vendredi 27 novembre 2020

Dr Jean-Pierre Dickès : « Le transhumanisme veut faire apparaître une humanité nouvelle » (texte de 2015)

 Président de l'Association catholique des Infirmières et Médecins, le Dr Jean-Pierre Dickès a publié L'Homme artificiel (éditions de Paris Consep) et L'Ultime transgression (éditions de Chiré).

Monde et Vie : Qu'appelle-t-on le transhumanisme ?

Dr Jean-Pierre Dickès Le mot « transhumanisme » a été créé par Julian Huxley, qui était un grand initié - ce qui explique le caractère prophétique du livre Le Meilleur des mondes, publié en 1932 par son frère, Aldous Huxley. Julian était membre de la société d'eugénisme et par conséquent informé des projets eugénistes qui se développaient, également remués dans les loges maçonniques. Aldous Huxley, pratiquement aveugle, a pris conscience qu'au sein d'une telle société, il n'aurait pas eu sa place et il a voulu alerter le public à travers son livre.

Le transhumanisme est une philosophie générale qui vise à appliquer les progrès de la science afin d'atteindre l'immortalité sur terre et de modifier profondément l'homme, pour faire apparaître une humanité nouvelle. Les transhumanistes sont athées : pour eux, c'est l'homme qui est dieu. Ce mouvement philosophique est apparu en 1981 et s'est manifesté pour la première fois dans une revue qui s'appelait H+, ce qui signifiait l'homme augmenté - dans tous les domaines intellectuel, physique, psychique, mental, culturel et surtout somatiques (motricité, sens tactile, etc.).

Toutefois ces thèmes ne sont pas neufs, ils ont été depuis longtemps développés par la science-fiction, dans la ligne d'Isaac Asimov, et par le cinéma, avec des films comme Transcendence, de Wally Pfister. Ce dernier film, sorti en 2014, raconte l'histoire d'un savant dont sa femme décide de numériser le cerveau après sa mort, et qui devient un ordinateur. C'est la pièce centrale du transhumanisme. Cette philosophie est d'autant plus dangereuse qu'elle se pare de prétextes humanitaires et prétend corriger les erreurs de la nature : la souffrance, la maladie, le handicap et la mort : Laurent Alexandre, urologue et fondateur du site Doctissimo, vient ainsi de publier un livre intitulé La mort de la mort : On tombe dans ce que les Grecs appelaient l'hubris : la démesure, l'orgueil humain qui indispose les dieux.

Vous avez cité Laurent Alexandre. Qui sont les transhumanistes ?

Le pape du transhumanisme est l'Américain Raymond Kurzweil, qui a fondé dans la Silicone Valley la « Singularity University ». La « singularité » est une notion importante du transhumanisme, qui correspond au moment où l'ordinateur sera aussi intelligent que l'homme, étape que Raymond Kurzweil annonce pour 2019. Cette université propose des stages qui durent une quinzaine de jours et coûtent 15 000 euros par personne. Son but est de former les élites fortunées à cette philosophie.

Une autre grande figuré de ce courant est le Suédois Nick Bostrom, qui tient la chaire de futurologie à l'Université d'Oxford. Un autre personnage, très symbolique de ce courant, est l'Américaine Martine Rothblatt. C'est un transgenre, un homme qui s'est fait changer de sexe. Ce « ré-assignement » sexuel - selon la terminologie américaine - est significatif : l'humanité doit devenir intersexuée, comme dans le Meilleur des mondes de Huxley, où la notion de famille a disparu. La famille constitue en effet le refuge naturel contre ces idées, il faut donc là détruire en recourant à l'ectogénèse, le développement du fœtus hors du sein maternel. Le sexe serait réservé pour le plaisir et le délassement, et la reproduction confiée aux machines. Aux yeux des transhumanistes, l'ectogénèse est quasiment acquise d'ores et déjà, des brebis ont été créées de cette manière.

Martine Rothblatt a fondé un mouvement nommé Terasem et dirige une unité dé thérapeutique. Elle pousse lé projet transhumaniste jusqu'à l'émergence d'une conscience cybernétique globale qui rendrait nos corps inutiles ou virtuels : les hommes seraient réduits à des disques durs d'ordinateurs, et notre esprit serait ainsi dissous dans une sorte de grand ordinateur collectif. J'avais écrit, dans mon livre l'Ultime transgression, que l'on pourrait alors tenir l'humanité dans une valise. Et je posais la question de savoir qui tiendrait la valise : Google, ou un certain nombre de gens qui détiendront le pouvoir financier. Un argent faramineux est en effet investi dans le transhumanisme, notamment par des sociétés comme Google ou Apple.

Vous évoquez aussi, dans votre livre, le risque d'une prise de contrôle des êtres humains par le biais d'implants posés dans le cerveau. Pouvez-vous nous en dire pins ?

Les implants existent déjà, on les utilise pour soigner des maladies comme celles de Parkinson ou de Huntington, mais aussi les dépressions, les troubles obsessionnels compulsifs, et l'on voudrait maintenant en étendre l'emploi aux troubles du caractère. Ce sont des usages médicaux. Mais les implants pourraient aussi permettre la prise de contrôle de l'activité cérébrale des êtres humains par la collectivité : par le principe de l'interface, un dispositif : l’ordinateur peut toujours se connecter à un autre ordinateur - il est donc toujours possible de prendre possession de microprocesseurs, ou de transistors de microprocesseurs. Le transhumanisme prévoit de s'emparer de la conscience des gens par l'intermédiaire de puces informatiques, ou numérisées, comme on en utilise déjà dans les prothèses commandées par le cerveau.

Vous évoquez aussi, dans votre livre, les projets liés à l'intelligence artificielle...

Il en existe plusieurs, l'un porté IBM, un autre, américain, appelé « Brain » et surtout un projet payé par 22 pays d'Europe, qui se nomme « Human Brain Project », implanté en Suisse. Il consiste à copier le système nerveux central de l'homme à des fins de recherche médicale, pour y expérimenter des médicaments sur le cerveau, par exemple. L’ensemble est numérisé : c'est un gigantesque ordinateur. Mais les chercheurs pourraient être tentés d'augmenter ce cerveau artificiel et de créer une super-intelligence, sur laquelle il serait possible de brancher les individus, par l'intermédiaire des puces informatiques.

Propos recueillis par Eric Letty monde & vie 11 avril-2015 n°906

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