Le dossier qu’« Éléments » a consacré à « La dictature en marche ! » fait parler de lui jusqu’en Italie, où le journal « La Verità » a interviewé François Bousquet. Le libéralisme autoritaire, les restrictions toujours plus nombreuses des libertés fondamentales, la répression tous azimuts des dissidents, la fermeture arbitraire de comptes bancaires… Tout y passe, jusqu’à la composante psychologique des dérives du macronisme.
ÉLÉMENTS : Dans votre dernier numéro, vous parlez de « dictature en marche ». C’est une formule forte. La France n’est-elle pas un État de droit, avec un gouvernement démocratique ?
FRANÇOIS BOUSQUET. C’est un choix de « une » évocateur pour le public français, « En marche ! » étant le slogan de campagne d’Emmanuel Macron en 2017. Il est depuis lors associé à son nom. Nous en requalifions la portée en pages intérieures. La vérité, c’est qu’il est difficile de définir la nature du régime que nous subissons. La tyrannie est grecque, la dictature romaine, le despotisme oriental, l’absolutisme français, le totalitarisme germano-soviétique, le libéralisme autoritaire néo-conservateur… Nous avons opté pour le concept d’anarcho-tyrannie ou plus exactement de tyrannie anomique, l’anomie définissant l’absence de lois. L’anarcho-tyrannie, c’est à la fois un État voyou, laxiste avec ceux qui sont au-dessus des lois (la délinquance en col blanc) et au-dessous des lois (la délinquance ordinaire), et un État policier, qui n’exerce sa férule qu’à l’encontre des gens ordinaires. Le phénomène n’est pas spécifique à la France. Pensez à Matteo Salvini, qui encourt jusqu’à 15 ans de prison pour avoir bloqué un bateau de migrants en pleine mer, alors que ces mêmes migrants bénéficient de l’empathie, sinon de la clémence, des juges et des journalistes.
ÉLÉMENTS : Pouvez-vous nous expliquer comment fonctionne la répression « financière » de la dissidence ? Le pouvoir va-t-il jusqu’à fermer les comptes bancaires personnels de personnes qui n’ont pas encore été condamnées ? Sur quels fondements juridiques ?
FRANÇOIS BOUSQUET. C’est malheureusement une pratique « légale » même si elle outrepasse largement son cadre réglementaire. Il s’agit de « débancariser » des comptes (« debanking » en anglais) qui présentent des risques, jusqu’au risque de réputation pour les banques. Dans la pratique, la gauche radicale n’est pas visée par ces fermetures. Il en va différemment pour les dissidents de droite. Le cas le plus fameux reste celui de Nigel Farage, le leader du Brexit, qui a vu son compte fermé pour raisons politiques. Les autres victimes de ces fermetures abusives n’ont pas droit à la même médiatisation, leur « débancarisation » intervenant dans la plus grande discrétion, sans possibilité de recours. Quantité de militants et de structures patriotes ou identitaires ont ainsi été financièrement paralysés en France ces derniers mois, la dernière en date étant Academia Christiana. C’est une façon de les condamner à la mort sociale et de bâillonner leur parole. L’Autriche et l’Allemagne ont été dans ce domaine « pionnières ». Martin Sellner, le cofondateur du mouvement identitaire autrichien, a dû changer de compte 70 fois, et ce dans plusieurs pays européens, jusqu’en Géorgie. Je vous laisse imaginer les frais d’agence et le temps perdu. Le pouvoir sous-traite ainsi la répression auprès du secteur privé, des banques aux GAFAM.
ÉLÉMENTS : Avec les gilets jaunes, nous avons assisté à une répression particulièrement dure des manifestations de rue. Cette réponse violente de l’État est-elle habituelle en France ou nouvelle ?
FRANÇOIS BOUSQUET. Du jamais vu depuis la fin de la guerre d’Algérie, en 1962, mais alors la France était en guerre, avec des assassinats politiques ciblés et une profusion d’actes de terrorisme. Au 30 juin 2019, soit 32 semaines après le début de la crise des Gilets jaunes, 10 852 manifestants avaient été placés en garde à vue, 3 163 condamnés, dont 1 000 à des peines de prison. Sans parler des brutalités policières : plus d’une vingtaine de manifestants éborgnés, mutilations qui, elles, n’ont entraîné aucune condamnation des forces de police. Jamais, depuis les années 1960, le pouvoir n’avait eu aussi peur. En décembre 2018, au plus fort de la crise, un hélicoptère se tenait prêt à exfiltrer Macron de l’Élysée. La féroce répression d’un pouvoir aux abois contre les Gilets jaunes illustre parfaitement la double nature de l’anarcho-tyrannie : forte avec les faibles et faible avec les forts. C’est si vrai que, depuis 2017, 26 membres du gouvernement et proches collaborateurs de Macron ont été judiciairement mis en cause. Seule une poignée a été condamnée.
ÉLÉMENTS : Quel est l’état de la liberté d’opinion en France ?
FRANÇOIS BOUSQUET. Elle se réduit à peau de chagrin. Depuis un demi-siècle, on ne compte plus les lois liberticides qui nous ont fait revenir en-deçà du XIIe siècle quand les clercs ont distingué le crime du péché. Aujourd’hui, le péché – de mauvaise pensée – vaut crime. C’est sur cette base que les ministres de l’Intérieur successifs de Macron ont justifié leurs demandes d’interdiction ou de dissolution des groupes politiques qualifiés d’« ultra-droite ».
ÉLÉMENTS : Qui est l’Emmanuel Macron de 2024 ? Est-il plus faible ou plus fort que lorsqu’il est devenu président ? Y a-t-il une composante psychologique à sa dérive autoritaire ?
FRANÇOIS BOUSQUET. C’est le sous-produit d’une élite hors-sol dévoyée par la finance et d’un système à bout de souffle qui ne veut pas renoncer à ses privilèges. À la fois un symbole et un symptôme de l’esprit du temps : narcissisme, sentiment de toute-puissance, immaturité, arrogance, fantasme ubiquitaire (le « en même temps » cher à la rhétorique du macronisme), autant de traits psychologiques qui, sans nul doute, accompagnent sa dérive autoritaire. Alors que le « Mozart de la finance » élevé au rang de « Jupiter » – c’est en ces termes que ses courtisans le présentaient – a porté la dette française à des niveaux stratosphériques. Au nom de la logique managériale et du copinage, il a démantelé les grands corps d’État (diplomatique, préfectoral) pour laisser place à une « start-up nation » aussi invertébrée que les cabinets de consulting américains, les « McKinsey boy’s », qu’il sollicite à tout bout de champ et qui facture à l’État français, ainsi externalisé, des sommes exorbitantes pour acheter des fichiers PowerPoint interchangeables d’un pays à l’autre. Le néant avec beaucoup de zéros derrière.
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