Il y a quelques années, Christophe Guilluy s’était penché sur la France périphérique, expression générique qui permet de regrouper tous ces territoires perdants de la mondialisation, allant des zones rurales au péri-urbain. Cette fois-ci, dans un nouvel essai, il aborde les gagnants de la mondialisation. Ce nouveau regard sur la France décomposée décrit cette upper class des métropoles qui prône l'ouverture et la fin des frontières, tout en pratiquant hypocritement l'entre-soi. Les bénéficiaires de la mondialisation aiment ces frontières invisibles qui les séparent des couches populaires… Le constat est sévère; cette nouvelle bourgeoisie aime subvertir les symboles et récupérer les discours. Nous sommes dans une société ou l'hypocrisie est reine.
Ainsi, l'attachement de l'actuelle upper class au logement social s'explique surtout pas cette volonté de maintenir les key workers - les « travailleurs clés » -, c'est-à-dire ces fonctions nécessaires aux grandes villes : policiers, instituteurs, professions libérales, etc. Il ne s'agit donc pas de réhabiliter les classes populaires, mais de garder un niveau de vie par le maintien autour de soi de ces petites mains vitales…
Autre hypocrisie : le discours anticapitaliste. Ne pas aimer les riches devient une profession de foi chez des gens qui, justement, gagnent bien leur vie. Cette posture anticapitaliste permet en fait de mieux masquer le vrai conflit de classes. À cet égard, Guilluy regrette la typologie de l'Insee qui se borne à distinguer les zones rurales des zones urbaines. Pourtant, il n'y a plus grand-chose à voir entre un bobo de la ville de Paris et un ouvrier de la ville de Dunkerque… Ce refus d'admettre une France périphérique, une vraie opposition entre la France des métropoles riches et la France des villes moyennes pauvres est un piège politique pour l'auteur. On en a vu les effets aux États-Unis avec l'élection surprise de Donald Trump. Les concepts de Christophe Guilluy sont opératoires aussi… de l'autre côté de l'Atlantique.
Dernière duperie en date : le discours antifasciste. C'est que dans cette nouvelle France d'en-haut, tout est question de représentation. Il faut être vigilant sur les discours et les mots. Ainsi est la baudruche du discours antifasciste : tenu par les représentants du modèle mondialisé (l'élite), il combat un ennemi imaginaire et inexistant. Mais il laisse le peuple indifférent. Comme le dit Christophe Guilluy, « le "théâtre de la lutte antifasciste" se joue devant des salles vides ». En réalité, sur fond de sédentarisation, cette France d'en bas déserte les discours dominants et s'érige en contre-société. Elle représente 60 % de la population, des ouvriers ou des employés aux paysans. Rien à voir avec la bourgeoisie pavillonnaire des années trente. Depuis les années 90, dans les mêmes pavillons périurbains, nous sommes en face d'une France populaire que des élus ruraux de gauche et de droite ont encore du mal à comprendre.
Pour nous, catholiques, l'appel à rejoindre les périphéries ne doit-il pas aussi conduire à s'affranchir du discours de l'oligarchie ?
✍︎ Christophe Guilluy Le crépuscule de la France d'en haut, Flammarion, 2016.
François Hoffman monde&vie 24 novembre 2016 n°932
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