vendredi 7 août 2020

Identité et souveraineté au service de la culture nationale

 En dépit des dérives jacobines héritées de la révolution, la nation française reste la protectrice naturelle des identités qui participent à culture.

La victoire électorale des nationalistes en Corse, la montée des indépendantistes en Catalogne, la tentation séparatiste en Ecosse sont-elles le signe d'une affirmation des identités régionales contre les nations ? Entre la nation, les régions et l'Europe, avec en toile de fond la mondialisation, la souveraineté et l'identité ont-elles encore partie liée ? La question est actuellement posée.

La démission des élites

L'analyse de la victoire des nationalistes en Corse l'éclairé partiellement. Dans la page « débats » du Figaro du 10 décembre, l'ancien ministre de l'Intérieur Jean-Pierre Chevènement, représentant du souverainisme dans sa version jacobine, déclare que « la République n'a pas de concessions à faire à l'ethnicisme ». Fidèle à la doxa républicaine, il explique la montée du « nationalisme corse » par « les démissions successives de tous les gouvernements de droite et de gauche depuis une trentaine d'années », collectivement coupables d'avoir admis l'existence de particularités corses, et par « un rejet des clans, qu'ils soient de gauche ou de droite ». On en reste à une lecture politicienne et étriquée d'une évolution profonde, beaucoup mieux analysée dans la même page du Figaro par l'écrivain Paul-François Paoli. L'essayiste, qui - à l'inverse de Chevènement - ne croit pas à une aspiration séparatiste des Corses, évoque en revanche « un désir de reconnaissance identitaire exprimé en particulier par la jeunesse insulaire » et remarque qu’« à certains égards, rien ne ressemble plus à un électeur nationaliste corse qu'un électeur du FN. Ils ont en commun la hantise de l'islam et de l'immigration et le refus instinctif du multiculturalisme des élites boboïsées ».

Toujours dans les pages débats du Figaro, Christophe Guilluy partage peu ou prou cette analyse, en associant la situation de la Corse à celle de la France périphérique, menacée par une double insécurité, sociale (précarité, pauvreté, chômage des jeunes, surreprésentation des retraités modestes…) et culturelle, en raison notamment de la présence en Corse d'une immigration pléthorique à la démographie élevée : « La question qui obsède les Corses aujourd'hui est la question qui hante toute la France périphérique et toutes les classes moyennes et populaires occidentales au XXIe siècle : "Vais-je devenir minoritaire dans mon île, mon village, mon quartier ?" ». Cette France périphérique et populaire est abandonnée par les élites, souligne Christophe Guilluy, et par une bourgeoisie qui peut se sentir elle aussi en « insécurité culturelle », mais qui « estime que sa meilleure protection reste son capital social et patrimonial ». Or, écrit ce géographe, « Une société, c'est une élite et un peuple, un monde d'en bas et un monde d'en haut, qui prend en charge le bien commun. Ce n’est plus le cas aujourd'hui. » Le divorce est consommé entre cette France des périphéries, qui est « charnellement de France » - pour reprendre le titre d'un livre de Charles Beigbeder - et les « élites boboïsées » dont parle Paul-François Paoli, qui se définissent moins par leur nationalité que par les mégapoles qu'elles habitent (selon Guilluy l'indépendantisme catalan procéderait de ce phénomène, la Catalogne étant une « région métropole » dépendant entièrement de Barcelone).

Cette option de la "France d'en haut" pour le mondialisme et la « métropolisation », fragilise évidemment la nation française en dénouant le lien de solidarité reliant les unes aux autres les communautés sur lesquelles elle est construite. « En réalité, la victoire des nationalistes est d'abord celle d'un affect, écrit Paoli. Moult Corses qui, jadis, s'identifiaient à la France parce qu’elle donnait des emplois et du prestige, ne s'identifient plus qu'à la Corse, qui est un refuge face à l'insécurité culturelle engendrée par la mondialisation. » Le sentiment d'abandon provoque ainsi le désamour et le retrait.

Une communauté de destin fondée sur une culture commune

La Corse demeure pourtant française, constate encore Paoli, et le « pathos identitaire » si puissant sur l'île ne débouche pas sur une revendication indépendantiste « Si les nationalistes revendiquent la co-officialité de la langue corse avec la langue française, c'est qu'ils admettent, implicitement, que la Corse est française. (…) Le vivre-ensemble n'est pas une affaire de valeurs. C'est une communauté de destin historique fondée sur une culture commune de Brest à Bastia en passant par Pointe-à-Pitre, cette culture commune est le français. »

Ainsi, quand les politiques trahissent et que le président de la République française proclame que « l'Europe seule peut, en un mot, assurer une souveraineté réelle », la résistance des peuples se réfugie-t-elle dans la culture commune, régionale mais aussi nationale, rejoignant l'opinion développée par le pape Jean-Paul II devant l'Unesco « La Nation est en effet la grande communauté des hommes qui sont unis par des liens divers, mais surtout, précisément par la culture. » Et le pape polonais rappelait que son pays avait « conservé son identité, et (…) malgré les partitions et les occupations étrangères, sa souveraineté nationale, non en s'appuyant sur les ressources de la force physique, mais uniquement en s'appuyant sur sa culture. »

Souveraineté et identité ne s'opposent donc pas, mais au contraire s'épaulent. L'histoire de la France diffère de celle de la Pologne, puisque l'autorité politique ne lui a pas fait défaut et fut même - par la monarchie - l'élément moteur de la construction nationale.

Hervé Bizien monde&vie 21 décembre 2017 n°949

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