jeudi 20 août 2020

La droite, son histoire et son imaginaire

 Jérôme Besnard est aujourd'hui l'un des meilleurs connaisseurs de ce que l'on appelle la droite, de son histoire, des événements qui l'ont façonnée et de ses réseaux. Il nous offre une évocation bien troussée de ses deux siècles d'existence pour mieux réfléchir à son avenir. On ne s'ennuie pas !

Propos recueillis par l'abbé G. de Tanoüarn

Vous venez de publier ce livre que l'on attendait depuis longtemps sur la droite, une droite dont vous affirmez dès votre titre, qu'elle est « imaginaire ». Qu'entendez-vous par cet adjectif ?

Je voudrais souligner qu'historiquement la droite n'est pas parvenue en France à une véritable maturité, comme on peut le constater en Grande Bretagne par exemple. En 1818, Chateaubriand créa le journal Le Conservateur qui parut jusqu'en 1820, avec tout un aréopage de talents, de Villèle à Joseph Fiévée et de Lamennais à Bonald. Las… L'aventure fut de courte durée. François Fillon de son côté, deux siècles plus tard, dans les circonstances que l’on connaît, a échoué à constituer un véritable Parti conservateur, quel que soit le nom qu'il aurait revêtu. Je crois que François Huguenin, écrivant Le conservatisme impossible (La Table ronde, 2006), avait vu cette immaturité, avait sérié cette difficulté de la droite à s'identifier elle-même. On est entré en turbulence en 1789 et à la différence des Anglais, on n'a pas digéré notre Révolution. Cela se manifeste à travers des mythes fondateurs viciés. L'invocation rituelle que l'on fait aux « valeurs de la République » est toujours imprécise. Quant à « l'Être suprême », c'est un être suprême zombie. Même les droits de l'homme sont difficiles à manier. Marcel Gauchet l'a bien vu dans son récent Robespierre, il est impossible de fonder une démocratie sur les droits de l'homme. L'universalisme, c'est bien mais ce n'est pas suffisant, comme le montrent les difficultés que nous avons aujourd'hui à décider d'une politique migratoire. Les Anglais l'ont bien vu, qui parlent plutôt des droits de la personne que de droits de l'homme. Dans la tradition anglaise de l’Habeas corpus (1215), ils entendent construire « un mur de libertés » autour de la personne. Nous, on essaie toujours d'imposer une transcendance, une idée transcendante de l'homme. On va à l'échec. C'est un peu la quête en politique d'une transcendance impossible.

Vous dites donc que l'aventure de la droite en France est un échec ?

Oui, mais néanmoins, depuis deux siècles, - c'est le second sens de mon titre - il subsiste un imaginaire de la droite, il y a des figures de droite, une filmographie de droite, une littérature aussi. Prenez les années 30 en France : ce qui reste de la droite de ces années-là, ce n'est pas l'histoire des Ligues, ce ne sont ni Marcel Bucard et ses francistes, ni l'amiral Schwerer et les camelots du roi qui s'en souvient ? Ce qui reste ce sont des individualités comme Saint-Exupéry, l'homme de droite désespéré, comme Jean Mermoz, un autre aviateur, qui était le bras droit du colonel de La Rocque et qui est mort à 34 ans sur sa machine, l'hydravion Croix du sud. Cela se passait en 1936. Je pense au livre que Joseph Kessel lui a consacré, un livre magnifique (toujours édité en Folio) Parmi les marins, il faut se souvenir d'Alain Gerbault, premier navigateur en solitaire français, ouvertement royaliste. De la même façon, la guerre d'Indochine, la Guerre d'Algérie survivent par des livres ou par des films, bien entendu au premier chef, ceux de Pierre Schœndoerffer. La droite portée par la littérature ou le cinéma subsiste comme une culture vivante. C'est ce que j'appelle la droite imaginaire.

Pourquoi dites-vous que des épisodes militaires comme les guerres coloniales sont de droite ?

Ce ne sont pas les guerres elles-mêmes qui sont de droite, ceux qui les font ne sont pas forcément à droite. Mais l'armée est de droite. Il n'en a d'ailleurs pas toujours été ainsi. Au XIXe siècle, jusqu'en 1870, l'armée était de gauche, avec de solides réflexes anticléricaux. Elle revient à droite petit à petit sous la IIIe République, de sorte qu'au XXe siècle, on peut dire que la droite en France, c'est avant tout trois grandes institutions l'armée, la littérature et l'Église.

La nation n'est-elle pas aussi l'un de ces mythes fondateurs biaises que vous évoquez ?

