est bien là le paradoxe car dans l’arrière-boutique, la réalité est très différente.
La dérégulation en cours actuellement favorise les ambitions affichées des Etats-Unis, du Brésil et de la Chine qui ont la capacité de pratiquer des prix issus d’un dumping social ou environnemental sur lequel il est impossible de nous aligner. C’est la raison pour laquelle notre agriculture est grandement fragilisée, y compris vis-à-vis de certains pays au sein même de l’UE en raison de l’absence d’harmonisation fiscale et sociale, et de charges salariales plus élevées en France. De plus, le démantèlement de la Politique Agricole Commune en cours actuellement, a largement fragilisé la position des agriculteurs français et européens par une exposition plus forte à la volatilité des prix.

En conséquence de quoi, le monde rural souffre et nos agriculteurs n’arrivent plus à vivre de leur travail. Personne n’ignore le drame des suicides (un tous les deux jours en France) et la misère des revenus toutes filières confondues. Nous avons le sentiment d’être la variable d’ajustement de choix politiques dont le pouvoir n’a plus les moyens.
— Cette réalité de la mondialisation, comment se manifeste-t-elle dans votre profession ?
— Les défis des prochaines années sont colossaux. En 2050, il y aura 10 milliards de bouches à nourrir et notre agriculture est grisonnante. Certains l’ont bien compris, ce qui attise d’ores et déjà les convoitises. Un immense mouvement de financiarisation du foncier est à l’œuvre : 40% de nos terres agricoles sont détenues par le biais de sociétés par actions, contre 10% il y a seulement une dizaine d’années. Les Chinois (20% de la population mondiale pour 10% des terres arables) s’intéressent de plus en plus à nos exploitations agricoles. Des milliers d’hectares leur ont été vendus. L’envol du prix des terres rend de plus en plus difficile l’installation des jeunes agriculteurs qui ne peuvent soutenir la concurrence. Dans ce domaine, un protectionnisme ciblé est vital. L’alimentation est trop stratégique pour répondre aux règles classiques du libre-échange. C’est notre souveraineté et notre sécurité alimentaires qui sont en jeu.
D’autre part, d’ici dix ans, la moitié des agriculteurs cesseront leur activité et un exploitant sur deux ne sera pas remplacé. Qu’allons-nous transmettre ? Que deviendra le modèle d’agriculture familial français qui a façonné le monde rural ? Nos savoir-faire ? Nos traditions ? Ce patrimoine a besoin d’être protégé.
— Mais l’agriculture française possède déjà de nombreuses marques et appellations reconnues ?
— Nos produits sont d’une qualité exceptionnelle. Malheureusement, les produits importés en vertu des accords de libre-échange signés avec la terre entière par l’UE inondent nos marchés et font chuter les cours. De surcroît, nos concurrents ne respectent pas les normes sanitaires et environnementales que nous nous imposons. C’est une distorsion de concurrence déloyale très préjudiciable aux producteurs que nous sommes et c’est un danger pour le consommateur dont la sécurité alimentaire peut être menacée.
— Comment notre modèle agricole pourrait survivre dans ces conditions ?
— Si rien n’est fait, ce modèle mourra et le productivisme produira son œuvre de destruction et de déracinement. Il faudrait réduire le déséquilibre entre un amont atomisé, avec des centaines de milliers d’agriculteurs, des dizaines de milliers de PME de l’agro-alimentaire, et un aval extrêmement concentré, avec cinq centrales d’achats qui tiennent la distribution. Ce rapport de force doit être corrigé. Il faudrait pouvoir revenir à des choses simples qui étaient saines. Le plus simple doit être de faire ses courses chez les commerçants de proximité, de son village. Le plus simple, ce doit être de pouvoir habiter où l’on a ses racines, sa famille, ses engagements de vie. C’est la clé de la revitalisation de nos territoires ruraux. Le localisme est la réponse appropriée au nomadisme forcé induit par les règles européennes de libre circulation et de libre-échange. 
— Que propose le RN sur ces sujets dans son programme pour les européennes ?
— Il faut avant tout extraire l’agriculture des traités de libre-échange qui mettent en péril notre sécurité alimentaire, sanitaire et menacent notre modèle agricole. Nous préconisons l’exception agri-culturelle. Le RN souhaite mettre en place un patriotisme économique qui privilégiera la consommation de nos propres produits dans la commande publique. La consommation locale doit devenir la norme et l’importation, l’exception. La traçabilité doit être améliorée afin que chaque Français sache ce qu’il consomme réellement dans son assiette.
Le localisme doit permettre de restructurer nos filières et d’assurer la sécurité alimentaire de nos compatriotes tout en préservant l’environnement dont la circulation anarchique des biens et des personnes est devenue le principal destructeur. Enfin, mettre en place les conditions fiscales et législatives qui faciliteront la reprise et l’installation des jeunes générations d’agriculteurs.
— Peut-on envisager une France sans paysans ?
— Le monde rural est l’âme de notre pays. Il l’a façonné. Nous y avons tous des racines et nous en vivons quotidiennement, que nous le voulions ou non. La défense de l’agriculture et du monde rural devrait être le socle du redressement de notre pays. C’est la raison pour laquelle la politique agricole a absolument besoin d’être sanctuarisée et préservée.
Notre métier ne devrait pas être considéré uniquement sous l’angle économique. Paysan, c’est bien plus que cela. C’est une passion et la vérité, c’est qu’il faut de l’amour pour élever des veaux ou faire pousser des betteraves. Le monde agricole est dur au mal et nous sommes plutôt des taiseux. Nous partageons dans la discrétion l’effort du quotidien, le rythme des saisons et des aléas climatiques. Notre emploi du temps est tout fait. C’est le travail qui commande, le temps qui décide et en fin de compte, la nature qui l’emporte toujours. Il en est bien ainsi… préservons-le pour les générations futures et le bien de tous !
Propos recueillis par Hélène Rochefort
Article paru dans Présent daté du 4 mars 2019

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