jeudi 29 octobre 2020

L'histoire de la Cagoule revisitée

 À la suite de l'assaut manqué des Droites contre la Chambre des députés le 6 février 1934, deux dissidents de l'Action française (anciens de la 17e section des Camelots du Roi), Eugène Deloncle et Jean Filliol, fondent l'« Organisation secrète d'action révolutionnaire nationale (OSARN) ». L’adjectif « national » disparaît bientôt pour donner OS AR, transformé par erreur, à la suite d'une faute figurant dans un rapport d'informateur, en « Comité secret d'action révolutionnaire » ou CSAR.

Cette organisation secrète, dont l'existence est vite éventée, inspire dédain et mépris à Maurice Pujo, l'un des ténors royalistes de l'époque. Il ne veut pas que l'Action Française soit confondue avec ces « conspirateurs d'opéra-comique ». et invente le sobriquet de « cagoule » pour la ridiculiser. Mais voilà, l'époque est agitée et beaucoup de patriotes, trouvant l'Action Française trop molle, rallient la nouvelle organisation.

Pour une bonne partie de l'opinion publique française, la victoire du Front populaire signifie la ruine, le désordre, peut-être la guerre civile. La vague de grèves sans précédent de l'été 1936 et la terreur rouge qui sévit en Espagne attisent ces craintes. Le patronat, effrayé, accepte de financer une organisation anticommuniste, au cas où… Dans son excellente synthèse consacrée à la Cagoule, Jean-Claude Valla démontre que l'objectif réel et proclamé de l'organisation est de parer à un éventuel coup de force rouge. Mais, souligne-t-il, Deloncle n’a pas l'intention de prendre les devants. Le complot qu'il ourdi n’a pas pour objectif de renverser par surprise la République, mais plutôt de défendre l’État, en préparant à l'action et en organisant quelques milliers de volontaires décidés à en découdre.

Cette hantise d'une révolution bolchevique n'est pas fondée. Aujourd'hui nous savons, grâce

aux archives soviétiques, que les communistes n'avaient pas l'intention, à ce moment-là, de prendre le pouvoir en France. Mais, à l'époque, toute la presse de droite ne cesse de dénoncer la menace d'un putsch et s'alarme de la subversion communiste dans l'armée. Des militaires de haut rang sont approchés et le maréchal Franchet d'Esperey se laisse séduire, mais pas Pétain, contrairement à ce que l'on croit souvent. « Le mythe d'un Pétain cagoulard a été forgé après le désastre de 1940 lorsqu'un certain nombre de politiciens de la IIIe République ont cherché à se dédouaner de leur incurie », écrit Jean-Claude Valla.

L'assassinat des frères Rosselli

Les financements consentis par quelques riches industriels ne suffisent pas. La Cagoule mène à bien pour le compte des services de renseignement de l'Italie fasciste (elle ne travaille pas pour les Allemands) plusieurs opérations de sabotage. Ainsi, près de deux cents avions destinés aux républicains espagnols sont sabotés. Elle reçoit en échange des subsides et surtout des armes. Elle va encore plus loin. Elle accepte d'assassiner Carlo et Nello Rosselli, deux intellectuels antifascistes. Carlo Rosselli est une cible de choix. Socialiste, quoique non marxiste, il compte parmi les fondateurs du mouvement « Giustizia e Libertà » à Paris en 1929, et est à l'origine de la création d'un bataillon de volontaires italiens au sein des Brigades internationales.

Eric Vial, spécialiste de la politique italienne et plus précisément de l'émigration antifasciste en France, relate cet assassinat qui a été fortement médiatisé. Les antifascistes, les communistes et les francs-maçons furent d'abord soupçonnés du crime. Discrètement relayées par le gouvernement italien, ces accusations trouvèrent un écho certain. Mais à l'occasion de l'explosion de plusieurs bombes à Paris, puis de la découverte de caches d'armes, l'existence de la Cagoule est percée à jour. Puis, à la suite d'une dénonciation, le rapprochement est fait entre l'organisation et le meurtre des frères Rosselli. La police passe alors à l'action, effectue des perquisitions et, en juillet 1938, arrête l'état-major de l’organisation. Faute de preuves, les plus impliqué s'en tireront avec quelques mois de prison. Les militaires compromis ne sont pas inquiétés car la guerre menace et brouille les cartes.

Lorsque les hostilités éclatent, maints cagoulards optent pour la Résistance. Selon Jean-Claude Valla, ils sont bien plus nombreux que l'histoire officielle ne veut l'admettre. Lors du procès qui se tiendra devant la cour d'Assise de la Seine, en octobre 1948, le commandant Loustaunau-Lacau, déporté à Mauthausen pour avoir mis sur pied l'un des plus grands réseaux de la résistance, viendra témoigner et affirmera. « Sans les hommes de la Cagoule, le général De Gaulle n'eut été qu'un clairon impuissant ».

D'autres cagoulards choisissent au contraire la collaboration. Deloncle fonde Mouvement Social Révolutionnaire (« aime et sert ») et participe aussi à la création, dès juillet 1941, avec Jacques Doriot et Marcel Déat, de la Légion des volontaires français contre le bolchevisme (LVF), puis se fait discret. Le 7 janvier 1944, il est abattu à son domicile par la Gestapo, venu l'arrêter alors qu'il renoue le contact avec d'anciens cagoulards devenus très influents en Afrique du Nord.

H. Malfilatre monde&vie 2 avril 2011 n°841

Jean Claude Valla, La cagoule 1936-1937

Les Cahiers Libres d'Histoire n° I Dualpha Edition, 2010,133 pages, 23 €

Éric Vial, La Cagoule a encore frappé ! Larousse 2010,319 pages, 18 €.

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