Il y a effectivement une difficulté à penser clairement la nation, car la nation est à la fois de droite et de gauche. Il y a bien deux nationalismes l'un révolutionnaire à gauche l'autre à droite, conservateur. Certains ont pu dire que le nationalisme a vicié la pensée contre-révolutionnaire. Je pense qu'ils ont tort. Le projet capétien est un projet national. L'action du général de Gaulle est profondément nationaliste, quelles que soient les critiques que l'on puisse lui faire. Le problème c'est quand le nationalisme devient jacobin, centralisateur, destructeur des idées locales et régionales. C'est dans cette réconciliation entre les petites et la grande patrie que la pensée de Maurras a toute sa force. Aujourd'hui, Eric Zemmour assume lui cette part jacobine transfigurée par le bonapartisme. Il est en fait - je pense qu'il ne le nierait pas - dans un nationalisme de gauche. Il a parfaitement intégré l'héritage jacobin.

Vous critiquez te schéma des trois droites, inventé par l'universitaire René Rémond...

On trouve déjà ce schéma dans le livre de Daniel Halévy sur La fin des notables. Mais je mettrai des guillemets au mot « droite ». Sur les trois droites répertoriées par Rémond, la droite légitimiste, la droite bonapartiste et la droite orléaniste, il n'y a qu'une seule véritable droite, la droite légitimiste. Les deux autres sont des centres, le centre autoritaire avec les bonapartistes, le centre libéral avec l'orléanisme. Il faut noter au passage que ce catalogue ne recoupe pas les différences dynastiques, même s'il s'en donne l'air. Le Comte de Paris aujourd'hui est idéologiquement légitimiste, tout Orléans qu'il soit. C'est un catholique social, dans la ligne de La Tour du Pin et non un libéral dans la ligne de Guizot, le grand ministre de Louis Philippe. Louis-Philippe d'ailleurs, comme l'a montré Arnaud Teyssier dans la biographie qui fait référence, était moins libéral que ses ministres. On le voit notamment à la manière dont il endosse les habits capétiens sur les questions régaliennes, en particulier sur sa vision géopolitique de l'Europe. Soulignons aussi qu'en 1848, Louis-Philippe, comme Louis XVI en 1789, refuse de faire tirer sur les émeutiers parisiens.

La droite selon vous a-t-elle un avenir ?

La droite pour avoir un avenir doit réfléchir à la nature profonde de la France, en évitant de partir d'un constat d'actualité. Il faut se garder de créer une sorte de droite fourre-tout, entre identité et souveraineté. On pourrait parler d'une tentation boulangiste, rejouée par certains au Front national. Le général Boulanger, c'est l'incarnation prématurée et brouillonne de l'esprit de revanche après la guerre de 70, le général attrape-tout, dont l'aventure s'écroula aussi rapidement que celle de Poujade dans les années 50 du XXe siècle. Si la droite se contente d'être un syndicat électoral, elle perd à coup sûr. Boulanger a pu représenter jusqu'à 80 % des Français, dénonçant la gabegie d'un régime impuissant sous influence allemande. Ni lui ni le régime qu'il dénonçait n'étaient capables de porter les aspirations du retour à une grandeur française.

Les gilets jaunes aujourd'hui sont-ils de droite ?

Le gilet jaune moyen appartient à l'ancien électorat gaulliste populaire, qui n'a été qu'en très faible partie récupéré par le Front national. C'est un électorat orphelin, porté vers l'abstention. L'homme de droite déçu est naturellement abstentionniste, cela se voit dans toutes les études électorales. La droite attend un chef qu'elle n'a pas. Force est de constater qu'il y a d'authentiques hommes de droite au Front national comme il y a d'authentiques hommes de droite aux Républicains. Il reste à la droite à trouver un chef et à ce chef à appliquer un programme compatible avec les lignes de force traditionnelles de la droite en France. C'est beaucoup plus facile à dire qu'à faire.

Êtes-vous d'accord avec ces marxistes qui prétendent qu'Emmanuel Macron, l'homme des bourgeois, est le président le plus à droite qui soit ?

Macron, comble de la droite : elle est bien bonne ! La vérité c'est que notre président n'est pas un politique. Il est le fruit de ce qu'il y a de plus mauvais dans le système élitaire français. Ce n'est même pas un technocrate l'ENA ne forme pas des technocrates parce que les énarques ne sont spécialistes en rien. Disons qu'il est intellectuellement un sous-produit de la deuxième gauche, celle de Rocard et de Delors, ce qui, effectivement, n'a rien de droite. Il n'a ni la culture de l'État, ni une vision géopolitique du rôle de la France dans le monde, ni la moindre compréhension de l'histoire de France. Les traits intéressants que l'on a pu déceler çà et là chez lui sont le fruit d'une communication incluant des conseillers idéologiques de droite. Avouez que la comédie n'a pas duré très longtemps !

Jérôme Besnard, La droite imaginaire, éd. du Cerf, 18 €

monde&vie 27 décembre 2018 N°964

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