vendredi 13 novembre 2020

L'oppression économique (texte de 2013)

 Le système économique français est tout orienté par la volonté d'un contrôle étatique permanent sur l'individu. Depuis la loi Le Chapelier de 1791 aux récents efforts fiscaux, tout est fait pour que le citoyen atomisé soit en permanence dépendant.

La première loi emblématique de la révolution est celle qui supprime toute possibilité de s'organiser : « il n’est permis à personne d'inspirer aux citoyens un intérêt intermédiaire, de les séparer de la chose publique par un esprit de coopération ». Toute forme d'association est forcément réactionnaire puisqu'elle coupe l'individu de l’État, et donc dresse un écran entre le pouvoir et le sujet. Cette vision paranoïaque de la communauté comme rempart contre l'absolutisme démocratique va profondément marquer notre histoire puisqu'il faudra attendre la fin du XIXe pour que les syndicats soient autorisés.

Empêcher ta constitution d'un patrimoine

Entre-temps, l’État aura confié à la bourgeoisie le soin de mettre le pays en coupe réglée (les associations patronales n'étant évidemment pas interdites) le travailleur est seul face à la loi, dans la fiction du libre contrat entre prolétaire et capitaliste, parties égales. L’économie est en fait sciemment conçue pour former une classe étatique, dont la reproduction endogamique est régulièrement dénoncée, et pour faire en sorte que le plus grand nombre (le peuple, donc), soit tenu à l'écart (par le suffrage censitaire) et constamment appauvri - ou plutôt empêché de s'enrichir par les lois du travail, qui fixent des salaires dérisoires et des conditions de travail honteuses, et par le biais de l'impôt, qui sert bien sûr à construire le contrôle universel permanent exercé par l’État, mais aussi à empêcher la constitution d'un patrimoine, socle d'une possible indépendance de l'individu(1).

Les prétendus assouplissements de la réglementation ne surviennent que quand les conditions du contrôle sont assurées, comme la destruction par Thiers des derniers socialistes communautaristes, et toutes les avancées sociales en matière de protection (inventées d'ailleurs par le patronat et reprises et instrumentalisées par l’État) ne sont qu'une manière d'exercer un contrôle plus étroit, l'individu étant sous perfusion financière privée ou étatique de sa conception jusqu'à sa mort, avec un principe simple tant qu'il est solvable, il est ponctionné, une fois qu'il ne l'est plus, il est assisté. La ponction fiscale permanente et continûment aggravée est une des premières règles instituée par l'État révolutionnaire, et, jamais remise en cause par la suite, elle place aujourd'hui la France dans le peloton de tête des pays légalement spoliateurs.

Financiariser la vie sociale

Chaque transaction économique est fiscalisée (achat d'un bien, paiement d'un salaire, octroi d'un prêt, etc.), chaque acte social est financiarisé pourvu qu'il s'agisse de simples citoyens les personnes sociales, comme les entreprises, les syndicats, etc., bénéficient de règles fiscales bien plus intéressantes, puisqu'elles participent au contrôle exercé. L’État organise cette gigantesque ponction en la justifiant par les services offerts (quand bien même ils sont mal assurés ou offerts à des bénéficiaires étrangers), la richesse créée (mais la redistribution ne crée rien), et une prétendue politique de l'offre dont on voit les heureux effets et qui n'a jamais fonctionné, même aux USA(2).

Plus fondamentalement, la France a adopté de gaieté de cœur plusieurs théories économiques, dont celle de l'inflation créatrice, qui aboutit en fait à détruire en permanence le pouvoir d'achat (et donc le pouvoir d'indépendance) des citoyens : les politiques monétaires ne font réellement porter le poids des ajustements économiques qu'aux salariés. L'inscription enthousiaste de la France dans l'idéologie libérale et le marché européen, jusqu'au point de non-retour, participe de la même volonté d'établir un contrôle économique mondial qui ne laisse à l'Etat français que le soin de discipliner les esprits sans plus avoir à se soucier d'agir dans le réel, le soin étant délégué aux grandes entreprises. Il est symptomatique que les syndicats et les partis se soient simultanément recyclés dans l'approche sociétale, la CGT militant pour le mariage gay (avec quelle légitimité ?), cependant que PS et UMP se partagent la défense du libéralisme et du marché comme Grand Régulateur Social, avec des nuances qui n'intéressent que peu de gens, les décisions prises étant identiques restrictions des fonctions régaliennes, retrait du secteur public, surendettement massif, etc. L'Etat se garde bien, d'ailleurs, de toucher à la privatisation de la dette, tout le pays étant désormais sommé de régler aux banques privées les dettes publiques.

Le totalitarisme mou du système français
passe par le contrôle économique. L’État français s'est créé des obligations extra-territoriales qui lui garantissent que ledit contrôle économique sera renforcé par les exigences de ses créanciers. L’aliénation permanente des citoyens aux règles du marché (et son versant social de l'assujettissement par l’assistance est justifiée par des injonctions morales (« Consommez, vous aiderez l’économie » « Réclamez, vous avez des droits »). L’économie est ainsi devenue le seul lien social préservé et encouragé.

1). Lire à ce sujet G.K: Chesterton, Plaidoyer pour une propriété anticapitaliste éditions de L'homme nouveau.

2). Cf., pour une approche décapante de la chose : Libéral Fascisme : The Secret History of the American Left, From Mussolini to the Politic of Change, de Jonah Goldberg - qui déteste la France, soit dit en passant.

Hubert Champrun monde&vie 21 mai 2013 n°876

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire