Dans un entretien publié début novembre par The Economist, Émmanuel Macron annonce la « mort cérébrale » de l’OTAN et évoque la « fragilité extraordinaire » de l’Europe. Ce qui ne l’empêche pas d’enfiler de nouveau les habits de prophètes d’options politiques déjà dépassées…
C’est le est le 21 octobre dernier qu'Emmanuel Macron a reçu nos confrères de The Economist sous les ors de l’Élysée. L'analyse qu'il y a dressée pour eux prouve à quel point la vision politique de nos responsables est, à tous les niveaux, caduque. Face notamment au réveil des peuples. De certains du moins. Pour autant, le président de la République n’esquisse aucun mea culpa, ne marque nulle volonté de tourner la page d'une idéologie dont on a pu dire qu’elle est mortifère - et qui se révèle tout simplement aujourd'hui inefficace. Il est vrai qu'une telle lucidité serait pour lui le signe qu'il est temps de tourner la page. Et de retourner aux oubliettes de l'Histoire ! Impensable, bien évidemment.
Aussi Emmanuel Macron préfère-t-il désigner d'un doigt vengeur un bouc émissaire l’Amérique de Donald Trump. Hurler avec les loups est tellement plus facile, surtout quand l’oreille complaisante des média fait briller d'une lueur mauvaise les yeux des adversaires d'un homme qui a pour seul tort - pour principal, surtout - d'aimer d'abord son pays.
Le réveil auquel appelle le président français est avant tout celui de toute une clique malsaine, celle de la bienpensance universaliste et, pourquoi ne pas risquer ici le mot ? mondialiste.
« Ce que nous vivons actuellement, c'est la mort cérébrale de l'OTAN », déclare donc Macron. Mais l'Europe ne se porte guère mieux qui se trouve, explique-t-il, « au bord d'un précipice », et doit impérativement se considérer comme une « puissance dans ce monde », faute de quoi nous « ne serons plus maîtres de notre destin ».
Dernier appel au trompe-l’œil d'un homme qui est acculé au mur, tant il est évident que ses boniments, et ceux des caciques qui, un peu partout dans le monde, ont confisqué la démocratie, ne font plus recette. D'où la nécessité de désigner des coupables.
Le rêve d'une Europe puissance
« Je dirais que nous devrions réévaluer la réalité de l'OTAN à la lumière de l'engagement des États-Unis » affirme Emmanuel Macron en dénonçant une Amérique qui montre des signes de « tourner le dos », notamment à « notre idée du projet européen » Par ailleurs, l'Europe est affaiblie en interne par le Brexit et une certaine instabilité politique. Tout cela produit un mélange toxique « impensable il y a cinq ans »
Au passage,le chef de l'État français règle quelques comptes avec ceux qui, au sein-même de Bruxelles et du Conseil européen, pourraient ne pas partager tout à fait ses vues pratiques et stratégiques. Une manière, pour un homme qui, ces derniers mois, a surtout fait montre de sa faiblesse parmi ses partenaires européens d'essayer de renverser la vapeur.
Pour y parvenir, Macron n'y va pas par quatre chemins, et appelle, à la veille du prochain sommet de l'OTAN qui se tiendra à Londres dans moins d'un mois, à « muscler » l'Europe de la Défense.
« L’Europe qui doit se doter d'une autonomie stratégique et capacitaire sur le plan militaire Et d'autre part, rouvrir un dialogue stratégique sans naïveté aucune et qui prendra du temps, avec la Russie », précise-t-il.
Une vision « radicale », dénoncée comme telle par Angela Merkel. « Je ne pense pas, réagissait le chancelier allemand à l'occasion d'une conférence de presse avec le secrétaire général de l'OTAN qu'un tel jugement intempestif soit nécessaire, même si nous avons des problèmes, même si nous devons nous ressaisir »
L'un comme l’autre évoque, bien évidemment, le désengagement américain en Syrie tout récemment. Mais, plus généralement, un changement d'orientation politique débuté avec l’arrivée de Donald Trump à la Maison-Blanche.
Au-delà de l'avenir politique du président des États-Unis, Emmanuel Macron essaye donc, on le voit, de prendre la main pour tenter de reconquérir un peu de cette aura qui, pour être factice, avait entouré son élection. En essayant le jeu de la lucidité face aux difficultés de l'Union européenne, c'est ainsi tout son poids politique qu'il jette, en un coup de poker, dans la balance.
N'est pas Brennus qui veut. Certes, le tableau des difficultés européennes que dresse Macron n’est pas matériellement inexact. Il pointe ainsi trois grands risques pour l'Union européenne qu elle ait « oublié qu elle était une communauté », le « désalignement » de la politique américaine du projet européen, et l’émergence de la puissance chinoise « qui marginalise clairement l'Europe ».
Le problème est que, en fait de communauté, nos dirigeants ont clairement oublié ce qui pouvait la constituer des peuples, des nations, qui aujourd'hui rechignent à continuer de se laisser entraîner dans un naufrage programmé. Et lorsque Macron évoque « un petit miracle géopolitique historique, civilisationnel » on se demande de quelle civilisation il veut bien parler quand si peu de ses compatriotes, si peu d'Européens, si peu de politiques même semblent prêts à le suivre dans une voie qui ressemble de plus en plus à une impasse.
Hugues Dalric monde&vie 14 novembre 2019 n°978
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