La période agitée de l’après Grande Guerre est propice au renouveau des sociétés völkisch : la défaite et la proclamation de république confirmant les thèses du déclin. En outre, l’instabilité politique (l’ambiance de guerre civile avec les agitations Spartakistes et celle des corps-francs) et économique (l’inflation galopante) créent un excellent terreau pour les mouvements alternatifs et pour l’irrationalisme. Berlin, alors, grouille de sectes. Les débuts de la république de Weimar connaissent une recrudescence de « mages », d’astrologues, de « gourous » de tout genre et de charlatans de tous ordres profitant de ce climat délétère.
Ainsi, le général Ludendorff (1865-1937) fit, à la fin de sa vie, la synthèse entre le paganisme et le christianisme dans une optique nationaliste et raciale. A cet effet, il parraina une association d’étudiants : « Le cercle universitaire de race allemande », fondée en 1919, diffusant ainsi cette thématique dans les milieux universitaires[31]. Pour diffuser ses idées il fonda aussi un mouvement, le Ludendorff-Bewegung (mouvement Ludendorff). Ses thèses trouvèrent un écho dans les milieux anciens combattants.
La « Révolution Conservatrice » fut souvent assimilée au nazisme, avec lequel elle partage d’ailleurs, un héritage intellectuel commun important. Pourtant son univers bigarrée ne se confond nullement avec le national-socialisme malgré des parcours personnels amenant à une collaboration avec les nazis comme ont pu le faire des intellectuels de premier plan tels Martin Heidegger et Carl Schmitt. D’autres se sont soit opposés au nazisme (Pechel et Hielscher), soit se sont exilés (Mann), soit se sont enfermés dans un exil intérieur (Jünger). Même si la « Révolution Conservatrice » a préparé la société allemande, par son anti-démocratisme et par son pré-fascisme, à l’arrivée du nazisme, ce courant de pensée fut « mis au pas » par le national-socialisme comme le reste de la société. Ainsi Ernst Niekish a été déporté, le régime n’ayant pas apprécié ses critiques du national-socialisme. Le domicile d’Ernst Jünger fut fouillé plusieurs fois par la Gestapo. Le sort de Edgard Julius Jung est plus tragique : le secrétaire du Chancelier von Papen a été assassiné le 30 juin 1934, lors de la Nuit des Longs Couteaux.
Notes
[1] Respectivement en mai 2002 et en juillet 2003.
[2] Edmond Vermeil, Doctrinaires de la révolution conservatrice allemande 1918-1938, Paris, Nouvelles Editions Latines, 1938, seconde édition en 1948.
[3] Cf. à ce propos les travaux de Nicolas Lebourg.
[4] Alain de Benoist dirigea une collection intitulée « Révolution conservatrice » aux éditions Pardès qui publia ou réédita les livres suivants : Arthur Moeller van den Bruck, La révolution des peuples jeunes, Puiseaux, Pardès, 1993 ; Armin Mohler, La Révolution Conservatrice en Allemagne de 1918 à 1932, Puiseaux, Pardès, 1993 ; Ernst Niekisch, « HITLER. Une fatalité allemande » et autres écrits nationaux-bolcheviks, Puiseaux, Pardès, 1991 ; Carl Schmitt, Du politique « légalité et légitimité » et autres essais, Puiseaux, Pardès, 1990 et Werner Sombart, Le socialisme allemand, Puiseaux, Pardès, 1990. Cf. Stéphane François, Les néo-paganismes et la Nouvelle Droite (1980-2006), Milan, Archè, 2008.
[5] Jean Favrat, « Conservatisme et modernité : le cas de Paul de Lagarde », in Louis Dupeux (dir.), La « Révolution Conservatrice » dans l’Allemagne de Weimar, Paris, Kimé, 1992, p. 99.
[6] Theodor Fritsch dirigera dans l’entre-deux guerre deux mouvements néo-païens d’influence nationale : le Deutschvolkischer Schutz und Trutzbund qui deviendra par la suite le Deutschvolkischer Freiheit Partei.
[7] Louis Dupeux, « “Révolution Conservatrice” et modernité », in Louis Dupeux, La « Révolution Conservatrice », op. cit., p.17
[8] Pierre-André Taguieff, « Le paradigme traditionaliste : horreur de la modernité et antilibéralisme. Nietzsche dans la rhétorique réactionnaire », in Collectif, Pourquoi nous ne sommes pas nietzschéens, Paris, Le Livre de poche, 2002, p. 232.
