À 14 ans déjà, Nicole travaillait dans l’exploitation agricole de ses parents : chaque jour, elle aidait à la traite des vaches. Ce métier ne l’a jamais quitté : elle a épousé Georges, un agriculteur. Ensemble, ils possèdent un élevage de bovins et de caprins à La Berthauderie, à Morlac, dans le Cher. Alors que la grogne paysanne continue de se manifester partout en Europe, elle témoigne auprès de BV de sa mésaventure, qui tourne pour eux au drame : à la suite d'une confusion de l'administration, sa maternité l’empêche de toucher les aides de la PAC (politique agricole commune).

C'est en 2012 que Nicole a repris la tête de l’exploitation de son époux, retraité suite à de graves problèmes cardiaques, après plus de 40 ans d’activité. En tant que mère de trois enfants, elle reçoit une indemnité depuis 2013. Nicole et son époux nous racontent : « Une assistante sociale est venue, se mêlant de ce qui ne la regardait pas, a utilisé des barèmes qui n’ont ni queue ni tête, nous expliquant qu’étant chef d’exploitation mais aussi mère de trois enfants, nous avions droit à une aide de 80 euros (réévaluée aujourd’hui à 100 euros). » Une aide qui s’est révélée finalement être un poison mortel pour l’exploitation de ces deux agriculteurs.

La prime PAC, à hauteur de 27.000 euros, ne leur sera pas accordée

En effet, chaque année, courant avril, Nicole et son époux déclarent l’exploitation à la DDT (direction départementale des territoires), afin de toucher la PAC. Comme en ce mois d'avril 2023 où, avec l’aide des services agricoles départementaux du Cher, les époux ont enregistré leur déclaration pour l’année. Le montant estimé de cette aide s’élevait à 27.000 euros, « montant indispensable pour l’exploitation », nous précise Nicole. Une somme qui tombe habituellement à l’automne mais qui n'est jamais arrivée.

Le 26 octobre 2023, le couple d’agriculteurs reçoit en effet un appel du Crédit agricole les informant qu’ils n’avaient pas les fonds nécessaires pour s’acquitter de leur impôt foncier. Et pour cause : la prime de la PAC ne leur avait pas été versée. Après interrogation auprès des services concernés, l’explication tombe : toute personne touchant une petite pension, quel que soit le montant, quel que soit le régime, n’est plus éligible aux primes de la PAC, selon un récent décret applicable à compter du 1er janvier 2023.

La pension dont il est question, c’est la modique somme de 100 euros qui est versée au ménage chaque mois. Cette aide est considérée, à tort, comme un complément de retraite. « Comment puis-je recevoir un complément de retraite puisque ma retraite n’a jamais été liquidée et que je ne reçois strictement rien à ce titre ? » s’indigne Nicole. « C’est le régime de la Carsat qui nous verse cette prime alors que ma femme n’a jamais travaillé au régime général. C’est une erreur », nous précise son époux Nicolas, qui assure avoir demandé un recours à la préfecture sans avoir jamais reçu de réponse. « Ils se cachent derrière leur petit doigt et derrière la loi, mais cette somme que nous touchons n’est pas un complément de retraite, ça ne peut pas l’être », déplore-t-il.

Une erreur de terminologie responsable d'un dépôt de bilan

Une erreur de terminologie empêche ces agriculteurs, et tous ceux qui sont dans ce cas de figure, de toucher une prime qui leur revient pourtant de droit. Nicole affirme avoir sollicité une réunion, fin décembre 2024, avec la direction départementale des territoires, la chambre d’agriculture du Cher et la MSA pour clarifier la situation. Selon l’agricultrice, « tous considèrent cette situation comme regrettable mais ne font qu’appliquer le décret ». Contactée par BV, la chambre d’agriculture du Cher assure pourtant que « le fait de percevoir des revenus extérieurs n’est pas la raison qui a pu expliquer le fait qu’elle n’ait perçu aucun paiement PAC ». Pour la chambre, il doit y avoir une autre explication. Mais laquelle ?

En attendant, la prime n’est pas versée à cette exploitation et ce défaut de versement engendre une « situation financière intolérable » qui oblige l’entreprise à déposer le bilan, ce que nous confirme Nicolas : « Nous sommes donc obligés de vendre une partie de notre terrain, que nous avons acquis à la sueur de notre front pendant toute notre vie. » Être mère de famille empêcherait Nicole, par les biais infernaux d’une administration hors-sol, d’obtenir les seules aides permettant aux agriculteurs de survivre face à la concurrence déloyale et les normes abusives qui les enterrent. Une cause à défendre pour les féministes, puisqu'il s’agit de défendre le droit d'une femme que sa maternité empêche d'exercer sa profession. Chiche ?

Raphaelle Claisse

https://www.bvoltaire.fr/ubuesque-parce-quelle-est-mere-cette-agricultrice-ne-toucherait-pas-la-pac/