L’affirmation d’une identité revient évidemment à assumer des différences. Le refus pour un homme politique d’intégrer dans son discours ces deux aspects indissociables du peuple auquel il appartient et à la conduite duquel il peut participer tient de l’aveuglement, de la démission voire de la trahison. L’idéologie qui s’impose aujourd’hui aux politiciens occidentaux les conduit à discréditer le terme d’identité, à considérer l’attitude “identitaire” comme criminelle… sauf bien sûr lorsque le terme “identité” recouvre cette fois la revendication d’un groupe minoritaire. Autrement dit, cela revient à inverser la logique qui préside à l’existence d’une nation, à savoir la reconnaissance d’un bloc d’identité qui la différencie des autres peuples, son histoire, sa langue, sa religion souvent, son sentiment de former une communauté de destin et d’intérêts, distincte des autres.
Il y a chez beaucoup de dirigeants européens de l’Ouest, l’idée que les Etats de droit à la tête desquels ils se trouvent ne sont que des espaces où vivent des individus, d’ailleurs moins des citoyens que des agents économiques voués à la mobilité. On assiste alors à cette étonnante schizophrénie qui envahit l’ensemble du microcosme médiatico-politique qui consiste à révoquer tout nationalisme à l’intérieur tout en s’extasiant devant le nationalisme des nations périphériques comme l’Ukraine, à gommer les frontières entre les Etats tout en laissant s’élever celles qui séparent de prétendues communautés sur le territoire national. Les passages pour piétons “arc-en-ciel” du Marais sont de petits signaux, mais il en est d’autres comme le danger qui pèse sur les policiers qui pénètrent dans certaines zones qui montrent que l’archipel communautaire est en marche. Si l’oligarchie et ses enfants parlent anglais, et truffent leurs discours de mots “globish” comme si leur poids de signification était plus lourd que celui des expressions françaises, notre langue s’appauvrit et se disperse, se batardise dans son vocabulaire, ses tournures et ses accents. L’idéologie apparente de nos sociétés occidentales affiche des valeurs qui affirment les droits individuels, fût-ce au mépris de l’intérêt collectif et du bon sens, comme l’incroyable contre-sens qui fait de l’avortement, c’est-à-dire de l’interdiction de vivre pour un innocent, un progrès sacré et absolu, et de la peine de mort pour le pire des salauds, une abomination. La réalité politicienne de nos sociétés consiste pour les professionnels de la politique à réduire celle-ci à une démagogie qui privilégie le court terme. L’économie, la dimension matérielle de la vie y tiennent la première place : si la protection de la vie paraît parfois l’emporter, c’est au bénéfice de l’industrie sanitaire et au détriment des libertés jusqu’au moment où les impératifs économiques reprennent l’avantage. Il y a dans cette évolution la présence de plus en plus dominante de la “culture de mort” selon l’expression de Jean-Paul II. Nos nations sont vieilles et pour beaucoup fatiguées d’elles-mêmes, et ce sont leurs “élites” qui conduisent le cortège funéraire vers la dissolution européenne, vers le mondialisme des affaires, vers le grand remplacement. Ces dernières années ont vu le “drapeau arc-en-ciel” flotter sur l’Assemblée Nationale et celui de l’Europe remplacer les trois couleurs sous l’Arc-de-Triomphe : par le haut et par le bas, c’est la Nation qui renonce à elle-même.
Il y a en Europe un Chef de gouvernement qui constitue une heureuse exception. C’est Viktor Orban à la tête de la Hongrie pour la cinquième fois dont quatre d’affilée. C’est le vilain petit canard de la médiocrité lisse qui règne au sein de la technocratie bruxelloise, celui qui ose bloquer les processus, qui provoque volontiers la bienpensance et bénéficie d’une popularité sans cesse renouvelée à domicile. Récemment il a proclamé la volonté du peuple hongrois de conserver son identité ethnique, il refuse de considérer le mariage entre personnes de même sexe comme la marque suprême de notre civilisation qu’il persiste à considérer comme d’inspiration chrétienne. Enfin, il ne considère pas la Russie et son Président comme des ennemis, mais comme des partenaires indispensables. C’est insupportable pour la douce musique de la pensée unique, d’autant plus qu’elle a pris un accent militaire contre la Russie. Comment comprendre cette attitude ? La Hongrie n’a pas plus que les autres pays de l’Est à se féliciter de la domination soviétique entre 1945 et 1989. Au contraire, le soulèvement hongrois de 1956 a été écrasé dans le sang par l’Armée rouge, sans que les Occidentaux, que les Américains ne lèvent le petit doigt, ne fournissent des armes… Viktor Orban qui a d’abord été un opposant anticommuniste sous la dictature sait faire la différence entre le totalitarisme marxiste et le nationalisme conservateur de Poutine qui ne menace en rien la Hongrie. Poutine est de Saint-Petersbourg et est évidemment un occidental. Il a tendu la main aux Occidentaux jusqu’à proposer l’entrée de la Russie dans l’Otan à l’époque de la lutte contre l’islamisme qu’il a combattu en Syrie en sauvant la minorité chrétienne. Il y a entre le démocrate “illibéral” Orban et Poutine qui dirige un pays dont la démocratie et le libéralisme sont éloignés des nôtres, une convergence évidente : la lutte contre la culture de mort, contre la mort de leur nation. Pour le Président russe, il s’agit de contrer la stratégie américaine en reconstituant non l’URSS, mais l’Empire russe réduit aux peuples de culture russe. Pour Orban, l’ambition est analogue, mais les moyens bien moindres. Contrairement à la Russie, le pays le plus vaste de la terre, et ses 150 millions d’habitants, ses ressources inépuisables, son appartenance au monde slave, la Hongrie est un petit pays de 10 millions d’habitants sur une plaine exiguë enclavée en Europe et doté d’une des rares langues non-indoeuropéennes parlées en Europe. L’affirmation d’une identité propre fondée sur cette originalité se nourrit d’une histoire très riche tissée de hauts et de bas, et notamment de la soumission aux Turcs puis aux Autrichiens. Le grand nombre des savants et des artistes qui en sont originaires est une preuve que la préservation de l’identité n’est nullement un obstacle à la participation à la richesse de l’humanité. C’est même le contraire ! Orban ne veut pas que l’identité hongroise disparaisse dans le broyeur européen. Il veut aussi que l’Europe soit assez forte et indépendante pour préserver les nations qui la composent. C’est la raison pour laquelle, plaçant l’économie comme un moyen et non comme une fin, il fustige les sanctions à l’encontre de la Russie, “une balle dans le poumon de l’Europe”. S’il n’est pas sûr que les valeurs russes soient éloignées des véritables valeurs européennes, il est en revanche certain que l’intérêt objectif des Européens n’est pas de faire la guerre à la Russie dont elle a besoin … pour les beaux yeux de Washington.
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