Alors que le futur colloque de l’Institut Iliade sera l’occasion de discuter du déclin anthropologique de l’Europe, il nous semble pertinent de questionner les impacts qu’a pu avoir ce conflit sur l’Européen d’hier et surtout d’aujourd’hui.
La figure du héros, chef d’œuvre en péril
Véritable centrifugeuse du meilleur et du pire de la nature humaine, la guerre fut, jusqu’au début du XXème siècle, source d’une production artistique magnifiant le combattant, rendant hommage à son courage et soulignant le caractère prométhéen de l’Homme au combat.
Le XIXème siècle et son romantisme s’inscrivent parfaitement dans cette dynamique. L’épopée napoléonienne a nourri la représentation culturelle guerrière d’une forte teinte épique, méliorative. Les actes de bravoures des soldats de l’Empereur furent ainsi mis en valeur par le classicisme pictural d’un Delacroix ou d’un Géricault, vivement retranscrits à l’écrit par un Victor Hugo subjugué par l’ampleur des exploits réalisés par la Grande Armée et ses Grognards. La guerre se trouvait alors représentée dans une esthétique positive, où le panache de la Vieille Garde, l’impétuosité des hussards et des carabiniers firent presque oublier la réalité du champ de bataille, qui n’a, de tout temps, été qu’un formidable concentré de violence.
La guerre franco-prussienne de 1870 vint déjà écorner cette représentation épique du guerrier. La défaite cuisante dans le froid glacial du pays sedanais a vu la France perdre ses armées et se déchirer en une guerre civile, alors que l’envahisseur allemand était toujours sur nos terres. Point de tableaux à la gloire de nos hommes, le tragique l’emporte. Le Pour l’Humanité, pour la Patrie de Jean Joseph Weerts est l’archétype des représentations picturales de ce conflit, à comparer aux œuvres épiques des artistes cités supra[1].
Le conflit de 14-18 résulta en la véritable démystification du soldat, du guerrier, et de l’aura épique dont il pouvait se parer jusqu’alors. Le Poilu, couvert de vermines, de boue, d’excréments, de sang, vit dans des conditions de muridés, meurt ensevelis sous des tonnes de terre, ou abattu par les balles d’un adversaire dont il ne distingue même pas la silhouette.
Ses blessures, s’il survit, le défigurent à vie, faisant du quidam un Quasimodo, une gueule cassée, dont le retour à la vie civile est on ne peut plus compromis.
La Première Guerre mondiale a cela de paradoxal qu’elle fut l’un des conflits où l’Homme a fait montre d’une incroyable témérité devant une mort rendue industrielle, aléatoire, et pourtant cet héroïsme n’a jamais été aussi peu mis en valeur dans les représentations artistiques attenantes.
Le soldat de 14-18 est avant tout représenté comme une victime. La promotion de l’héroïsme a pris du plomb dans l’aile, cédant le pas à l’horreur, l’inquiétude, l’incompréhension face aux sacrifices endurés par des hommes qui n’étaient pas des soldats professionnels mais des conscrits. Le romantisme laissera place ainsi au littéral, les fameuses Lettres de Poilus, recueil de témoignages directs de soldats de 14-18, représentant l’œuvre réaliste par excellence sur ce conflit.
Le duel et le corps à corps, comme quintessence de la confrontation virile avec ce qu’ils peuvent comporter de chevaleresque, se sont fait si rares durant ce conflit, happés par la masse des combattants et de la technique, par l’échelle industrielle jamais atteinte jusqu’alors, que la figure du héros ne fut plus que réservée à quelques classes très particulières de combattants : les pilotes de chasse et les corps francs, les « corsaires des tranchées ».
Devant le chaos engendré par la Grande Guerre, l’Homme fut touché au plus profond de sa virilité : ne pouvant faire valoir toutes ses qualités sur un champ de bataille où le plomb triomphait irrémédiablement de la chair, revenant souvent amputé dans son village, inutile aux travaux des champs, des usines, dans lesquels les femmes prirent avec détermination son relai dans le labeur.
