La nomination de Mme Carmen Reinhart aux fonctions d'économiste en chef de la Banque Mondiale doit être considérée comme une nouvelle importante. Elle est curieusement commentée par Julien Bouissou, qui l'annonçait dans Le Monde du 13 juin.[1]
Il me semble utile de relever, ici, une erreur assez significative de ce journaliste.
Mais auparavant il ne semble pas, non plus, inutile de prendre, une fois encore, la mesure de l'intoxication permanente à laquelle se livre, depuis 1944, l'organe de référence de l'intelligentsia parisienne. Venant, selon toute vraisemblance de l'extrême gauche marxiste, l'auteur cherche à convaincre ses lecteurs, bobos, technocrates et autres "bourgeois intelligents", que le capitalisme va de crise en crise, de plus en plus graves, en attendant, bien sûr, l'effondrement final de ce que l'on appelle aujourd'hui, pour faire savant, mondialisme néolibéral.
Les contributions de ce collaborateur au quotidien Le Monde, usine monopolistique du prêt à penser, vont dans ce sens et j'invite le l'observateur curieux à consulter l'effrayante litanie de ses productions du mois écoulé[2] :
- 10 juin "Une récession brutale devrait frapper la France en 2020" - Résumé : Selon l’OCDE, la France enregistrera l’une des plus fortes chutes du PIB au monde, alors que la zone euro vivra elle-même un rude décrochage.
- 10 juin "Laurence Boone : La crise touche surtout les moins qualifiés et les jeunes qui arrivent sur le marché du travail"- Résumé : L’économiste en chef de l’OCDE s’inquiète du creusement des inégalités.
- 8 juin "La crise économique provoquée par le coronavirus pourrait être la plus dévastatrice depuis 150 ans" - Résumé : Selon la Banque mondiale, le PIB planétaire pourrait se contracter de 5,2 % en 2020.
- 6 juin "La montée du protectionnisme risque de bloquer l’ascension des pays pauvres et émergents" - Résumé : Ces États, dont l’économie dépend des exportations de matières premières ou de produits manufacturés, sont parmi les plus touchés par la crise liée au Covid-19.
- 6 juin "Vers une nouvelle ère du protectionnisme". - Résumé : Les défis de la relocalisation 5/5. La pandémie liée au Covid-19 a mis un peu plus en lumière les fragilités de l’hypermondialisation. La vulnérabilité des chaînes mondiales d’approvisionnement et les tensions commerciales freinent l’essor du libre-échange.
- 5 juin "Des économies asiatiques en voie de régionalisation" – -- Résumé : Fragilisé par les tensions commerciales et la crise sanitaire, le modèle de développement sur lequel s’est bâtie l’Asie du Sud-Est ces dernières décennies est en panne.
- 27 mai "Les pays pauvres craignent les représailles des marchés financiers" - Résumé : Sous pression des agences de notation et des créanciers privés, ces États hésitent à suspendre le paiement de leur dette, comme le propose le G20.
Bigre.
Mais heureusement on a pu apprendre, dernier avatar de la même série mis à jour le 18 juin qu'en Chine, ça va mieux, l'espoir renaît, car le (camarade) "Premier ministre chinois Li Keqiang a qualifié les vendeurs de rue de force vitale pour l’économie chinoise"de sorte que "le commerce de rue pourrait servir de remède à l’augmentation du chômage".
Visiblement, "l'Orient est rouge" comme le chante l'hymne officiel, toujours en vigueur de la prétendue "république populaire" nom de la dictature toujours en place instituée à Pékin en 1949.
Bien évidemment son nouvel article étiquette de la même opinion catastrophiste les travaux de Mme Reinhart dont toute la carrière et tous les écrits démentent pourtant cette interprétation.
Or, le même Bouissou cite l'étude réalisée et publiée en février par l'intéressée et par deux autres économistes de Harvard, on aurait pu espérer qu'il l'ait lue. Elle est assez courte pour pouvoir être lue de bout en bout.
Nous en traduisons le paragraphe 3, qui souligne une conclusion assez limpide: "Au total, l'État chinois et ses filiales ont prêté environ 1 500 milliards de dollars de prêts directs et de crédits commerciaux à plus de 150 pays à travers le monde. Cela a fait de la Chine le plus grand créancier officiel du monde, dépassant les prêteurs officiels traditionnels tels que la Banque mondiale, le FMI ou tous les gouvernements créanciers de l’OCDE réunis."[3]
On ne sait pourquoi Le Monde réduit ce chiffrage à ceci : "un encours total estimé à 350 milliards de dollars (311 milliards d’euros)"c'est à dire quatre fois moins. Mais on le sait, depuis Mitterrand et Bérégovoy, "le chiffres importent peu".
Or, dans l'article publié sur le site de Harvard Business Review on trouvera deux autres inquiétudes. La première est que tous les organismes chinois prêteurs sont contrôlés par le parti communiste. Et que parmi les 150 États du tiers-monde endettés, les auteurs citent une douzaine de petits pays siégeant à l'ONU, les plus surendettés, devenus manifestement des otages de la finance chinoise. Et ils nomment : Djibouti, Tonga, les Maldives, la Republique du Congo, le Kyrgyzstan, le Cambode, le Niger, le Laos, la Zambie, les Samoa, le Vanuatu et la Mongolie. Ils ajoutent que "depuis 2013, l'Argentine, la Mongolie, le Pakistan, la Russie et la Turquie utilisent tous leurs lignes de swap RMB en période de détresse du marché" soulignant aussi l'impact de cette situation sur les États-Unis.
On le sait la géométrie est l'art de raisonner juste et précisément sur des figures fausses et approximatives. Autrefois la lecture du Monde obligeait au contraire à redresser les déductions biaisées d'un journal fabriqué à partir de faits vérifiés. Aujourd'hui nous n'en sommes plus là. Les faits sont contournés, les commentaires divaguent.
Et c'est cette désinformation qui intoxique chaque jour l'oligarchie parisienne qui se croit intelligente et bien informée.
JG Malliarakis
Apostilles
[1] cf. article "Carmen Reinhart, une détective à la Banque mondiale"
[2] cf. Liste de ses contributions sur le site du journal
[3] cf. étude du 26 février 2020 "How Much Money Does the World Owe China ?" par Sebastian Horn, Carmen M. Reinhart et Christoph Trebesch.
https://www.insolent.fr/2020/06/un-bel-exemple-de-desinformation-parisienne.html
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