Par Nikolay STARIKOV ORIENTAL REVIEW
Dans des articles précédents, nous avons examiné en détail les circonstances mystérieuses entourant l’assassinat du prince héritier Franz Ferdinand à Sarajevo le 28 juin 1914 et la finesse du jeu diplomatique joué par le gouvernement britannique au cours du chaud été 1914, qui visait à attirer l’Allemagne et la Russie dans le conflit balkanique. Le temps est maintenant venu d’ouvrir quelques pages peu connues de cette Grande Guerre que l’on pourrait, à juste titre, appeler “l’étrange guerre”.
Le tout début du conflit mondial fut inhabituel. Jusqu’à cette date, quiconque déclarait la guerre commençait une action offensive. Cependant, en 1914, après avoir déclaré la guerre à la Russie, l’Allemagne s’est immédiatement mise sur la défensive. Les actions de Berlin sont certes dignes d’étonnement, mais plus surprenantes encore sont les actions des Autrichiens. Ayant commencé une guerre contre la Serbie, ils ne semblent pas avoir remarqué que le conflit russo-allemand avait commencé pour leur compte. A Vienne, ils n’ont pas entendu la déclaration de guerre de l’Allemagne à la France. Ils n’ont pas non plus réagi à l’entrée de la Grande-Bretagne dans la guerre. Ils ont déclaré la guerre à la Russie le 6 août, 6 (!) Jours après l’Allemagne. Le combat effectif sur le front russo-autrichien ne débuta que le 12 août et, sur le front russo-allemand, il commença même plus tard le 13 août 1914.
Il devint bientôt clair que les généraux allemands n’avaient pas de plan séparé pour la destruction de la Russie. L’état-major allemand avait des plans en cas de guerre contre la France, que la Russie soutiendrait, mais pas contre la Russie! L’armée allemande se heurta à de sérieuses difficultés pour tenter d’arrêter la puissante efficacité de l’armée russe, qui cherchait à pénétrer au cœur du territoire allemand. Elle a été forcée d’improviser au fur et à mesure, retirant de nouvelles unités militaires de nulle part. Il semble que l’Allemagne n’était pas prête pour une guerre contre la Russie.
Et les dirigeants militaires et politiques russes le savaient parfaitement. C’est pourquoi la déclaration de guerre du Kaiser allemand avait surpris tout le monde à Saint-Pétersbourg. Les soldats, aussi bien allemands que russes, étaient dans un total état de confusion. Le Tsar Nicolas II lui-même était empli d’étonnement. Dans son télégramme au roi d’Angleterre George V, envoyé le lendemain de la démarche allemande pour justifier sa propre mobilisation, le Tsar Nicolas II exprime ses sentiments: « Je suis en droit d’agir comme je l’ai fait à cause de la soudaine déclaration de guerre de l’Allemagne. Ce fut une surprise totale pour moi puisque j’avais donné au Kaiser Guillaume l’assurance la plus catégorique que mes forces armées ne bougeraient pas pendant que les pourparlers de médiation étaient en cours. “
Une guerre mondiale avait commencé. En Occident, après avoir achevé le déploiement de son armée, les Allemands avaient porté un coup dévastateur à la France à travers le territoire de la Belgique. Le front russe, cependant, était silencieux. Pour le moment, l’armée russe elle-même n’avait pas commencé son offensive! C’est à ce moment-là que l’Allemagne fut également contrainte d’ouvrir des opérations militaires sur le front de l’Est. Comme l’a déclaré l’amiral allemand Tirpitz: «Les circonstances nous ont obligés à porter des coups sur ce front, ce qui n’était pas conforme à nos intérêts politiques.
Posons-nous une question très simple: sérieusement, pourquoi l’armée russe a-t-elle attaqué les Allemands? Et pourquoi, par la suite, a-t-elle lancé son offensive contre l’Autriche-Hongrie?
La réponse est enracinée dans les raisons et les objectifs de l’escarmouche élaborée par les Anglais. L’armée russe a poursuivi l’offensive à la demande de ses “alliés” de l’Entente. Ou plutôt une supplication qu’une demande! Et du point de vue du Tsar Nicolas II, ils étaient dans leur droit. En ce qui le concerne, la déclaration soudaine de guerre était un signe de la déloyauté et de l’agressivité de l’Allemagne, tandis que l’entrée en guerre de la France et de l’Angleterre, quel que soit leur désir, témoignait de leur loyauté et de leur attachement à leur alliance avec la Russie. Dès lors, le Tsar russe se sentait profondément redevable envers Paris et Londres et, par conséquent, le Tsar Nicolas II était disposé à aider les Français à combattre l’attaque de l’Allemagne. Aide au détriment de lui-même, payé avec le sang de milliers de soldats russes.
Au tout début de la guerre, l’Angleterre et la France avaient deux problèmes réels qui avaient tous deux la même solution. Le premier était la possibilité d’une réconciliation germano-russe. Un tel développement des événements devait être exclu une fois pour toutes. L’option «d’une guerre sans guerre» mélangeait toutes les cartes de l’Angleterre et réduisait à néant leurs fines manœuvres. Le sang des soldats allemands et russes était nécessaire, une mer de sang rendant impossible une réconciliation entre les deux adversaires. Les Allemands et les Autrichiens ne se préparaient pas à attaquer, ce qui signifiait que les armées russes devaient le faire. Le deuxième problème de la France avait été créé par les soldats allemands, qui s’étaient frayés un chemin à travers la Belgique d’une manière étonnamment rapide et se dirigeaient vers Paris. La solution aux problèmes de l’Angleterre et de la France était donc d’accélérer le démarrage d’opérations militaires de grande envergure sur le front russo-allemand.
L’offensive russe avait le mérite de :
– mettre un terme une fois pour toutes à la possibilité d’une résolution pacifique du conflit;
– déplacer le fardeau de la guerre du front occidental vers le front oriental; et
– commencer à saper le système étatique de l’Empire russe, puisque l’armée russe n’était pas prête à attaquer.
C’est exactement pour cette raison que les Etats “alliés” ont tenté de faire attaquer l’armée russe dès le premier jour de la guerre. Le ministre français de la Guerre, Adolphe Messimy, l’exigeait littéralement, tandis que l’ambassadeur de France en Russie, Maurice Paléologue, “suppliait” le Tsar Nicolas II ” d’ordonner l’attaque” sinon, la France serait “inévitablement écrasée”. Le général Brusilov, héros de la Première Guerre Mondiale et créateur de la célèbre offensive de Brusilov, a rappelé: “Au début de la guerre, pour sauver la France, il (le commandant en chef) a décidé d’aller à l’encontre du plan de guerre élaboré plus tôt et de lancer rapidement une offensive, sans attendre la concentration et le déploiement des armées“.
Il restait moins de cinquante kilomètres jusqu’à Paris. La ferveur de la bataille était telle que le commandement français saisissait toutes les opportunités pour arrêter l’ennemi. Au début du mois de septembre 1914, près de 600 taxis parisiens, effectuant plusieurs voyages, ont transporté environ 6 000 soldats français sur le front. Et ce renfort, bien que petit, a joué un rôle : sur la Marne, les Allemands lâchèrent soudain prise et commencèrent à reculer. Les historiens ont appelé cela le Miracle de la Marne. En réalité, cependant, ce ne sont pas des miracles qui ont sauvé Paris. Paris a été sauvé par des dizaines de milliers de Russes massacrés et emprisonnés. Au cours des batailles les plus acharnées pour Paris, deux armées russes sous le commandement des généraux Samsonov et Rennenkampf envahirent le territoire de la Prusse orientale. Après la défaite de la bataille de Gumbinnen, les Allemands vaincus commencèrent à battre en retraite, le Haut Commandement de l’armée allemande fut contraint de retirer près de 100 000 soldats des troupes qui constituaient leur avancée sur Paris et de les redéployer contre les Russes. Le résultat de cette attaque imprévue fut l’encerclement et la destruction de toute une armée russe. Incapable de supporter la honte, le général Samsonov s’était tiré une balle dans la tête.
Le désir d’attirer le plus grand nombre possible de troupes allemandes et autrichiennes vers le front de l’Est est un dénominateur commun qui transparaît dans toutes les opérations de l’armée russe en 1914. En même temps que son attaque contre les troupes allemandes, une autre section de l’armée russe commença une offensive contre l’Autriche en Galice, cette fois-ci pour aider les Serbes. Les troupes russes progressèrent sans avoir été totalement mobilisées et préparées. Il y eut une série de défaites au début, mais la supériorité globale des troupes russes en termes de tactiques, d’armes et de moral fit sa part. À la suite de combats acharnés, les troupes austro-hongroises subirent une grave défaite.
Ne comprenant pas les raisons et les objectifs de la guerre mondiale qui avait éclaté, les dirigeants russes n’étaient même pas en mesure d’évaluer correctement les possibilités de développement des événements. A Saint-Pétersbourg, ils étaient convaincus que la guerre ne durerait pas très longtemps, car l’Allemagne et l’Autriche ne pourraient certainement pas résister à la puissance combinée de l’Entente. Et en réalité, l’Allemagne aurait été détruite rapidement à la seule condition que les objectifs de tous les membres de l’Entente fussent les mêmes. Cependant, la Russie se battait pour la défaite générale de l’ennemi, tandis que les Britanniques se battaient pour la future organisation du monde, un monde dans lequel il n’y avait pas de place pour l’Empire russe.
Les Anglais eux-mêmes ne prirent pratiquement pas part au massacre qui s’annonçait. Comme d’habitude, ils menaient une guerre par procuration. Pour aider la France, le Corps expéditionnaire britannique du général French composé de deux corps et d’une brigade de cavalerie fut envoyé sur le continent, soit au total 70 000 personnes. Le nombre de pertes subies par l’armée russe en une opération était plus grand que tout le corps expéditionnaire britannique! Mais pourquoi l’armée britannique était-elle en si petit nombre en Europe?
Après la fin, la Première Guerre Mondiale s’appelait la Grande Guerre. L’illusion que la guerre serait rapidement conclue fondit littéralement au bout de quelques mois, en même temps que les réserves d’obus. Les puissances belligérantes mobilisèrent rapidement des millions de réservistes pour se battre pour leur pays. Tous les pays l’ont fait, sauf … la Grande-Bretagne. L’armée britannique n’était toujours composée que de volontaires. Combien de temps cela a-t-il duré? Très longtemps. Le service militaire général a été introduit au Royaume-Uni le 6 janvier 1916, 16 mois après le début du conflit mondial. Pendant tout ce temps, l’armée britannique était incapable d’aider ses alliés dans toute la mesure de sa puissance. Il va de soi que c’était complètement accidentel. Lorsqu’on leur demandait de l’aide, les Britanniques pouvaient ainsi hausser les épaules, et manifester leur impuissance – il n’y a rien que nous puissions faire. Notre armée est si petite ; voyez-vous ? Si petite !
L’armée russe était à l’offensive, cette fois en Moravie et en Silésie. La Silésie a du charbon et était une importante région industrielle de l’Allemagne, par conséquent les Allemands furent encore obligés de déplacer leurs troupes du front français vers les Russes. L’artillerie lourde allemande écrasa l’infanterie russe sans réponse. Les pertes étaient atroces. En seulement six mois, le nombre de pertes représentait la moitié du nombre total de toute la guerre! La guerre entra dans une phase de position – l’ennemi avait épuisé les dernière réserves qu’il avait préparées et les Allemands n’avaient pas de force pour une victoire décisive. Tout cela pour seulement quelques kilomètres de territoire français saisis. Pendant les opérations militaires complexes, alors que la pénurie des armes était critique, ni les Anglais ni les Français n’avaient offert de soutien à la Russie. Le général Bonch-Bruevich a écrit l’amère vérité : « L’Angleterre et la France étaient prodigues en promesses. Mais les promesses étaient restées des promesses. Les énormes sacrifices consentis par le peuple russe pour sauver Paris de l’invasion allemande se sont avérés vains. Avec un cynisme rare, ces mêmes Français et Anglais nous ont pratiquement refusé la moindre d’aide. À chaque demande de la Russie en munitions, les généraux français et anglais déclaraient qu’ils n’avaient rien à donner. En attendant, les Anglais eux-mêmes, d’après le témoignage du Premier ministre britannique Lloyd George, “stockaient des obus comme s’ils étaient en or et indiquaient fièrement leurs énormes réserves d’obus prêts à être envoyés au front”. De plus, quand la Russie paya pour la fabrication de munitions dans les usines américaines, la cargaison, qui était déjà prête à être envoyée, fut envoyée aux … Anglais. Ils l’ont simplement interceptée et l’ont utilisée pour leurs propres besoins. Les négociations et les correspondances qui ont suivi sur la question n’ont abouti à rien.
Traduit du Russe par ORIENTAL REVIEW
Source : https://orientalreview.org/2012/09/26/episode-8-the-great-odd-war-i/
Traduction : Avic – Réseau International
Photo: Grande Guerre : il y a 100 ans, l’arrivée des brigades russes en France
https://reseauinternational.net/leurope-dune-guerre-a-lautre-viii-1-letrange-grande-guerre/
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