jeudi 6 août 2020

Le féminisme, une idée chrétienne devenue folle

Que le féminisme puisse être une idée chrétienne, cela scandalise certains de nos lecteurs. Que cette idée chrétienne, nous considérions qu’elle est devenue folle, cela en scandalisera d’autres. Essayons de revenir à la révélation biblique pour mettre tout le monde d’accord.

« Si telle est la condition de l'homme par rapport à la femme, mieux vaut ne pas se marier » s'écrient les apôtres unanimes, quand Jésus leur enseigne l'indissolubilité du mariage, c'est-à-dire, dans l'Évangile de Matthieu (19,10), selon la coutume juive, l'interdiction de la répudiation de la femme par l'homme. Dans l'Évangile de Marc, il n'est pas question seulement de répudiation, mais de divorce l'égalité de l'homme et de la femme est ainsi explicitement marquée : « Si un homme quitte sa femme et en épouse une autre, il commet un adultère à l'égard de sa première femme. Et si une femme quitte son mari et en épouse un autre, elle commet un adultère » (Me 10). Saint Paul donnera la clé d'une telle sévérité, en insistant sur le fait que le corps de chacun des époux ne lui appartient plus, mais à son conjoint : « Le corps de la femme n’est point en sa puissance, mais en celle du mari. De même le corps du mari n’est point en sa puissance, mais en celle de la femme » (I Co. 7 4). 

La prétendue misogynie de saint Paul n'est rien d'autre que l'influence du milieu et de l'époque à laquelle il vit. Quant aux règles du jeu entre les deux sexes, elles sont strictement égalitaires, d'une manière qui, à l'époque, parut profondément révolutionnaire. Saint Paul est le premier, dans la ligne du Christ, à avoir théorisé non pas l'égalité des sexes, mais leur égale dignité, leurs droits identiques l'un sur l'autre. Le féminisme chrétien s'ancre dans une telle reconnaissance, en avance sur son temps et sur la culture de son époque. La Révolution chrétienne, silencieuse et non politique mais spirituelle et sociétale, confirmera petit à petit dans l'histoire ce principe fondamental, en particulier contre le droit romain.

Cette égalité de deux personnes signifie que le masculin et le féminin ne sont pas deux natures, dont l'une serait inférieure et l'autre supérieure, mais deux fonctions fondamentales exercées par des personnes. Ce sont les personnes qui sont radicalement égales entre elles, alors que les deux rôles, absolument différents sans être inégaux, créent une inégalité. L'homme et la femme sont au service l'un de l'autre, proclame saint Paul dans l'Épître aux Éphésiens. Ce qui signifie deux choses : ils sont foncièrement égaux, puisque l'un et l'autre sont des serviteurs, mais, en tant qu'homme ou en tant que femme, ils demeurent dans une inégalité qui seule leur permet sans tricherie de se dire au service l'un de l'autre. Ils acceptent de considérer l'autre comme leur étant supérieur, pour pouvoir l'aimer au point de le servir. Ainsi la femme est-elle « obéissante à son mari », tandis que le mari se livre à sa femme, jusqu'à la mort s'il le faut, à l'exemple du Christ. Cette deuxième perspective nous éloigne considérablement et du féminisme égalitaire et du féminisme identitaire. Elle est la marque du Christ sur l'union conjugale, conçue avec audace comme un service mutuel.

« Plus ni homme ni femme »

Le féminisme, récriminateur ou revendicateur, est à l'origine une quête de justice. Il devient une folie quand il ne prend plus la mesure de ce service mutuel, qui exige que l'on s'oublie soi-même pour l'autre, au nom de ce grand précepte du Christ : « Qui veut gagner sa vie la perdra. Qui perd sa vie à cause de moi la gagnera ».

De même que peut devenir une folie le fait de prendre au pied de la lettre la fameuse formule de l'Épître aux Galates (3, 28), dans laquelle Paul s'écrie : « Il n'y a plus maintenant ni de juifs ni de gentils, ni d'esclaves ni de libres, ni d'homme ni de femme Mais tous nous ne sommes qu'un en Jésus-Christ ». Ni homme ni femme ? Un certain féminisme, explique Alain de Benoist, préfère le neutre et rêve de l'androgyne. On trouve chez Judith Butler cette hargne, déconstructrice et des sexes et des genres, au profit de l'indifférenciation, qu'elle appelle « No sex ». Encore une qui cherche indûment à laïciser le règne du Christ, à en faire quelque chose de purement humain.

Ce que nous dit saint Paul, si nous le prenons dans l'ensemble de son enseignement, c'est qu'il existe une dualité réelle entre ce monde et le Royaume, entre la condition humaine en ce monde et la condition de vie dans le Royaume de Dieu. Ce Royaume n'est pas seulement pour après - après la vie, après la mort - mais pour maintenant. Le mot est utilisé par Paul : « Il n'y a plus maintenant. ». Quel est ce « Maintenant » du Royaume, qu'il faut prendre en compte, même s'il ne s'agit pas pour autant d'oublier le monde réel ? C'est l'objet temporel de notre foi. C'est ce que Kant appelle sans doute l'idéal de la raison pratique, quelque chose qui dépasse le réel (le réel sexué en l'occurrence) pour ouvrir à de nouvelles dimensions, « dans le Christ », précise saint Paul aux Galates, et jamais sans lui, sous peine de devenir fous. D'une certaine façon, même le féminisme radical, avec son dépassement de la sexuation, est une idée chrétienne. Mais sans le Christ, sans la foi, hors du Royaume des cieux, le gender, présenté comme une construction purement rationnelle, est une idée à devenir fou…

Abbé G. de Tanoüarn monde&vie 30 novembre 2017 n°948

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