dimanche 24 janvier 2021

Missionnaires : les géants du christianisme


 Quand nous étions petits, nous lisions la collection « Belles Histoires et Belles Vies » que les éditions Fleurus ont éditée jusqu’en 1972. Les albums des années quarante et cinquante étaient de petites merveilles. Je relisais avec fascination Les martyrs de l’Ouganda, paru en 1954, et Le bienheureux Théophane Vénard, paru en 1961. Les récits horrifiques des martyres respectifs, que les vignettes évoquaient avec des images très sages, m’avaient impressionné au point que nous étions allés visiter la « salle des martyrs » au siège des Missions Étrangères de Paris. Chaines et gangues étaient suspendues dans une muséographie assez pauvre.

Elle existe toujours. Mais les MEP [Missions Étrangères de Paris] viennent de créer l’Irfa, l’Institut de recherche France-Asie, qui va exploiter toutes les archives des missions et révéler aux chercheurs c’est-à-dire a tous ceux qui témoignent d’un vrai projet de recherche le reste des trésors missionnaires. Ils sont moins les reliques émouvantes des martyrs que les documents, aussi émouvants par la charité dont ils témoignent, de la foi de ces prêtres lancés à la rencontre de tous ceux qui ne connaissent pas l’Evangile.

Rien ne les arrête : coutumes étranges, animaux étonnants, inconfort complet, langues inconnues (les MEP exigeaient que les missionnaires parlent la langue des pays ou ils étaient envoyés), absence d’alphabet. Ils en tirent mille observations et mille outils pratiques, comme ce Dictionnaire Thibétain-Francais-Latin de 1899 ou le Dictionnaire Français Lolo de 1909, le Lolo étant un dialecte Gni parlé par une tribu installée dans trois sous-préfectures du Yunnan. L’Évangile réclamait que ce dictionnaire existât. Paul Vial est né en 1855 a Voiron, dans l’Isère, et est parti au Yunnan en 1879 à peine ordonné prêtre. Il a déchiffré seul l’écriture lolo, fondé un village modèle, et publié entre autres) en 1913 aux imprimeries de Nazareth, c’est-à-dire dans la maison des MEP à Hong Kong, un manuel : Calcul-les quatre règles expliquées aux enfants, parce que la charité exige qu’on donne tout ce qu’on a. Le frère Monier, génial autodidacte, inventait les machines nécessaires pour imprimer à la perfection des langues que nul n’avait jamais imprimées. On a une photo du père Paul Vial en costume de l’ethnie Miao, au Yunnan. Cela veut dire qu’il porte un turban comme en Inde, une tunique qui serait à sa place en Kabylie, et qu’il souffle dans une manière de cornemuse qui est un sheng ou plutôt un lusheng. Vous ferez comme mol, vous irez sur Internet et vous vous abimerez dans le monde qui s’ouvre quand on regarde la couverture du Dictionnaire Français-Lolo.

On sait que l’universalisme chrétien tout à la fois détruit et construit, puisqu’on ne peut tout préserver des sociétés que la foi transforme. L’Irfa permet de mesurer ce que l’Église a construit, ce savoir encyclopédique sur les langues parlées par des tribus perdues, ignorées, méprisées, bientôt exterminées (les Miao sont des Hmong laotiens), ce souci des graphies qui nécessite qu’on dessine, grave et fonde des alphabets spécifiques, cette proximité avec ceux qu’on tente de convertir ou qu’on a déjà convertis, dont on archive les savoirs (un dessin de 1920 avec les termes anatomiques français et cambodgien) et les rites (photographies de sorciers de Sumatra).

Chaque image est une rencontre, comme celle de Siméon Berneux. Il était Sarthois, arrivé a Séoul en 1856, quand se convertir au catholicisme était puni de mort. Il en convertit des milliers, installa un séminaire et une imprimerie, se fit décapiter en 1866, béatifier en 1968 et canoniser en 1984. Un dessin le montre en habit de voyage, coiffé d’un chapeau qui ressemble à un papillon de nuit éployé. Il nous regarde derrière un masque qui le protège de la poussière.

Mission étrangères de Paris, 128 rue du Bac, Paris.

Il y a des visites libres ou guidées de la salle des martyrs. Les collections de l'Irfa ne sont pas ouvertes au public mais des expositions temporaires vont être organisées, la page Facebook de l’Institut présente chaque lundi un document inédit et commenté, et le site Internet www.irfa.paris est une invitation au voyage.

Richard de Seze monde&vie 5 février 2020 n°982

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