vendredi 13 novembre 2020

Quand Staline faisait la Une

Comment la presse mondiale a-t-elle traité, de son vivant, l'image du despote soviétique ? C'est ce que permet de redécouvrir un ouvrage précieux, publié chez Acropole.

Très belle initiative des éditions Acropole qui viennent de publier Joseph Staline à la une. Qui se souvient que les totalitarismes ont joué un rôle majeur dans l'utilisation des images à fin de propagande ? Grâce à un travail précis dans les archives, les auteurs ont exhumé des fonds les unes de plus de cinquante journaux et magazines du monde entier  de l'URSS aux États-Unis, en passant par la France, la Belgique, l'Italie, mais aussi le Mexique ou le Royaume-Uni. Mais aussi de multiples affiches, photos, etc. C'est dire la richesse de cet ouvrage permettant d'expliquer aux plus jeunes comment une information peut être traitée d'un pays à l'autre, comment elle peut être manipulée et interprétée.

Par exemple, le 1" janvier 1940, le célèbre hebdomadaire américain Time magazine estime que l'homme de l'année n'est autre que le Petit Père des peuples. Un portrait souriant du dictateur s'étale à la une avec ces quelques mots « Ivan the Terrible was right » (Ivan le Terrible avait raison)… Comment pourrait-il en être autrement alors que le maître de toutes les Russies, en signant le pacte germano-soviétique, avait évité dans un premier temps à son empire le conflit provoqué par l'appétit d'Adolf Hitler et la faiblesse des démocraties ? D'ailleurs, un tabloïd représenta cette alliance naturelle entre les deux frères ennemis on y voit les deux chefs se serrant la main tout en dominant une frêle jeune femme acculée, à genou et tenue par les cheveux, censée représenter le monde sous la domination totalitaire. Le magazine, qui se targue de ne pas avoir censuré son contenu, ne lésine pas sur les crimes des deux régimes dans un dossier en partie reprographie ici.

Mais le ton change assez rapidement des deux côtés de l'Atlantique, le jour où Hitler décide d'envahir l'URSS. La une de la Pravda présente le discours de Molotov, ministre russe des Affaires étrangères, annonçant à ses compatriotes l'invasion du pays. Mais, là encore, Staline s'étale à la une du journal. Il doit être associé à la Patrie soviétique menacée et placée sous la protection d'un « père ».

L'annonce de sa mort est différée

Un journal mexicain, quant à lui, pointe du doigt l'isolement diplomatique d'un personnage sanguinaire pris en tenailles, entre l'Allemagne de Hitler et le Japon de Hirohito. Mais cet isolement est de courte durée : en 1943, Life, un autre magazine américain, consacre un dossier aux succès militaires de l'Armée rouge associés naturellement à une photo de Staline. L'image du dictateur est telle qu'un journal français absolument apolitique, Le Journal de la femme, affirme avoir rencontré Truman et Staline en même temps ! Il s'agissait en vérité de l'inauguration des statues de cire au musée Grévin… Chacune des images est parfaitement bien commentée et replacée dans son contexte. Le tout est agrémenté d'un texte historique de bonne qualité reprenant l'histoire de Iossif Vissarionovitch Djougachvili, dit Staline, des origines jusqu'à sa postérité.

Toujours sur le même personnage, il faut signaler la publication, chez Dargaud, du coffret La Mort de Staline, qui, sous forme de bande-dessinée, reprend les derniers instants du camarade soviétique. Les auteurs annoncent en tête du livre que la trame du scénario a été « librement construite d'après une documentation parcellaire, parfois partiale et souvent contradictoire... » Mais ils précisent par ailleurs « qu'ils n’ont guère eu besoin de forcer leur imagination, étant incapables d'inventer quoi que ce soit d'équivalent à la folie furieuse de Staline et de son entourage ». Les deux tomes sont consacrés à la nuit du 2 mars 1953 au cours de laquelle le chef de l'URSS fit deux attaques cérébrales. Sa mort ne fut annoncée que deux jours plus tard. Entre-temps, les apparatchiks, assassins corrompus et pervers, se disputèrent un héritage en déliquescence… Un rythme haletant et fou.

Joseph Staline à la Une, L'histoire vue par les archives de la presse et de propagande, Editions Acropole, 192 pages.

Fabien Nury et Thierry Robin, Une Histoire Vraie Soviétique La Mort de Staline.

Christophe Mahieu monde&vie 30 avril 2013  n°875

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