jeudi 12 décembre 2024

La Russie a déjoué le piège américain en Syrie

 

par Ben Fofana

Avant tout propos, le film de la chute de Bachar al-Assad ne s’est pas déroulé selon un scénario idéal de la Russie. Car même si la Syrie était un boulet plus qu’autre chose, la Russie a perdu la face aux yeux du Monde et sera perçue comme un des perdants de l’affaire. Elle aurait aimé stabiliser ce front jusqu’à ce qu’elle en finisse en Ukraine. Et éviter le merdier qu’un État islamique à cheval sur la Syrie et l’Irak (qui suivra forcément) ne manquera d’entrainer. Ensuite, il ne faut jamais perdre de vue que tout ce que fait Washington (et ses relais locaux, Israël et Turquie notamment) a pour but in fine de contrarier, embêter voire détruire la Russie, au-delà des avantages immédiats que ces actions peuvent lui procurer.

Les Russes et les Iraniens savaient qu’une offensive se préparait depuis Idlib. Des bombardements préventifs avaient été menés deux à trois mois auparavant. Les Syriens, bien qu’informés n’ont pris aucune disposition pratique pour y faire face. L’armée s’est retirée des grandes villes sans combattre. Qui a donné cet ordre de retrait n’est pas encore très clair (initiative des généraux de leur propre chef ou ordre de Bachar al-Assad lui-même). Ce qu’on peut déjà entrevoir aujourd’hui, c’est que Bachar al-Assad n’était plus trop chaud pour assumer la présidence de la Syrie.

La patate chaude refilée aux Occidentaux et à la Turquie

Il faut savoir que même si le gouvernement syrien a été sauvé par l’action énergique et déterminante de la Russie, le pays a été dévasté par la guerre, avec des millions de personnes de sa force vive qui a quitté le pays. Les zones les plus riches (contenant les réserves de pétrole, de gaz et de blé de la Syrie sont restées occupés par les USA via leur proxy kurde. De plus, ce pays du Levant a été soumis à un embargo atroce qui a non seulement empêché la reconstruction du pays mais l’a ruiné davantage. C’est un pays avec une économie détruite, une armée en lambeaux et une population découragée et épuisée par les nombreuses privations que la Russie et l’Iran maintenaient sous respiration artificielle. C’est ce pays que la Russie, lasse, vient de refourguer aux occidentaux. Un pays divisé en zones rivales voire ennemies, qui s’affronteront inévitablement pour les ressources que chaque camp voudra contrôler afin de rendre viable économiquement sa zone.

Erdogan voulait contrôler la province d’Alep afin de rapatrier les quelques 3 millions et demi de réfugiés que sa population ne supporte plus. Il n’était pas question d’un changement de régime, encore moins de devoir assumer la charge d’un pays ruiné qui s’il est laissé à l’abandon, ne manquera pas d’entrainer encore plus de réfugié. Sans parler des nombreuses armes à feu qui ont été pillées, distribuées aux civils. Les kurdes se retrouveront renforcés et pourraient vouloir une jonction avec leur frère de Turquie. Surtout si les Israélo-américains décident d’appliquer leur plan de démembrement de la Turquie (cf. Le Moyen-Orient élargi). Erdogan aura tout le loisir de réfléchir aux conséquences de sa violation des accords d’Astana.

Quant aux occidentaux, notamment les européens, la précédente vague de migration qu’ils ont connue sera une plaisanterie devant ce qui les attend. La Turquie pourra au passage leur soutirer quelques milliards. La délinquance, les viols et autres problèmes de sécurité vont accroitre de manière exponentielle. Israël a pris soin de détruire l’Office syrien de l’identification. Mais qui a dit que les candidats à l’immigration demanderont une carte d’invitation ? Sans oublier l’infiltration de terroristes qui ne manqueront pas de commettre des attentats et accomplir leur vision de la destruction de l’occident infidèle.

Israël est présenté comme le grand vainqueur du chaos en Syrie. Mais rien n’est moins sûr. Son armée de terre est à bout de souffle, un mélange de troupes restées correctes et d’autres, ayant sombré dans les massacres. Mais cette deuxième catégorie, celle des tueurs de civils, la plus grande du reste, ça n’a jamais rien valu militairement. Si on enlève l’aviation à Israël, le reste de l’armée, est visiblement totalement incapable au sol. Et même en supposant que le vide laissé par la destruction de ses voisins lui permet de faire un grand pas vers le Grand Israël, le pays ne compte que 10 millions d’habitants. Si on enlève les Palestiniens d’origine, il ne resterait plus que 8 millions de colons. Sachant qu’ils ont déjà du mal avec les seuls palestiniens, comment pourront-ils assujettir d’autres populations farouches ? En outre, l’économie israélienne est détruite. Ses ports sont à l’arrêt, frappés de plein fouet par un blocus des Houthis qui tiennent en respect toute les marines occidentales. Tous ces faits mis ensemble n’offrent pas de perspectives réjouissantes.

Le piège pour la Russie et le calcul russe

L’objectif évident de Washington en lançant cette offensive était d’ouvrir un autre front pour la Russie et l’obliger à prélever dans ses ressources sur le front ukrainien. Il s’agissait tout simplement d’obliger la Russie à geler le conflit en Ukraine pour se concentrer sur le front syrien, ce qu’elle a fait en 2014. Visiblement, les dirigeants russes ont fait leur choix et le conflit en Ukraine ne sera pas gelé. En vérité, la Russie n’a plus besoin de bases en méditerranée pour vaincre l’OTAN. Ses missiles hypervéloces lui permettent de frapper et couler les flottes occidentales n’importe où dans le monde. Ce qu’elle pourrait d’ailleurs faire à l’aide d’un proxy (les Houthis sont de bons candidats). Elle a surtout besoin de son point d’attache à Tartous pour assurer la chaîne logistique vers les pays africains. Alors un point logistique civil ou du moins très peu militarisé peut être conservé en Syrie. Sinon, au pire des cas, il reste encore l’Algérie ou l’Égypte qui pourraient lui fournir ce point de transit.

Le calcul iranien

L’Iran a probablement abandonné sa projection vers l’ouest et la Méditerranée pour se recontinentaliser en priorité et s’intégrer au maillage sino-russe eurasiatique. Il est probable que l’élimination des têtes clés de «l’axe de la résistance» ces derniers mois ait soulagé des factions de l’exécutif iranien qui veulent sortir l’Iran de l’œil du cyclone d’une prochaine coalition occidentale initiée par Israël après l’arrivée de Trump à la Maison-Blanche. L’Iran n’a plus d’espoir de lever les blocages européens compte tenu de l’influence israélienne directe et de sa main mise sur les réseaux politiques européens. Il a donc logiquement renoncé à ses proxys pour se mettre sous parapluies militaire russe et économique chinois.

De plus, des mandataires ne sont plus vraiment nécessaires dans sa confrontation avec l’axe israélo-américain, les missiles (y compris hypersoniques) et les drones assurent des capacités de frappe à la fois de longue portée et rapide dans tout le Moyen-Orient à l’Iran, donc une dissuasion efficace. En ce qui concerne la sanctuarisation de son territoire, je pense que le pays annoncera dans quelques mois qu’il est devenu une puissance nucléaire.

source : Africa Politics

https://reseauinternational.net/la-russie-a-dejoue-le-piege-americain-en-syrie/

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