17/03/2023
Au cours du mois d’août, pourtant, l’inquiétude monte dans plusieurs capitales européennes. Le plan américain est puissant. Et il s’ajoute au fait que l’énergie coûte trois à cinq fois moins cher outre-Atlantique. Comment résister ? « Nous avons vite réalisé qu’avec l’IRA, les Etats-Unis avaient mis en place une formidable pompe aspirante pour les investissements étrangers », témoigne un haut dirigeant. Sidérés, les Européens découvrent aussi que l’administration Biden ne se contente pas d’ouvrir un « guichet ». Elle démarche directement les plus grandes entreprises européennes au niveau des PDG et des comités exécutifs. « Certains industriels ont été contactés en direct par des conseillers de la Maison-Blanche, nous en avons eu la preuve », s’étrangle-t-on côté européen.
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Mais l’essentiel est gagné : la manne de l’IRA va pouvoir irriguer les industriels. Et elle ne laisse pas longtemps indifférents les patrons des grands groupes européens. Le président d’une grande banque européenne raconte : « les industriels allemands ont tout de suite vu leur intérêt et ont commencé à revoir leur stratégie d’investissement, voyez Volkswagen… » Le premier constructeur automobile européen vient de mettre sur « pause » son projet d’usine de batteries en Europe de l’Est et envisage de l’installer outre-Atlantique, où il pourrait bénéficier de 10 milliards de dollars de subventions au titre de la loi IRA. Non seulement le plan américain attire la fine fleur de l’industrie européenne, mais il agit comme un poison qui divise les Européens. « Les Allemands nous disent en substance : ‘vous les Français, vous avez raison sur le fond, c’est de la distorsion de concurrence, mais on prend’ », ajoute le même banquier.
Un des premiers à avoir saisi combien l’IRA posait une menace existentielle pour l’industrie européenne est le commissaire au Marché intérieur Thierry Breton. Dès le mois d’août, il prend son bâton de pèlerin, fait le tour des industriels, Iberdrola, Michelin, Daimler, Northvolt, Saab, sollicite les grandes organisations patronales comme la Confindustria italienne ou le BDI allemand, tire la sonnette d’alarme auprès de ministres de l’Industrie et de chefs de gouvernement… « Je voyais le risque, des pans entiers de notre industrie risquaient de disparaître, il fallait absolument agir très vite », insiste-t-il. Car les cas concrets d’investissements aspirés par la loi IRA se multiplient. Thierry Breton raconte cette histoire édifiante : « Nous avons appris qu’une grande entreprise dans le domaine du retraitement avait été approchée par l’administration américaine qui lui proposait de financer jusqu’à 70 % de son investissement, de garantir dix ans de débouchés et de lui assurer un contrat de fourniture d’énergie à long terme 4 à 5 fois moins cher qu’en Europe ! » Face à un tapis rouge si épais, comment ne pas se précipiter ? Courtisé lui aussi, le fabricant de batteries suédois Northvolt hésite. Ses dirigeants ont calculé qu’ils pourraient bénéficier de 8 milliards de dollars d’aides – soit 70 % du coût de l’investissement – s’ils choisissent de construire leur prochaine usine géante aux Etats-Unis plutôt qu’en Allemagne…
« La loi IRA, c’est clair, change la donne, d’autant que l’on a plutôt tendance à réduire notre exposition à la Chine », témoigne un patron industriel du CAC 40. Et pourtant, dans le camp européen, les tensions sont vives. Des commissaires comme Thierry Breton ou Paolo Gentiloni, en charge des affaires économiques et financières, s’élèvent contre les « distorsions de concurrence » que crée le dispositif américain. En novembre, le commissaire français menace même Washington de mesures de rétorsion. Mais les partisans d’une riposte ferme s’opposent aux « atlantistes » et aux industriels de taille mondiale qui, comme le dit le directeur financier de Volkswagen, voient dans l’IRA « la possibilité d’accroître rapidement notre présence aux Etats-Unis ».
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A Davos le lendemain, Ursula von der Leyen annonce la réponse de l’Union européenne au plan Biden et créé la surprise avec une loi pour « une industrie à zéro émission » visant à accélérer les investissements dans les technologies propres, en miroir de ce qu’offre la loi américaine. Mais aussi, un renforcement des aides d’Etat et un fonds européen de souveraineté, pour « corriger » les effets pervers des aides d’Etat, tous les pays n’ayant pas les moyens de l’Allemagne pour aider leurs entreprises. Celui-ci, semant la zizanie entre les Etats membres – dès qu’il s’agit de remettre de l’argent sur la table… -, est repoussé à « plus tard ». Voulue et obtenue par Thierry Breton, la nouvelle loi « verte » était loin de faire l’unanimité chez les commissaires européens. Notamment pour Margrethe Vestager, la grande prêtresse de la concurrence à Bruxelles, qui tient les cordons des toutes puissantes aides d’Etat et qui, conséquence de cette loi, a dû se tordre le bras pour en assouplir temporairement les procédures et surtout ouvrir largement les vannes. Au total, l’UE se dit prête à mettre 350 milliards sur la table en mobilisant notamment des fonds européens existants, non encore utilisés. A l’heure actuelle, il manquerait 100 milliards… (…)Joe Biden peut sourire. Dans cette bataille transatlantique qui dure depuis neuf mois, les Européens, jusqu’au bout, auront eu du mal à opposer un front uni.
30/11/2022
L’été dernier, les Etats-Unis ont voté l’Inflation Reduction Act (IRA), soit une enveloppe de 370 milliards de dollars d’investissements pour inciter les entreprises à accélérer leur transition écologique dans les énergies propres ou la voiture électrique. Un effort sans précédent de la part du deuxième émetteur mondial de CO2 qui s’est engagé à réduire son empreinte carbone de 40% d’ici à 2030. Problème, ces aides favorisent la production locale. Un protectionnisme assumé outre-Atlantique qui sème la panique en Europe. Politiques et industriels crient à la distorsion de concurrence et critiquent la “naïveté” européenne face au pragmatisme américain.
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La menace est sérieuse. Rien qu’en France, le gouvernement estime que le plan Biden pourrait faire perdre 10 milliards d’euros d’investissements et 10.000 emplois. “Ces chiffres correspondent à des projets industriels envisagés et que nous pensons être à risque”, explique Roland Lescure, ministre délégué chargé de l’Industrie. A ce stade, le plan américain soutient la production de panneaux photovoltaïques, de batteries et les technologies de décarbonation comme l’hydrogène ou la capture de carbone. “Cette industrie verte est naissante en Europe, et il est hors de question de compromettre son développement”, appuie le ministre. Dans l’hydrogène, la filière française craint d’être étouffée dans l’oeuf. “La France, qui était bien positionnée, risque de décrocher face à une concurrence qui va se structurer vite et fort aux Etats-Unis grâce aux aides d’Etat”, s’inquiète Philippe Boucly, président de France Hydrogène.
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L’UE, notamment pendant la présidence française, s’est dotée d’outils comme des “clauses d’alignement”, qui permettent aux Etats de s’aligner sur les niveaux de subsides versées par un pays tiers, notamment pour aider son industrie, rappelle-t-on dans l’entourage du président. Concrètement, cela pourrait se traduire par une augmentation des programmes d’innovation européens (PIEC) et de leurs montants. Un instrument comme la clause d’alignement a été créé plutôt pour lutter contre la concurrence déloyale d’Etats comme la Chine et l’Inde ; mais si nécessaire, il pourrait être utilisé contre les Etats-Unis.
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