Ceux qui, après lecture de La révolution arc-en-ciel en marche* puis de L’empire arc-en-ciel**, avaient tiqué devant la sévérité de Martin Peltier envers notre grand allié américain, risquent de s’étouffer en lisant La Nouvelle Guerre des mondes. Car Michel Geoffroy, déjà auteur de La Superclasse mondiale contre les peuples***, est tout aussi critique. Si Peltier, catholique de tradition, attaque avant tout en historien et en moraliste le délétère soft power pratiqué par l’Empire pour asseoir son hégémonie mondiale, Geoffroy, sans négliger l’imprégnation croissante de nos mœurs, de nos institutions et même de nos lois, aborde un point de vue essentiellement géopolitique.
Monde unipolaire contre monde polycentrique
Pour lui, en effet, l’unilatéralisme actuel sous l’égide de Washington est de nature à provoquer, si ce n’est déjà fait, une « quatrième guerre mondiale ». Résultant de « la volonté d’imposer au monde une destinée unique, sous la direction d’une minorité qui se croit élue pour diriger de force toute l’humanité — que ce soit au nom du marché, des droits de l’homme , de leur “destinée manifeste” ou au nom d’Allah », l’américanisme et l’islamisme — le premier ayant souvent favorisé le second en s’attaquant aux régimes arabes laïques ou en portant sur les fonts baptismaux le Kosovo avant d’obliger la Serbie à s’entendre avec ce pseudo État islamo-mafieux et de transférer son ambassade de Tel-Aviv à Jérusalem — « ont d’ores et déjà ouvert la voie à un catastrophique processus de dé-civilisation ».
Cependant, pour nombre d’observateurs que l’auteur cite abondamment, de Samuel Huntington à Zbignew Brzezinski, ancien conseiller de Jimmy Carter, le monde unipolaire qui triomphait depuis l’effondrement de l’URSS est en passe de céder la place au monde polycentrique qu’élaborent des pays de grande et ancienne civilisation. Une évolution dont, pour notre plus grand malheur, l’Union européenne, plus solidement que jamais amarrée à Washington, et donc hostile à Téhéran et surtout à Moscou, semble inconsciente. En témoigne actuellement l’affaire Navalny, du nom de cet opposant russe censément empoisonné et dont la chancelière Merkel, activement secondée par le président Macron (dont l’agence boursière new-yorkaise Bloomberg, incarnation de la finance anonyme et vagabonde, saluait en 2017 l’élection comme « le scénario parfait dont le Marché rêvait désespérément »), a obtenu le transfert en Allemagne. Or, le danger représenté par le « démocrate » Navalny — pratiquement inconnu hors des métropoles russes — est nul pour Poutine, beaucoup plus menacé sur sa gauche par le Parti communiste qui, aux élections territoriales, fait jeu égal avec son parti Russie Unie et, sur sa droite, par les nationalistes de Vladimir Jirinovsky et de Pamiat (Mémoire). Penser que le président russe ait songé à faire empoisonner le jeune avocat (diplômé de l’université de Yale grâce à une bourse américaine) est, comme nous le disait un ami russe, aussi fantasmagorique que d’imaginer « Emmanuel Macron faisant trucider Raphaël Glucksmann à la veille des élections européennes de 2019 » (où la liste Envie d’Europe écologique et sociale menée par le fils du philosophe n’obtint finalement que 6,19% des voix malgré un fort soutien médiatique).
Les traditions au secours de l’économie
Alors que l’Eurocratie campe, impavide, sur ses positions post-1989, quand l’omnipotence états-unienne semblait établie pour l’éternité, le monde change. La Chine ne se contente plus d’être « l’usine du monde » : s’appuyant sur les vénérables conceptions confucéennes, elle est devenue la seconde économie de la planète et la crise de la Covid a démontré combien nous étions dépendants d’elle. L’Inde qui, depuis les années 70 de l’autre siècle, combine respect des traditions — dont le système des castes ! — avec un vif enthousiasme pour l’informatique (rien d’étonnant puisque ce sont les Indiens qui nous donnèrent les chiffres « arabes »), brûle d’égaler l’Empire du milieu ; le Japon est loin d’avoir dit son dernier mot et l’Iran résiste malgré l’embargo sauvage qui lui est imposé et le bellicisme à son égard des États sunnites de la région et d’Israël — comme par hasard surarmés par Washington.
Seuls stagnent et se satisfont du statu quo l’Europe, l’Amérique latine – où, avec l’aide du mouvement évangélique financé par les USA et Fonds monétaire internationale étranglant les pays rétifs, le grand frère du nord continue à imposer sa loi -, et le continent noir. À l’extrémité de ce dernier, depuis l’abolition de l’apartheid et l’avènement du pouvoir noir au nom des grands principes, l’Afrique du sud, dont le mondialisme financier redoutait tant le dynamisme et l’esprit d’entreprise, a perdu son rôle d’exemple et de moteur. Pour le plus grand profit de la Chine, d’ailleurs très active économiquement en Afrique où elle a acquis des millions d’hectares de terres cultivables, au détriment des indigènes et de leurs cultures vivrières traditionnelles.
Comment s’est produit ce renversement ? A la faveur des « principes en usage dans les civilisations montantes du monde polycentrique » tandis que « les valeurs dont se targue l’oligarchie conduisent aujourd’hui l’Occident à sa perte, estime Michel Geoffroy, parce qu’elles reposent sur un anti humanisme radical et destructeur ». Et pour cause, « l’idéologie de la “libération” repose sur la contradiction intrinsèque de vouloir faire société tout en préconisant un individualisme fanatique qui fait table rase des institutions, des disciplines et des traditions culturelles ». Ce qui conduit « à la délégitimation puis à la destruction de toutes les identités et de toutes les cultures. Donc de l’humanité de l’homme », dont elle « fait l’esclave de ses instincts, pour le plus grand profit de ceux qui les manipulent en faisant naître en lui des besoins artificiels et absurdes qui alimentent sans limite le marché ».
