lundi 2 novembre 2020

Pendant ce temps-là en Chine

 

Nous nous débattons en ce moment, en France comme dans la plupart des pays européens, dans de terribles difficultés. Bon nombre de mes amis lecteurs ont sans doute entendu le discours, clair et [presque] tonique pour une fois, ce 1er novembre, du chef du gouvernement sur TF1. Votre chroniqueur s'essayera le plus tôt possible à en évaluer la teneur. Aux États-Unis et dans le monde occidental, l'attention se focalise sur une échéance démocratique particulièrement passionnelle.

Le 29 octobre à Pékin, il en allait tout autrement. Présidait la cérémonie, au centre de la tribune, le dirigeant tout-puissant de l'Empire du Milieu. Xi Jinping dirigeait en effet, à la baguette, la réunion du plénum du Comité central du parti communiste.

En tout sept dirigeants : tous masculins.

Mao Tsé Toung déclamait-il autrefois, lyrique tel Néron, que la femme est la moitié du Ciel. Ses actuels successeurs n'en sont pas encore arrivés là. Sans doute, le Grand Timonier pressentait-il que sa quatrième épouse et future veuve, l'horrible Jiang Qing, à la tête de la redoutable Bande des quatre, représenterait à elle seule, la moitié de l'enfer.

Les 198 titulaires et 166 suppléants participants du plénum des apparatchiks communistes assistaient ainsi, le petit doigt sur la couture du pantalon, aux cérémonies de la Préparation du XIVe Plan.

Retour aux objectifs quantitatifs de la croissance, et aux mensonges statistiques assortis de pourcentages. Oubliés les remous de la révolution culturelle et les délires de la campagne du "pi-lin-pi-kong". Celle-ci avait été consacrée, on ne l'oubliera jamais, à la "critique de Lin Biao, critique de Confucius". Elle avait contribué à assombrir un peu plus la sanglante période de la dictature maoïste dont elle constitua une sorte de dernière phase, prolongée de 1973 à 1976.

Depuis 1949, date de la conquête de Pékin par ses armées, on avait assisté, par-delà les soubresauts et les relations en dents de scie avec le communisme soviétique, son modèle d'origine, à la volonté de consolidation permanente de cet affreux régime.

Marqué profondément, incurablement, par le matérialisme marxiste il n'a jamais songé véritablement à un changement de nature, et certainement pas à la renonciation au monopole politique du Parti unique. Les 89 millions de membres du parti communiste chinois se voudront toujours l'ossature monolithique, et l'élite, de l'État totalitaire et de son Armée, dirigée elle-même par les fils d'apparatchiks.

La lecture des textes de Deng, le réformateur qui succéda à Mao à partir de 1978 ne laisse de ce point de vue aucun doute.

Aujourd'hui, au lendemain du plénum d'octobre, et à deux ans de l'échéance 2022, les bien-pensants du monde entier semblent s'étonner. En effet tous les indices tendent, désormais, à prouver la volonté de Xi Jinping, chef du Parti, de se mettre en route pour un troisième mandat présidentiel, que cela plaise ou non.

Soulignons à cet égard que depuis la réforme constitutionnelle de 2018 une barrière a disparu. Instituée 40 ans plus tôt par Deng Xiaoping, elle interdisait plus de deux mandats de 5 ans à la tête de la république. Xi Jinping l'a fait rayer d'un trait de plume.

Mais de quoi Xi Jinping est-il le nom ?

Issu par son père, Xi Zhongxun, du cercle étroit des compagnons de Mao, mis à l'écart en 1962, puis réhabilité par Deng, nous nous trouvons donc en présence de ce qu'on appelle à Pékin un "prince rouge". Sa fortune privée passe pour considérable.

Alors âge de 59 ans, il devient en 2012 secrétaire général du Parti. Conséquence logique, il est devenu chef de l'État en 2013 et il a été reconduit en 2018. Cette année-là lui permet de réviser la constitution. Outre la possibilité de réélection, la constitution intègre le projet que l'on appelle un peu poétiquement, mais très faussement, "nouvelle route de la soie". Il s'agit d'un programme hégémonique dévoilé à l'automne 2013. La présidence de Xi Jinping a en fait une priorité de son action sur la scène mondiale. Programme chinois titanesque de constructions d’infrastructures ferroviaires, terrestres, portuaires, il prévoit d'englober 68 pays, au total 4,4 milliards d’habitants et 40 % de la richesse mondiale. De plus en plus de pays visés, en Afrique comme en Asie centrale, prennent à ce sujet conscience de la perte d'autonomie qui en résultera pour eux. La prise de contrôle viendra de l’intervention financière de l’Eximbank, organisme spécialisé géré par le parti communiste.

