Les politiques se défaussent volontiers de leurs responsabilités sur les banques, dont l'avidité insatiable serait à l'origine de la crise. Est-ce complètement faux ?
« Malheur à celui par qui le scandale arrive… ». La faillite surprise de la banque d'affaires américaine Lehman Brothers, le 15 septembre 2008, a ouvert la longue litanie des excès de la finance. Mis en cause par l'opinion et les élites politiques, le système bancaire est devenu un bouc émissaire commode. Il n'est pourtant pas tout à fait étranger aux turpitudes qu'on veut lui faire porter.
La pratique bancaire a profondément évolué depuis la libéralisation des marchés financiers dans le dernier quart du XXe siècle. Les bouleversements liés aux « 3 D » (désintermédiation, déréglementation, décloisonnement) ont donné à la finance moderne ses principaux traits acteurs globaux, mobilité des capitaux, innovation financière, instabilité des marchés, financiarisation de l'économie.
À cet égard, le rapprochement, en 1999, entre Citicorp et Travelers, pour former Citigroup, est probablement l'exercice le plus accompli de concentration du secteur de la bancassurance, à la fois par la taille du nouvel acteur, l'étendue des services proposés aux quelque 200 millions de clients, et surtout l'intense campagne de lobbying contre la réglementation qui instaurait depuis le début du siècle une incompatibilité entre les métiers de la banque de dépôt et de la banque d'investissement. C'est en effet à l'occasion de cette fusion que les premiers jalons d'une réglementation prudentielle que tous appellent désormais de leurs voeux, le Banking Act dit « Glass-Steagall » de 1933, ont été abrogés pour permettre le développement aux Etats-Unis du modèle de banque universelle, florissant en Europe.
Les conditions de la panique
Pourtant, les analyses ne convergent guère sur les conséquences de cet assouplissement. En effet, si certains mettent en exergue la menace que font peser les activités spéculatives sur les dépôts des particuliers, d'autres rappellent que non seulement, en 2008, la titrisation disposait d'un historique plutôt satisfaisant, mais que c'est précisément l'activité de détail qui a permis de préserver la solidité des établissements bancaires universels, notamment européens.
Avec le recul, c'est le modèle économique des banques et leur rapport au risque depuis les années quatre-vingt qui posent problème. Alors qu'elles distribuaient traditionnellement le crédit en conservant le risque dans leur bilan (ce qui incite à la prudence), elles ont opté pour un modèle « originate and distribute » (octroi et cession du crédit aux marchés financiers), plus rémunérateur : en allégeant son bilan, le système bancaire démultiplie sa capacité à financer l'économie, à capital constant... et donc sa rentabilité.
En croyant desserrer les contraintes du crédit par la dilution du risque entre une multitude d'investisseurs, les banques ont créé les conditions de la panique, dans leur incapacité à évaluer efficacement un risque qu'elles n'ont plus souhaité conserver dans leurs livres.
Un fonds de commerce extrêmement juteux
De fait, sur le marché de l'innovation financière, l'imagination n'a de limite que l'appétit des investisseurs pour des produits d'investissement toujours plus complexes, nourris par l'inventivité bancaire et assurantielle. Après le transfert de créances (titrisation des crédits subprime accordés à des ménages modestes américains, par exemple… ), on a pu spéculer à nu sur le risque associé à ces créances (les CDS), ou comment souscrire une assurance habitation sans habiter la maison. Le rehaussement de crédit par les assureurs (AIG en tête), pour entretenir la confiance à coup de AAA, était alors un fonds de commerce extrêmement juteux...
Les professionnels du risque (banques et assurances de concert, soutenus par les agences de notation) avaient tout calculé, excepté le risque systémique : la moindre défaillance d'un acteur important a fait s'écrouler un château de cartes d'un peu plus de 2000 milliards de dollars.
Avec le recul, plus qu'un acteur en particulier, c'est la consanguinité, à laquelle le politique n'est pas tout à fait étranger, qui apparaît comme le véritable responsable de la crise.
Antoine Michel monde&vie 14 avril 2012 n°858
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