lundi 2 novembre 2020

Charles Maurras : Que lire ? Comment s'introduire ?

 L'année 2011 a été particulièrement riche en publications sur Charles Maurras une petite introduction, en collection Pardès. Bon point : l'auteur, Tony Kunter, maîtrise parfaitement la littérature secondaire. Pour les amoureux de la pensée maurrassienne, ils ne peuvent pas passer à côté du splendide volume des Cahiers de l'Herne consacré à Maurras et paru en 2011. Citons encore la nouvelle édition en livre de poche (collection Tempus) de L'Action Française, par François Huguenin. Enfin, on reliera avec émotion la nouvelle partiellement autobiographique intitulée La Bonne mort, dans laquelle on découvre que le réactionnaire Maurras a toujours voulu sauver l'humanité de l'homme.

Qu'est-ce qui peut encore nous séduire chez Maurras ? Hervé Bizien a noté ici son culte latin pour la vie. c'est l'essentiel. Maurras, contrairement aux fascistes italiens et français, ne parvient pas à être fasciné par la mort. C'est un maître de vie, aux antipodes de toute idéologie. On peut lui reprocher des colères. Jamais de cruauté. Il veut vivre, apprendre à vivre, donner des raisons pour vivre, célébrer la vie. Son style est parfois nerveux et précis dans la polémique, mais le plus souvent lorsqu'il se laisse aller, il est lyrique. Maurras est un des rares lyriques français : voilà qui le distingue dans la République des Lettres où Gide et sa sécheresse, Giraudoux et son ironie semblaient avoir le dessus. Lisez Corps glorieux (dans Les vergers sur la mer), lisez Le conseil de Dante ou tout simplement Anthinéa, et vous aurez une idée de cette esthétique de la célébration qui est le cœur de Maurras écrivain. « Ce qui m’étonne, écrit-il à l'attention de tous les ronchons et de tous les peine-à-jouir, ce n’est pas le désordre, c'est l'ordre ». Voilà une excellente philosophie de l'existence !

Lorsque nous nous intéressons à Maurras, nous découvrons immédiatement des formules ou des expressions qui caractérisent ses doctrines ou ses attitudes, mais qui sont passées dans l'usage commun : Politique d'abord ! La France seule. La divine surprise. Autant de mots que l'on retrouve un peu partout, surtout chez ceux qui se déclarent ses ennemis. Ce n'est pas par ce genre de phrases choc qu'il faut entrer dans Maurras. Par leur formulation, volontiers provocatrice, elles relèvent davantage du journaliste que du penseur. C'est après s'être saisi de sa pensée que l'on peut revenir sur les étiquettes qui la présentent au public : empirisme organisateur, nationalisme intégral, tradition critique, etc.

À chacun son Maurras

Mais alors que lire de Maurras si l'on cherche un accès à sa pensée ? L’écrivain, parce que sa pensée constitue une sorte de laboratoire de paroxysmes, excelle à recueillir ces paroxysmes dans des formes brèves. Conséquence inattendue : la plupart de ses livres sont des recueils et lui-même ne s'en cache pas. Son Dictionnaire Politique et Critique en cinq volumes, paru en 1935 et auquel il a été donné un Supplément après la Guerre, se présente comme la reprise d'articles ou de fragments d'articles parus dans le quotidien L’Action française. Beaucoup de ces textes, s'ils offrent une réflexion fondamentale, apparaissent comme très datés. Et puis il manque la clef : qui peut fournir la synthèse ? On peut conseiller la lecture de Mes idées politiques; là encore, il s'agit d'un recueil, mais par thèmes fondamentaux et non plus par ordre alphabétique. Cela dit, Maurras a abordé au cours de son existence, non seulement des sujets politiques, mais il ne s'est interdit aucun domaine de réflexion, sauf la métaphysique proprement dite. Il a écrit des vers (qui sont magnifiques et difficiles), des nouvelles ou des contes et même une sorte de « roman », Le Mont de Saturne, qui contient des confidences autobiographiques. Il a parlé de religion; il a parlé d'amour, il a parlé d'histoire; il a abordé la géopolitique internationale. Par quoi commencer ?

D'une certaine façon, à chacun son Maurras. Il faut l'aborder par où l'on pense qu'il va nous intéresser. Ajoutons que c'est à la fois un esprit critique, essentiellement critique. Il critique les grands fidéismes hérités du XIXe siècle : le fidéisme religieux, le fidéisme amoureux, le fidéisme idéologique (c'est un merveilleux vaccin anti-fasciste). Il critique les lobbies, grands dissolvants sociaux (avec sa théorie des états confédérés dans L’avenir de l'intelligence). Mais c'est aussi un constructeur : L’Enquête sur la Monarchie (avec sa longue préface) est assurément la construction politique la plus achevée à droite depuis un siècle. Et son nationalisme intégral, compris de manière authentique et non idéologique, pourrait bien devenir un recours politique majeur à l'heure de la mondialisation.

Quelle est la seule chose qui soit vraiment commune aux Français, avec leurs « familles spirituelles » divisées ? La France. On a beaucoup glosé sur le nationalisme de Maurras. Ce n'est pas un nationalisme agressif. Juste une pensée incarnée de la laïcité. Au lieu d'un grand principe, froid et purement négatif, au nom duquel on ne doit pas parler de ceci ou pas parler de cela, la nation est un principe politique concret et une véritable fin temporelle pour tous ceux qui la constituent. La nation a une histoire, elle porte une culture, elle impose des références et un mode de vie. C'est le principe du cyprès, le théorème du rempart, dont parle Maurras dans la préface de Sans la muraille des cyprès (1941). Je recommanderais volontiers pour finir une petite synthèse de ce nationalisme maurrassien qui, par définition, nous intéressent tous en tant que Français. L’ordre et le désordre, réédité pour 10 euros aux Carnets de l'Herne. Ce livre constitue me semble-t-il une excellente porte d'entrée.

Joël Prieur monde&vie 21 janvier 2012 n°854

Tony Kunter, Maurras, Pardès, 2011,12 €

Cahier de l'Herne, sous la direction de Stéphane Giocanti et Axel Tisserand, Maurras, ed.de L'Herne, 2011,39 €

François Huguenin, L'Action française, Tempus (poche) 2011,12 €

Charles Maurras, La Bonne mort, éd. de L'Herne, 2011,9,50 €

Charles Maurras, L'Ordre et le désordre, éd. de L'Herne, 2007,9,50 €

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