Agissant à l'international, disposant d'une forte influence dans le système des Nations Unies il fallait donc rénover quelque peu, même fictivement, l'image du régime.

Dès l'arrivée de Xi, en 2013, les camps (laojiao) du système appelé laogai, assimilé au goulag chinois, sont officiellement abolis. On évaluait alors leur nombre à 350.

Ils permettaient de détenir des dissidents et des délinquants de droit commun sur décision des organes de pouvoir, sans vraie procédure légale. L'élaboration du Code pénal de la république populaire maoïste s'était révélée jusque-là, à l'instar de l'expérience soviétique, un processus particulièrement opaque.[1]

Or, contrairement à cette normalisation, de pure apparence, on a assisté, ou plutôt on a pu découvrir, tout simplement que le système se perfectionnait. Le pouvoir central a construit environ 1 000 camps dont on évaluait, en 2017, jusqu'à 8 millions le nombre de détenus. Le principe affiché restait le même : celui de la "rééducation par le travail". La litote règne, comme il se doit. Les pensionnaires sont pudiquement désignés pour des "apprentis".

Pointe avancée du processus répressif : le développement de prisons, qui existaient déjà, n'ont pas disparu bien au contraire et permettent de traiter dans l'arbitraire le plus absolu quelque 20 000 ou 30 000 récalcitrants.

Ce programme répressif vise tout le pays. Cependant les Ouïgours, les Mongols ou et les Tibétains forment une cible prioritaire. L'ethnie ouïgour par exemple représente 1 % de la population de l'Empire du Milieu mais 20 % de l'univers concentrationnaire.

Le pouvoir central ne vise pas leurs opinions, encore moins leurs actes, mais leur identité. Sans vouloir mettre en cause formellement leur liberté de culte, on s'attache à araser leur vie religieuse. Par exemple on envoie des fonctionnaires dans les familles pour contrôler leur nourriture, s'ils ne mangent pas de cochon, si en dehors de la mosquée ils font leurs 5 prières, s'ils portent une barbe, s'ils se lavent les mains ou les pieds, s'ils portent des vêtements traditionnels, s'ils téléchargent le Coran, la police politique les désigne pour radicaliser et les fiche comme terroristes.

En 2014 on a recommencé à construire de nouveaux camps d'internements. Ils visent à déporter par centaines de milliers ces malheureux Ouïgours. Tous les prétextes sont bons : ne pas lire les caractères chinois devient de l'analphabétisme et il existe pour cela des programmes de rééducation encouragés par l'ONU. Même traitement bien sûr en Mongolie ou au Tibet.

Du Turkestan oriental, immense territoire de 1 660 000 km2, le régime communiste a entrepris en effet la sinisation, comme au Tibet ou en Mongolie. Ce désert des Tartares ne fut incorporé à l'empire des Qing qu'après après un siècle de conflit, et un partage avec l'empire des Tsars. Jusqu'en 1949, il n'était peuplé que des Ouïgours, majoritairement, associés à d'autres peuples de même culture comme les Kazakhs. La région, autonome sur le papier seulement, n'abritait alors que de 20 000 Chinois-Han : ceux-ci représentent désormais 40 % de la population.[2]

Cette ingénierie démographique ne s'arrêtera pas là. Privé de toute référence à l'identité de sa population, le Xinjiang, c’est-à-dire en chinois mandarin le nouveau territoire, est dirigé en fait par le Secrétaire du parti : Chen Quanguo, pur Chinois-Han, natif de la province centrale du Henan, n'en est pas à son coup d'essai. Gauleiter de Lhassa, d'août 2011 à août 2016, il a dirigé la même politique au Tibet. À Ûrümqi il est flanqué d'un Président officiel de la région, Shohrat Zakir, apparatchik fongible d'origine locale.

Entretemps on a découvert en 2014 les principes explicites régissant la censure. Ils ont été élaborés en 2012, au moment où Xi Jinping prenait le contrôle du Parti. Connue sous le nom de "Document N°9", il s'agit essentiellement de la liste des Sept périls, c'est-à-dire des 7 sujets dont on ne doit jamais discuter, car ils menaceraient la suprématie du Parti communiste.

La révélation de cette panoplie anti-subversion par la journaliste dissidente Gao Yu, lui a valu d'être arrêtée en mai 2014, puis condamnée en novembre pour divulgation de secrets d'État. Le verdict en lui-même suffirait à authentifier ses informations[3]

A vrai dire la consigne du silence fonctionne. Et tous les petits et gros raffarins en savent quelque chose.  Pour lutter contre l’idéologie occidentale, on ne doit parler : ni des valeurs universelles ; ni de la liberté de la presse ; ni de la société civile ; ni des droits civiques ; ni des erreurs historiques du Parti communiste chinois ; ni du capitalisme de connivence au sein du pouvoir ; ni de l'indépendance de la justice.

