mercredi 10 janvier 2024

L’Île-de-France bloquée par la neige : les raisons d’une incurie d’État

 

À chaque hiver, la même chose. La météo annonce de la neige et les autorités publiques attendent qu’elle tombe pour commencer à envisager de saler les routes. Le cru 2024 n’aura pas fait exception à la règle, tel que le reconnaît Clément Beaune, ministre des Transports, sur RMC, ce mardi 9 janvier : « À peu près mille véhicules étaient bloqués sur l’A13. […] Encore quatre cents, essentiellement sur l’A13, étaient encore pris au piège de la neige à 7 heures 30. » Et le même de poursuivre : « Toutes les saleuses déneigeuses de la Direction des routes sont mobilisées. »

Résultat ? 150 kilomètres de bouchons répertoriés en Île-de-France. Comme toujours, l’éternelle question : pourquoi avoir attendu la nuit pour saler les routes, alors que la neige commençait déjà à tomber dru dès le milieu de l’après-midi ? Bref, pourquoi ne pas l’avoir fait avant, à croire que le sacro-saint principe de précaution vaut pour tous, hormis les automobilistes ? Mystère…

DDE : des réorganisations faites à l’aveuglette

En fait, pas tant que ça. Il y a, évidemment, le manque de personnel et de matériel, déjà dénoncé en 2005, lors d’épisodes neigeux particulièrement spectaculaires, par les syndicalistes CGT de la DDE de l’Oise, cités par Le Parisien : « Nous étions tous sur le pied de guerre, vingt-quatre heures sur vingt-quatre. Mais le problème, c’est que nous manquons cruellement d’effectifs. En dix ans, nous avons perdu une quarantaine d’agents sur l’ensemble du département. »

À cela s’ajoute la réorganisation pour le moins chaotique des DDE (direction départementale de l’équipement). Toujours selon la même source : « On en voit déjà les dégâts. Quand il y a un risque de neige ou de verglas, les tronçons gérés par l’État sont traités à titre préventif dès minuit. Alors que le conseil général ne fait que du curatif pour les siens, en intervenant après coup, à partir de cinq heures. On gère donc nos routes de deux façons différentes. C’est n’importe quoi. »

Ce qui fait dire, dix-huit ans après, au journaliste Éric Revel, sur X : « Donc, il fait froid l’hiver. La neige est tombée. Prévisible et prévue. Vague de froid annoncée par Météo France. Mais les autoroutes n’ont pas été salées ! Que fait Christian Beaune, ministre des Transports. Au pot de départ d’Élisabeth Borne ? »

Même son de cloche chez une certaine Gabrielle Cluzel, bien connue de nos lecteurs : « Galère… et colère. A-t-on le droit de se demander, alors qu’on nous bassine avec une alerte grand froid depuis deux jours, pourquoi ces autoroutes n’ont pas été salées ? »

 

Cette désorganisation chronique, plus haut pointée par la CGT, ne date effectivement pas d’hier. Ainsi faut-il savoir que depuis les premières lois de décentralisation de 1982, les DDE sont directement passées sous le contrôle exclusif des départements, tandis que dix ans plus tard, une autre loi réaffirmait leur statut d’entreprises d’État. Double tutelle, donc, l’une venue d’en haut et l’autre d’en bas ; avec, en prime, la confusion allant généralement avec, alliant les défauts de l’étatisme et ceux de la décentralisation. Avec d’autres réformes entreprises en 2006, sous la présidence chiraquienne, le mélange des genres montait d’un cran.

Car c’est à cette époque que le périmètre d’action des DDE a encore été réduit, répartissant leurs domaines de compétences entre directions départementales des territoires et directions interdépartementales des routes. De quoi y perdre son latin.

Un coût économique dont l’État ne peut plus s’acquitter…

Et puis, il y a l’autre non-dit consistant, pour les gouvernements successifs, à faire croire que nous sommes encore une nation riche, alors que la paupérisation des services publics va grandissant. En effet, le sel servant à traiter nos routes n’est pas donné, même s’agissant de chlorure de sodium - notre sel domestique, en d’autres termes. Pis : il n’est efficace qu’à des températures hivernales raisonnables. Car pour peu que ces dernières commencent à baisser, il faut utiliser un autre sel, le chlorure de calcium, qui est… sept fois plus cher.

Et le coût total n’est pas mince : entre les matériels et les salaires, le prix de revient d’une tonne de sel, même le moins cher, revient à cent euros. Sachant qu’en France, on en déverse près de 1,5 million de tonnes sur les routes chaque année, on vous laisse faire le calcul. D’où le peu d’entrain des services de voieries à griller leur peu de stock en cas de simple alerte.

Quand l’une des premières puissances au monde commence à faire de telles économies de bouts de chandelles, cela signifie aussi qu’au-delà du mille-feuille administratif, la tiers-mondisation de la France est en marche.

Nicolas Gauthier

https://www.bvoltaire.fr/lile-de-france-bloquee-par-la-neige-les-raisons-dune-incurie-detat/

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