[9] Friedrich Nietzsche, La Volonté de puissance, Paris, Gallimard, 1995.
[10] Pierre-André Taguieff, « Le paradigme traditionaliste », art. cit., p. 240.
[11] Friedrich Nietzsche, Aurore, in Œuvres complètes, t. 1, Paris, Robert Laffont, « Bouquins », 1993, p. 998.
[12] Friedrich Nietzsche, La Volonté de puissance, vol. 2, livre III, § 25, op. cit.
[13] Philippe Baillet, « Monte Verità, 1900-1920 : une “communauté alternative” entre mouvance völkisch et avant-garde artistique », Nouvelle École, nº 52, 2001, pp. 109-134.
[14] Françoise Muller, « Erich Muhsam, un écrivain libertaire contre le fascisme », in André Combes, Michel Vanoosthuyse et Isabelle Vodoz (dir.), Nazisme et Anti-nazisme dans la littérature et l’art allemand 1920-1945, Lille, Septentrion, 1986, pp. 145-157.
[15] Voir le témoignage d’Hermann Hesse « L’homme qui voulait changer le monde » in L’enfance d’un magicien, Paris, Calmann-Levy, 1975, notamment les pp. 240-241.
[16] Louis Dupeux, « La version “Völkisch” de la première “alternative” 1890-1933 », in Louis Dupeux (dir.), La Révolution conservatrice, Paris, Kimé, Paris, 1992, p. 187.
[17] Louis Dupeux, « La version “Völkisch” de la première “alternative” 1890-1933 », art. cit., p. 187.
[18] Cf. Stéphane François, Le nazisme revisité. L’occultisme contre l’histoire, Paris, Berg, 2008.
[19] Karl Dietrich Bracher, Hitler et la dictature allemande, Bruxelles, Complexe, 1995, pp. 120-125.
[20] Hans Mommsen, Le national-socialisme et la société allemande, Paris, Editions de la maison des sciences de l’homme, 1997, p. 7.
[21] Cette thèse de doctorat, soutenue à Bâle en 1949, fut publiée pour la première fois en 1950 sous le titre Die Konservativ Revolution in Deutschland 1918-1932. Dernière édition en 2002 Stocker Verlag, Stuttgart. Traduction française, Armin Mohler, La révolution conservatrice en Allemagne (1918-1932), op. cit.
[22] Louis Dupeux, « “Révolution Conservatrice” et modernité », in Louis Dupeux (dir.), La « révolution conservatrice » dans l’Allemagne de Weimar, op. cit., pp. 17-43.
[23] Hans Mommsen, Le national-socialisme et la société allemande, Paris, Editions de la maison des sciences de l’homme, 1997, p. 5.
[24] Oswald Spengler, Le déclin de l’Occident, Paris, Gallimard, Bibliothèque des idées, 1948.
[25] Première édition française en 1930 chez Payot.
[26] Sur Niekisch ; cf. Louis Dupeux, National bolchevisme. Stratégie communiste et dynamique conservatrice, 2 vol., Paris, Honoré Champion, 1979.
[27] Le terme « völkisch » est réputé intraduisible en français, souvent traduit par « raciste ». La racine « Volk » signifie « peuple », mais le terme va au-delà du sens de « populaire ». Ce terme peut être compris comme nostalgie folklorique et raciste d’une préhistoire allemande mythifiée. C’est en essayant de traduire ce terme que la langue française s’est enrichi des mots « raciste » et « racisme ». Pierre-André Taguieff, La force du préjugé. Essai sur le racisme et ses doubles, Paris, Gallimard, 1987, pp. 122-132.
[28] J’utilise le présent car il existe encore en Allemagne et en Autriche des groupuscules de se réclamant de ces théories.
[29] Christophe Boutin, Politique et Tradition. Julius Evola dans le siècle (1898-1974), Paris, Kimé, 1992, p. 264-265.
[30] Hildegard Chatellier, « Julius Langbehn :un réactionnaire à la mode en 1890 », in Louis Dupeux (dir.), La Révolution conservatrice, op. cit., pp. 115-128.
[31] Louis Dupeux, Histoire culturelle de l’Allemagne 1919-1960, Paris, Presses Universitaires de France, 1989, pp. 103-104.
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