1962 : une crise précipitée par une dissolution
Tout commence le 12 septembre 1962, lorsque le général de Gaulle annonce à la télévision qu'il va demander aux Français de se prononcer sur une réforme constitutionnelle capitale : l'élection du président de la République au suffrage universel et direct. Ce référendum est alors fixé pour le 28 octobre. L'Assemblée nationale, où de Gaulle ne dispose que de 206 députés gaullistes, réagit à cette annonce en censurant le gouvernement Pompidou, le 5 octobre. De Gaulle décide alors de dissoudre l'Assemblée nationale et de convoquer des élections législatives pour les 18 et 25 novembre, après le référendum. L'Assemblée dissoute, l'examen du budget pour 1963 est donc reporté après l'installation de la nouvelle législature. Le calendrier serré de l’Hémicycle ne permet donc plus de voter l'ensemble de la loi de finances avant la fin de l'année. Le gouvernement utilise alors les dispositions d'une ordonnance de 1959 (la loi organique relative aux lois de finances [LOLF] de 2001 a, depuis, remplacé cette ordonnance) qui, à l'époque, donnait au gouvernement, lorsque la loi de finances ne pouvait être promulguée avant le début de l'année budgétaire, la possibilité de demander au Parlement de se prononcer, par un vote distinct, sur la seule première partie du projet concernant la perception des recettes et la fixation des plafonds de dépenses. Les recettes sont donc votées le 22 décembre 1962 et l'Assemblée n'adopte l'ensemble du budget pour 1963 que ... le 28 janvier 1963, par 342 voix contre 128. Il est vrai que de Gaulle venait d'obtenir une large majorité aux législatives de novembre... Ce processus exceptionnel, malgré les critiques de l'opposition, notamment du socialiste Gaston Defferre, sur les délais et le manque de débats approfondis, avait donc permis au Premier ministre Georges Pompidou de maintenir le fonctionnement de l'État.
1979 : fronde interne et censure constitutionnelle
Automne 1979, discussions du budget pour 1980. Raymond Barre est alors Premier ministre. Sur fond de rivalités entre Giscard d'Estaing et Jacques Chirac (nous sommes à un an de la prochaine campagne présidentielle), les néo-gaullistes du RPR ne facilitent pas la tâche du Premier ministre. Estimant que les efforts budgétaires sont insuffisants, ils refusent de voter un article clé sur les recettes. Le Premier ministre déclenche alors l'article 49.3 de la Constitution pour forcer l'adoption du budget, une décision qui provoque évidemment un tollé. Le Conseil constitutionnel, saisi par le président de l'Assemblée nationale, le très gaulliste Jacques Chaban-Delmas, soutenu dans sa démarche par des députés socialistes, invalide, le 24 décembre 1979, la loi de finances pour 1980. Raymond Barre n'avait pas respecté l'ordre prévu dans l'examen du budget (recettes d'abord, dépenses ensuite) par la Constitution. Cette décision du Conseil constitutionnel a pour conséquence (la seconde fois sous la Ve) qu'à l'approche de Noël, la France n'a pas de budget pour l'année 1980. La France au bord de la banqueroute ? Michel Debré lui-même, l'un des pères de la Constitution, relativise, à l'époque, la situation : « Il y a une chose certaine, c'est qu'avant le 31 décembre, un acte doit intervenir qui soit permettra de prélever les recettes pour toute l'année, ou, en tout cas, une disposition permettant de reporter au mois de janvier la discussion sur le budget. En d'autres termes, il y a un problème juridique qui n'est pas très grave, mais qu'il faut régler en faisant très attention de respecter l'esprit d'une Constitution et d'une loi organique très exigeante sur les règles financières. » Et effectivement, pour sortir de cette impasse, le président de la République convoque une session extraordinaire entre Noël et le jour de l'An au cours de laquelle, malgré un débat houleux, une loi spéciale permettant la perception des impôts pour 1980 est adoptée. Les choses rentraient dans l'ordre.
Si les brèves crises budgétaires de 1962 et 1979 ont révélé la robustesse de nos institutions (à ce titre, la LOLF de 2001 a renforcé cette robustesse), elles mettent aussi en exergue leurs limites qui tiennent, en fait, aux hommes qui en ont la charge. Sans majorité solide ou, a minima, volonté collective de compromis, c'est l'impasse et l'on peut alors glisser vers la crise institutionnelle, pour ne pas dire de régime.
Eric de Mascureau
https://www.bvoltaire.fr/1962-1979-2024-des-crises-budgetaires-et-politiques/
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