La « Convention citoyenne pour le climat » qui vient de s’achever a offert une démonstration presque parfaite des raisons pour lesquelles la « démocratie participative » est une très mauvaise idée, qui devrait être rejetée par tous les véritables amis de la liberté politique.
Le cas de cette « Convention » mériterait désormais de figurer dans tout bon manuel de science politique, à titre de contre-exemple et d’avertissement.
En premier lieu, il convient de rappeler que la « démocratie participative » n’est pas et ne peut pas être spontanée. Etant donné que nous avons déjà des institutions et des gouvernants, la « participation citoyenne » est nécessairement organisée par les institutions préexistantes, qui délimiteront son cadre, ses participants, ses pouvoirs, les questions qui seront examinées et les suites qui seront données à la « délibération ».
Mais n’importe qui ayant participé à une réunion sait que les questions de procédure sont fondamentales et notamment que « le commencement est la moitié du tout », c’est-à-dire que le simple fait de décider quelle sera la ou les questions examinées lors de la réunion revient à orienter très fortement la discussion et à prédéterminer la conclusion.
En l’occurrence le mandat donné par le gouvernement à la Convention était « de définir une série de mesures permettant d’atteindre une baisse d’au moins 40 % des émissions de gaz à effet de serre d’ici 2030 (par rapport à 1990) dans un esprit de justice sociale. »
C’est sur la base de ce mandat qu’ont été choisi les 150 participants à la Convention. Ceux-ci ont été tirés au sort parmi tous ceux qui ont répondu favorablement, au téléphone (les numéros appelés étant eux-mêmes tirés au sort), à la question suivante :
« La Convention Citoyenne Pour le Climat annoncée par le Président Emmanuel Macron est organisée par le Conseil économique, social et environnemental.
L’objectif de cette convention est d’aller plus loin et plus vite dans la lutte contre le changement climatique et de donner davantage de place à la participation citoyenne dans la décision publique.
(…)
Sur le principe, indépendamment des dates de la manifestation, acceptez-vous de participer à cette Convention Citoyenne pour le Climat ? »
Autrement dit, on peut être à peu près certain que tous ceux qui ont accepté de participer appartenaient à la partie de la population française qui est persuadée qu’il est nécessaire « d’aller plus loin et plus vite dans la lutte contre le changement climatique ». Tous ceux qui auraient pu apporter un point de vue discordant sur ce sujet ont été éliminés d’emblée par le mode de sélection.
On nous assure pourtant que l’échantillon des 150 personnes sélectionnées était « représentatif de la population française », ce qui est une pure carabistouille – pour parler comme notre bien-aimé président.
La question mérite d’être examinée avec un peu d’attention.
L’institut Harris Interactive, chargé de la sélection des participants, a fait en sorte que les 150 personnes retenues soient représentatives de l’ensemble de la population du point de vue du sexe, de l’âge, du niveau de diplôme, de la catégorie socio-professionnelle, des types de territoires, et de la zone géographique. C’est-à-dire que, par exemple, Harris a retenu 51% de femmes et 49% d’hommes, étant donné que la population française est composée à 51% de femmes et à 49% d’hommes ; et ainsi de suite.
Mais pourquoi avoir choisi ces six critères ? Pourquoi, par exemple, ne pas avoir cherché à établir un échantillon représentatif du point de vue de la couleur des cheveux, ou bien du point de vue de la taille ?
La réponse est que les six critères choisis sont censés être pertinents du point de vue des orientations politiques, alors que la couleur des cheveux et la taille sont censés être dépourvus de pertinence. Plus précisément, les instituts de sondage présupposent que l’âge, le sexe, la catégorie socio-professionnelle, etc. sont des « marqueurs d’orientation politique », c’est-à-dire que nos opinions politiques sont censées être liées avec ces caractéristiques. Alors que notre taille et la couleur de nos cheveux sont réputées n’avoir aucune influence sur nos opinions politiques. C’est ainsi que les sondeurs établissent leurs échantillons dits représentatifs : ils infèrent ce qui ne peut pas être connu directement – les orientations politiques – à partir de ce qui peut aisément être observé et quantifié.
Cette manière de procéder est contestable à plus d’un titre – personne, par exemple, n’a jamais été capable d’expliquer de manière satisfaisante pourquoi nos opinions politiques seraient déterminées par notre âge, notre sexe, etc. – et en réalité les échantillons des sondeurs sont constitués essentiellement par tâtonnements successifs, mais le point qui nous intéresse est le suivant : la vraie diversité est celle des opinions. En politique, un échantillon est représentatif si les différentes orientations politiques présentes dans la population totale se retrouvent dans les mêmes proportions dans l'échantillon. Les variables socio-économiques utilisées par les sondeurs sont censées être uniquement un reflet de cette diversité-là.
Prendre ces variables socio-économiques pour la diversité politique elle-même revient à prendre la carte pour le territoire ; et constituer un échantillon qui soit « représentatif » de la population totale du point de vue socio-économique mais en n’y incluant que des personnes ayant les mêmes orientations politiques fondamentales revient à prendre pour le territoire la carte d’un pays qui n’existe pas.
Ce qui est très exactement le cas de la Convention Citoyenne pour le Climat : si celle-ci est représentative de quelque chose, c’est de la diversité socio-économique de la population des écologistes convaincus. En aucun cas elle ne peut être considérée comme représentative de « l’opinion publique » française.