A l’inverse, « tout comme la Russie qui ne renie pas son passé, qu’il soit tsariste ou communiste, l’Asie appuie son développement sur son identité de civilisation et sur le patriotisme alors que les Européens sur le déclin sombrent dans le cosmopolitisme, le relativisme et finalement dans une haine de soi qui ne permet pas de se projeter dans l’avenir ».
Pour une révolution culturelle européenne
Dans le « monde post-occidental » qui s’amorce, est-ce à dire que notre continent, que Donald Rumsfeld, ministre de George Bush Jr, qualifiait avec mépris de « vieux monde » lors de l’invasion de l’Irak, est déjà un continent perdu ? Perclus économiquement par sa folle désindustrialisation, affaibli physiquement par l’immigration-invasion, donc condamné à être spectateur de son déclin.
En aucune façon affirme notre auteur pour qui le monde polycentrique en gestation offre au contraire à l’Europe une formidable chance de renouveau. Certes, elle est désarmée par « la trahison de ses élites » et celle des politiques se prétendant souverainistes – alors que la véritable souveraineté ne consiste pas à courir les instances internationales pour y exhiber ses biceps mais à être maître chez soi – ce que nous ne sommes plus en raison du poids de l’immigration et du totalitarisme « doux » de l’Union européenne qui nous ligote tel Gulliver dans un lacis de directives inutiles et de suicidaires injonctions éthiques. Renvoyant dos à dos européistes et souverainistes, Michel Geoffroy plaide donc avec talent pour une « révolution culturelle européenne », seule capable de faire pièce aux « deux périls convergents, l’américanisme et l’islamisme ».
Cette révolution doit reposer « sur un refus fondateur : le refus du présupposé d’une convergence mondiale des civilisations vers un modèle et finalement une direction unique. Ou de la croyance que la modernité néo-libérale et la démocratie apporteraient la seule voie possible de développement humain ». Autre nécessité : renoncer au concept de « valeurs », qui a été « perverti par les oligarques mondialistes, qui en ont fait une arme contre l’identité des peuples et un facteur de dé-civilisation, de nouvelle barbarie ». Ce qui suppose la « protection des traditions », que l’histoire « a sélectionnées pour leur apport bénéfique aux peuples qui les ont adoptées ». Et, bien sûr, d’en finir avec « la repentance et la mise en accusation de l’Europe, dans une logique de respect mutuel et de réciprocité entre es civilisations ».
L’auteur préconise donc une « écologie des civilisations », aux antipodes du discours écologiste qui « sert à repeindre en vert la grande récession économique et sociale de l’Europe, devenue la grande perdante de la mondialisation ».
Ce programme peut sembler utopique quand l’on se souvient qu’au Parlement de Strasbourg, le groupe nationaliste européen mis sur pied par Jean-Marie Le Pen et l’Allemand Frantz Schönhuber éclata sur la question du Sud-Tyrol, ou Haut-Adige en italien, région inconnue de la plupart des électeurs européens. Mais, depuis lors, beaucoup de ceux-ci ont pris conscience de la fragilité de notre continent, menacé autant par l’ensauvagement venu d’ailleurs que par la précarité résultant de politiques menées, au sommet, sous l’influence de Diktats venus eux aussi d’ailleurs — d’où le Brexit, une tentation centrifuge qui se propage. L’analyse de Michel Geoffroy ne manque donc pas de sens quand il estime que « la “grande querelle” qui traverse désormais l’Union européenne ne tient finalement pas tant à la supranationalité […] qu’à l’idéologie mondialiste qui l’anime », et que « les Européens plébisciteraient une Union, même supranationale, qui servirait à réguler l’immigration, à empêcher la désindustrialisation, à garantir la sécurité européenne et qui assurerait la promotion et de notre civilisation ».
Agent britannique puis américain abusivement présenté comme le « père de l’Europe » et pour cela panthéonisé, l’affairiste Jean Monnet**** professait que « les nations souveraines du passé ne sont plus le cadre où peuvent se résoudre les problèmes du présent », doxa partagée par le général américain Wesley Kanne Clark, le boucher des Balkans, qui déclarait en 1999, après l’agression otanesque contre la Serbie : « Dans l’Europe moderne, il n’y a pas de place pour les États ethniques uniformes ; ceci est une idée du XIXe siècle pendant que nous faisons tout notre possible pour passer au XXIe et nous le ferons en créant les Etats multinationaux. » Monnet précisait quant à lui : « La Communauté européenne elle-même n’est qu’une étape vers les formes d’organisation du monde de demain… Le plus grand danger pour l’Europe, ce serait un patriotisme européen ».
Et si, après deux sanglantes guerres civiles, ce patriotisme européen était, au contraire, notre chance de survie ?
Camille Galic 11/09/2020
Michel Geoffroy : La Nouvelle Guerre des mondes, éd. Via Romana 2020. 294 pages avec bibliographie, 23 €.
* https://www.polemia.com/martin-peltier-revolution-arc-en-ciel-en-marche/
**https://www.polemia.com/decrypter-la-revolution-arc-en-ciel-en-marche-avec-martin-peltier/
***https://www.polemia.com/martin-peltier-la-guerre-civile-mondiale-passe-par-lhistoire/
****https://www.polemia.com/forum-dissidence-censure-michel-geoffroy-oligarchie-mondialiste-revolte-peuples/
*****https://www.polemia.com/cet-etrange-monsieur-monnet-par-bruno-riondel/
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