Ça y est, le mot est lâché : coup d’État. Nous avons été témoins d’une tentative de coup d’État. Qui plus est populiste. « La première tentative de coup d’État populiste de l’Histoire, du moins de l’Histoire des États-Unis », analyse, dans Libé, un maître de conférences en histoire contemporaine à Sciences Po Bordeaux.
« Quand un leader politique, en l’occurrence le président des États-Unis d’Amérique, appelle plus ou moins ouvertement ses partisans à s’opposer à un vote démocratique, quand ce même leader dénonce une manipulation des élites politiques destinée à le chasser du pouvoir, quand ses militants contestent par la force et la violence un processus démocratique en cours, quand des émeutiers envahissent un Congrès de députés et sénateurs démocratiquement élus, il n’y a pas d’autre façon de qualifier les événements survenus à Washington mercredi. » Vraiment ? Ne mélangeons-nous pas tout et ne jouons-nous pas un peu à nous faire peur ? Un peu, car l’éminent spécialiste d’histoire politique qui écrit cela le reconnaît lui-même : l’assaut du Congrès était voué à l’échec. C’est une évidence.
On mélange un peu tout. Car qu’est-ce qu’un coup d’État ? Un coup d’État suppose un coup de force fomenté par une personne investie d’une autorité. Louis-Napoléon Bonaparte était président de la République. Le 2 décembre 1851, à quelques mois de la fin de son mandat, il viole la Constitution de la Deuxième République qui, en principe, ne lui permettait pas de se représenter, en prenant des décrets proclamant la dissolution de l’Assemblée nationale, la convocation du peuple à des élections et la préparation d’une nouvelle Constitution. En 1973, le général Pinochet était commandant en chef de l’armée chilienne, donc investi d’une autorité, et il renversa le pouvoir en place. Un coup d’État que l’on peut qualifier de putsch, puisque la force militaire fut employée.
Le coup d’État suppose donc une préméditation, une organisation, une planification. Or, qu’a-t-on vu, à Washington ? Des manifestants qui s’échauffent en cours d’action et se transforment en émeutiers. Qui peut imaginer que le président des États-Unis ait été à l’origine d’un tel coup de force ? Soit dit en passant, les émeutiers de notre Bastille Day, comme ils disent là-bas, acte fondateur de notre belle Révolution française et de ce qui s’ensuivit, furent autrement plus efficaces. Notamment dans la cruauté. Mais c’est une autre histoire, justement.
Notons qu’il ne faut pas confondre le coup d’État avec l’insurrection. De façon générale, le coup d’État, c’est pas bien, l’insurrection, c’est bien. Le coup d’État est plutôt de droite, l’insurrection généralement de gauche. Le coup d’État est contre le peuple, l’insurrection est pour le peuple, vu qu’elle est souvent populaire. C’est pourquoi la tête du gouverneur de la Bastille sur une pique n’est qu’un détail de l’Histoire qui ne mérite pas qu’on s’y attarde. En revanche, les communards fusillés par la troupe de Thiers sont des martyrs. C’est comme ça.
Le coup d’État, finalement, c’est un abus de pouvoir poussé au paroxysme. C’est utiliser une autorité dont on est investi pour tordre le bras des institutions dans un moment de faiblesse de celles-ci.
Or, depuis des siècles, on distingue les pouvoirs exécutif, législatif et judiciaire (qui, en principe, n’est pas un pouvoir mais une autorité, dans notre Constitution). Vers la fin du XXe siècle, on s’est mis à parler du pouvoir médiatique. S’il n’est pas institutionnel, il n’en est pas moins une réalité. Et, en ce début de XXIe siècle, on voit surgir un pouvoir, peut-être plus puissant que les États eux-mêmes, même ceux possédant l’arme nucléaire, je veux parler du pouvoir numérique qui s’exerce, notamment, par la maîtrise des réseaux sociaux. Alors, on peut se poser une question : avec l’éviction unilatérale du président sortant des États-Unis d’Amérique de ces réseaux sociaux, ne venons-nous pas d’assister au premier coup d’État numérique de l’Histoire ? Peut-être autrement plus efficace que n’importe quel pronunciamiento d’un général Tapioca de circonstance.
Le temps où, pour faire un coup d’État, il suffisait d’investir le palais présidentiel, la radio d’État et la centrale électrique, de contrôler les principaux axes de la capitale avec quelques blindés, est passé, tout du moins dans nos sociétés complexifiées. Car le pouvoir est ailleurs. Le temps des coups d’État est révolu. En revanche, peut-être pas celui des émeutes…
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