lundi 15 mai 2023

[Point de vue] Étalement urbain : la France moche

 

L’urbanisation mange la terre. Et elle enlaidit notre pays. En France, tous les ans, ce sont près de 30.000 hectares – soit trois fois la surface de Paris intra muros – qui passent du statut de terres agricoles à celui de terres urbaines : constructions d’habitations, routes, parkings, centres commerciaux, etc. Dans le même temps que les lotissements et zones commerciales se multiplient, les centres-villes se meurent : logements vacants et délabrés, commerces à louer ne trouvant pas de repreneurs. Depuis 50 ans (c’est-à-dire depuis le début des années 1970), la ville s’étale, non plus par les grands ensembles mais par les pavillons. Des pavillons de plus en plus loin des centres. Car à mesure que la ville s’étale, les pavillons sont de plus en plus souvent détruits et expropriés dans les proches banlieues. Là où la variété de leurs architectures était un véritable patrimoine profitant à tous. Gâchis et incohérence !

L’étalement urbain nécessite la voiture, et la voiture rend possible l’étalement urbain. C’est l’histoire de l’œuf et de la poule. C’est une économie circulaire, mais qui fonctionne pour le pire et non pour le meilleur. Un demi-siècle d’étalement urbain a créé la France moche. On continue de construire des bâtiments de bureaux dont beaucoup de plateaux restent vides. On est toujours incapable de construire des immeubles mixtes habitat-activités. On ne sait pas transformer suffisamment l’existant. On commence à aménager des voies de bus en site propre et, au milieu du chantier, on décide de faire un tramway, cinq fois plus coûteux au kilomètre linéaire et guère plus utile. On crée une gare à la Bibliothèque nationale de France (à Paris) à la place de la gare qui existait, boulevard Masséna. Résultat : il y a 800 mètres à parcourir pour la correspondance avec les transports du boulevard des Maréchaux, au lieu de 50 mètres. Et il reste une ancienne gare dont on ne sait plus que faire. Ah si, un « lieu d’agriculture en balcons », une « tour de Babel de l’alimentation »… Incohérence et gaspillage de l’argent public. On n’améliore pas ce qui existe. On fait du neuf pour faire du neuf. Parce que cela est plus spectaculaire, rapporte plus et est plus facile. Et on consomme allègrement de nouveaux espaces.

La loi du 22 août 2021, dite « climat et résilience », visait à une artificialisation ramenée à zéro en 2050. Objectif certes quelque peu technocratique mais incontestablement louable. Une proposition de loi de mars 2023 vise à vider cette loi de son contenu en excluant les « grands projets » et ceux liés à la souveraineté économique, les bâtiments agricoles, etc., et en privilégiant le « dialogue » entre collectivités locales. Bref, en tournant autour du pot pour que la loi d’août 2021 – pour une fois bien inspirée – reste lettre morte.

Il faut changer de logique et, au-delà des lois, changer de regard sur nos territoires, et en prendre soin. Détruire moins et améliorer plus. Dépenser moins dans des travaux neufs et entretenir mieux l’existant. Faire avant tout que ce qui existe fonctionne. À quoi sert un tramway flambant neuf s’il faut l’attendre 30 minutes ? Et si la sécurité des passagers n’est pas assurée, faute de personnel ? Et, surtout, il faut préserver des espaces non urbanisables, retrouver le sens des limites de la ville, ne plus gaspiller l’espace. Pour cela, sans doute faut-il en finir avec les croisements de financements et de décisions qui interdit de savoir qui est responsable de quoi. Rendre obligatoires les référendums locaux et le chiffrage public des projets. Mettre de la démocratie locale et de la démocratie directe partout où cela est possible. Remettre les municipalités à l’échelle des hommes et, donc, en finir avec les trop grandes municipalités et intercommunalités. 100.000 habitants, c’est déjà beaucoup, pour gérer un territoire urbain. Se réveiller des mauvais rêves comme la fusion entre Boulogne-Billancourt et Issy-les-Moulineaux ou entre les Hauts-de-Seine et les Yvelines. Au-delà d’une certaine échelle, plus personne n’a une vision d’ensemble des choses. Retrouver le sens des limites, nous dit le philosophe Olivier Rey. C’est bien de cela qu’il s’agit.

Pierre Le Vigan

https://www.bvoltaire.fr/point-de-vue-sortir-de-letalement-urbain/

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