En second lieu, le propre d’une « assemblée citoyenne » de ce genre, à la différence d’une assemblée représentative élue, est d’être irresponsable de ce qu’elle fait. C’est-à-dire que ceux qui y participent n’ont pas eu à présenter leurs idées et leurs personnes à leurs concitoyens pour être élus et qu’ils n’auront jamais à rendre compte des décisions qu’ils prennent à ceux à qui ces décisions vont s’appliquer. Ils n’ont aucune sanction à craindre pour ce qu’ils vont décider. Une telle assemblée est donc dépourvue de tout principe de modération et aura une tendance naturelle à se diriger vers les mesures les plus extrêmes et les plus tyranniques, qui paraissent toujours les plus « efficaces » lorsqu’on n’a à craindre aucun retour de bâton.
En troisième lieu, et pour aggraver les deux défauts précédents, la Convention Citoyenne pour le Climat était, par définition, monothématique : le climat, le climat, le climat ! C’est-à-dire que les participants étaient invités à ignorer superbement ce qui constitue le cœur de toute délibération et de toute action politique, à savoir l’art du compromis ; l’art de concilier, autant que possible, des biens tendanciellement inconciliables, de ménager des intérêts opposés et parfois ennemis, de conserver une concorde minimale au sein du corps politique en dépit des vives passions qui l’agitent nécessairement. Ici tout était subordonné à une seule considération : « lutter contre le changement climatique », et les seuls compromis qu’il était nécessaire de trouver était entre ceux qui estimaient que la semaine de 28 heures serait une bonne idée et ceux qui jugeaient que cette question sortait du cadre de la Convention, soit entre Khmers verts et verts Khmers.
Quatrièmement, l’un des principes fondamentaux de ce genre d’exercice de « démocratie participative » est que, comme l’a dit un jour Ségolène Royal, jamais à court d’une stupidité démagogique, « les citoyens sont les meilleurs experts de leur propre vie », par quoi il faut entendre que tout le monde est expert en tout et pleinement légitime pour donner son avis sur tous les sujets. Comme il est écrit sur le site de la Convention, à propos des contributions des participants (tirés au sort, rappelons-le) : « Chacun des 150 participants et participantes apportera sa propre expertise » et « d’autres encore vont prendre le temps de se documenter personnellement tandis que certains participent plutôt en réagissant de façon émotionnelle : tous ces apports sont également importants pour la formation de la volonté de la Convention et la mise au point de ses propositions. »
Un avis informé vaut autant qu’un avis non informé, un avis réfléchi vaut autant qu’un avis irréfléchi et (implicitement) toutes les intelligences se valent. Ce principe de l’égalité a priori de toutes les opinions revient en pratique à favoriser les plus stupides et les plus ignorants, que leur stupidité et leur ignorance rendront imperméables aux arguments un peu subtils et informés, et surtout revient à favoriser ceux qui sauront manipuler les préjugés de la grande masse des ignorants et des imbéciles.
Enfin, il faut ajouter que, pour parer à l’éventualité extrêmement improbable où la Convention se serait légèrement écartée du dogme climatique, celle-ci était encadrée par un « Comité de gouvernance », co-présidé par Laurence Tubiana, ex-représentante spéciale du gouvernement français pour la conférence Paris Climat 2015 (COP21), et Thierry Pech, directeur de Terra Nova, autrement dit Khmer vert et vert Khmer. Par ailleurs, est-il écrit sur le site de la Convention, « pour répondre aux questions factuelles des membres de la Convention, le Comité de Gouvernance a fait appel à plusieurs centres de recherche afin de constituer une équipe de personnes ressources, fact-checkers. » Parmi ces « fact-checkers » chargés d’alimenter la Convention en informations, 10 sur 16 appartenaient à « l’Institut de la transition environnementale », dont le nom suffit à attester son adhésion au dogme climatique. Autant dire que les « fact-checkers » de la Convention ne devaient rien avoir à envier à ceux du Monde ou de Libération.
Avec tout cela, comment s’étonner de ce qui est sorti de ladite Convention ? Soit un mélange de propositions à égales mesures despotiques, stupides et destructrices, comme par exemple créer un crime « d’écocide », créer une « haute autorité » chargée de faire respecter les « limites planétaires jugées soutenables pour la survie de l'humanité », limiter à 110kmh la vitesse sur autoroute (mesure que l’on suppose provisoire avant l’interdiction pure et simple de l’automobile) ou taxer à 4% les dividendes distribués au-delà de 10 millions d'euros ; pour ne citer que quatre propositions parmi le vaste catalogue de mesures soviétoïdes élaborées par la CCPC. A noter que 35% des participants à la Convention ont voulu adopter la proposition « réduire le temps de travail hebdomadaire à 28h », juste pour situer l’orientation idéologique et le niveau intellectuel de l’ensemble. Entre CCPC et CCCP, il n’y a que la position d’une lettre.
Si encore toutes ces propositions en restaient au stade de propositions, le mal ne serait pas encore trop grand. Mais il est désormais à craindre que le gouvernement, qui est l’origine de cette calamiteuse Convention, ne s’abrite derrière les conclusions de cette dernière pour faire adopter des mesures qui ont sa faveur, ainsi que celle d’une minorité très active de la population, mais qui n’auraient sans doute jamais pu être adoptées s’il avait fallu en passer par le processus législatif ordinaire, s’il avait fallu les soumettre à une véritable délibération politique.
La demande de démocratie participative est en grande partie une réponse à la dégénérescence des institutions de la démocratie représentatives, au fur et à mesure que celles-ci étaient dépossédées, ou se laissaient déposséder, de leurs pouvoirs au profit de la technostructure, que celle-ci soit nationale ou européenne, administrative ou judiciaire. Mais, loin de redonner la parole et le pouvoir au peuple, la démocratie participative risque fort de s’avérer une nouvelle ruse de la technostructure pour continuer à gouverner sans le peuple.
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