L’avènement de la victimisation et de la repentance
Le héros, dès lors, n’est plus, au profit de la figure de la victime. Et on voit comment ce changement de paradigme marque encore nos sociétés.
La Première Guerre mondiale a été l’aube de l’ère de l’excuse pour l’Européen. La France dut presque s’excuser d’avoir remporté un bras de fer terrible face à une Allemagne belliqueuse. Une génération de diplomates pacifistes et en totale déconnexion avec la réalité, Aristide Briand en tête, a promu une politique désastreuse pendant un Entre-deux-guerres marqué par un relâchement moral coupable. Tendant ainsi le bâton pour se faire battre à une Allemagne revancharde qui dépasserait les limites de l’entendement en organisant un génocide tranchant radicalement avec le degré de civilisation pourtant atteint sur notre continent.
Depuis lors, l’Européen n’a de cesse de s’excuser, de se flageller pour les crimes commis. Mais pour lesquels il a déjà (assez) payé. Il faut donc rendre hommage aux victimes, oublier les héros et se laisser aller aux plus grands poncifs sur 14-18. Parmi eux demeurent le mythe d’un Traité de Versailles trop dur envers l’Allemagne (alors qu’il n’a pas été appliqué dans son entièreté – Allemagne, qui passe d’ailleurs très vite du statut d’agresseur à celui de victime), ou encore, le plus coupable, celui voulant que « le sang des Africains a permis d’économiser celui des Français »[2]. Ce dernier a été scientifiquement démonté sur Polémia par Bernard Lugan[3], mais aussi dans l’excellent ouvrage du Général Elrick Irastorza, La Tranchée des Poncifs, les mythes de la Grande Guerre décryptés.
En 2020 la mairie de Paris rendait hommage à Arnaud Beltrame : donnant son nom à un jardin du 3ème arrondissement, une plaque fut déposée mentionnant que ce dernier était mort, « victime de son héroïsme ». Malhonnêteté intellectuelle ultime car s’il fut une victime, c’en fut une de l’Islam. Voyez aussi comment l’héroïsme est ainsi dévalorisé, quel message une telle plaque fait-elle passer ? « Attention l’héroïsme tue » ?
Oui, l’héroïsme a un coût, mais c’est une valeur qui permet d’agir avec intégrité, de faire face à l’adversité sans déroger à ses principes, de défendre le vrai, le beau et le bien. Là où la complaisance et la victimisation font la part belle à l’effacement de soi, au mensonge, à la dissimulation, à la médiocrité. Or, où nous enseigne-ton l’héroïsme aujourd’hui ? Où le met-on en avant ?
Les politichiens ne manqueront pas de commémorer ce 11 novembre en se laissant aller aux poncifs cités supra, à la complaisance et aux saluts des victimes (en insistant notamment sur les extra-Européens).
Il nous appartient donc à nous, Français, de se souvenir des millions d’hommes qui sont partis se battre, sans rechigner, pour la France, pour leur terre.
Leur courage fut sans égal. Leur résilience, d’un degré dont nous devons nous inspirer, alors que notre pays et notre continent sont menacés, que nos valeurs et notre génie sont fortement questionnés.
Souvenons-nous ainsi de leurs mânes et espérons trouver en eux des modèles pour nous vivifier et puiser la part d’héroïsme qui devra être la nôtre afin de nous maintenir.
Gloire aux Poilus !
Georges Castro – Promotion Homère
Notes
[1] Voir le tableau de Jean-Joseph Weerts sur parismuseescollections.paris.fr
[2] La Tranchée des Poncifs, Général Elrick Irastorza, Éditions Pierre de Taillac, 2019.
[3] « La France n’a pas gagné la Première Guerre mondiale grâce à l’Afrique et aux Africains », Bernard Lugan, Polémia, 13/05/2016
Illustration : Dans la tranchée, Georges Paul Leroux, CA 1918. Détail.
https://institut-iliade.com/1914-1918-le-crepuscule-de-lheroisme/
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