Mentionnons quand même quelques oublis, car personne n'est parfait. Outre le droit des peuples à disposer de leur territoire, partie des droits civiques et, en principe, des valeurs universelles, on pourrait ajouter, par exemple, un huitième tabou : le pillage des technologies.

Or, depuis, le monde a aussi commencé à prendre connaissance d'un incontestable progrès dans la répression. En 2019, il est devenu clair qu'allait être était porté à l'échelon national un contrôle social sans précédent dans l'Histoire des régimes totalitaires. Il avait au préalable été testé dans plusieurs dizaines de villes. Dans ses pires cauchemars romanesques George Orwell n'en avait pas rêvé. Basé sur la reconnaissance faciale ce système a d'ores et déjà dépassé le stade d'une expérience de laboratoire[4]

Si l'on veut bien considérer que le marxisme et le matérialisme historique prétendent se fonder sur la marche des techniques nous nosu trouvons bel et bien en présence du communisme du XXIe siècle.

On ne doit pas s'étonner non plus si, comme au temps de la "pensée de Mao", est apparu le concept de "la pensée de Xi Jinping pour renforcer l'armée".

Et ce régime, présentant le XIVe plan quinquennal met en ligne de mire son objectif 2035. Son chef annonce, avec 15 ans d'avance, qu'à cette date, deux grosses promesses mensongères seront réalisées, en vue desquelles tous les efforts du petit peuple sont requis sous la conduite de leurs gros oligarques et sous la férule du parti unique et le contrôle de la police politique.

Premier mensonge : la Chine sera devenue alors, mais alors seulement, un pays socialiste moderne. Dans la dialectique marxiste socialiste ne veut pas dire communiste. On ne partagera donc pas encore les richesses.

Deuxième mensonge. On annonce aussi qu'à cette date le PIB par tête de cette usine du monde, où le droit du travail est réduit à zéro,  sera égal à celui d'un pays moyennement développé.

Cette rhétorique et ces promesses mensongères impliquent logiquement que le "socialisme normal" n'existe pas encore en Chine populaire, pays essentiellement esclavagiste en définitive, si les mots ont un sens, et que le niveau de vie est encore loin d'y ressembler à celui des moins pourvus des travailleurs supposés exploités de l'Europe décadente.

Le parallèle avec Khrouchtchev et l'évolution de l'URSS semble à cet égard croissant. Le numéro 1 soviétique promettait que le niveau de vie en URSS allait bientôt dépasser celui des États-Unis.

Ce fut durant la même année 1956, qu'il dénonça dans son fameux rapport secret, les crimes de Staline, et plus encore le culte de la personnalité, qu'il fit semblant de libérer la partie la moins productive de la main d'œuvre du Goulag, et qu'il réprima dans le sang la révolution hongroise de Budapest.

JG Malliarakis

Apostilles

[1] cf. Harry Wu Laogai, le goulag chinois, ed. américaine 1992, ed. française Dagorno, 1997

[2] C'est  à dessein qu'est ici utilisé le néologisme "chinois-han". Le nom officiel de la Chine "zhong guo" ne se réfère pas à un peuple mais à un Empire, l'empire du Milieu [du monde]. Le nom de la langue que par pédantisme on a pris l'habitude d'appeler mandarin, "han yu", la langue des Chinois [du Nord] désigne bien la différence entre la "race" et l'État. Le drapeau officiel de la Chine communiste porte ainsi, sur fond rouge, cinq étoiles. La plus importante correspond aux "Han", les quatre autres sont supposées représenter les principales petites sœurs : les Mandchous, les Mongols, les Musulmans ["Hui"] et les Tibétains. Officiellement les Han représenteraient 92 % de la population totale de la Chine. Sont reconnues 55 nationalités minoritaires "shaoshu minzu", 54 en Chine continentale et la dernière à Taïwan, que les autorités de Pékin, – mais aussi, théoriquement, le Kouo Mintang, en exil sur l'île – prétendent partie intégrante d'une Chine une et indivisible. Naturellement tous ces chiffres sont contestables...

[3] cf. Brice Pedrolatti dans Le Monde, le 22 novembre 2014, "Le Document n°9 ou le pense-bête d’un régime chinois assiégé par l’Occident"

[4] cf. Emmanuel Dubois de Prisque et Sophie Boisseau du Rocher La Chine e(s)t le monde, Odile Jacob, 2019.

https://www.insolent.fr/2020/11/pendant-ce-temps-la-en-chine.html

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